Dieu est plus grand que Dieu

À l’occasion de la sortie du dernier livre de Gérard Siegwalt, professeur retraité de la Faculté de Théologie Protestante de Strasbourg, qui est un ami d’Évangile et liberté, André Gounelle a écrit ces lignes en hommage à l’oeuvre de son collègue.

  Gérard Siegwalt a publié une monumentale Dogmatique (10 volumes et 4000 pages). Beaucoup souhaitaient un livre de taille moindre. Voilà qui est fait : dans Dieu est plus grand que Dieu (Cerf), Siegwalt expose plus brièvement sa pensée dans des « entretiens ».

  Sa théologie est à la fois audacieuse et traditionnelle, novatrice et classique. D’un côté, elle s’enracine dans une profonde piété, un grand respect du passé et une totale loyauté confessionnelle. De l’autre, avec hardiesse et ouverture, elle ne recule devant aucune remise en question et explore volontiers des voies insolites. En même temps très révolutionnaire et très conservatrice, elle harmonise paisiblement ce qui entraînerait chez d’autres des tensions, des contradictions ou des conflits insurmontables. Elle ne juxtapose pas des éléments disparates, elle les articule entre eux. Elle accueille beaucoup, à mon avis parfois trop (ainsi tout un pan de la mariologie) ; elle concilie ou réconcilie et rejette peu.

  Dans ce livre, je souligne, assez arbitrairement, en fonction de mes préférences, trois points.

  1. Le titre « Dieu est plus grand que Dieu » signifie que nous ne pouvons pas enfermer Dieu dans nos représentations ; il les dépasse toutes. On ne doit pas le réduire à ce qu’on en perçoit et comprend. Nous n’avons pas un contrat qui nous en donnerait le monopole. Nous avons raison de le qualifier de « Dieu personnel », mais tort si nous oublions qu’il est « plus que personnel ». Nous l’appelons « notre Dieu », mais il est aussi le Dieu de tout ce qui existe (pas seulement de l’être humain) et le Dieu de ceux qui n’ont pas de religion ou qui ont une religion différente de la nôtre. Ne rétrécissons pas, ne délimitons pas Dieu, sachons nous ouvrir à son universalité.

  2. Notre mission n’est pas de transmettre un « dépôt » de doctrines définies une fois pour toutes. Nous ne devons pas regarder en arrière, vers un passé à maintenir et à répéter, comme si Dieu était enfermé dans une révélation ancienne. Il nous faut penser sa présence et vivre son action dans le monde actuel qui a changé et ne cesse de bouger. « Dieu ne doit pas être simplement importé du passé dans le présent, mais il doit être discerné dans le présent », certes avec un regard « aiguisé » par l’histoire, mais dans le refus de tout immobilisme. La foi n’est pas fixe, elle est une dynamique qui place sur un chemin. Jésus se présente lui-même comme chemin.

  3. La technique a détérioré notre relation avec la nature. L’instrumentalisation de la terre en a fait oublier la valeur. Significativement, le paysan (l’homme du « pays ») est devenu « exploitant agricole ». En théologie, on a réduit la doctrine de la création à une explication des origines, alors qu’elle concerne le sens de ce qui existe et nous environne. Elle nous dit que la transcendance ne se rencontre pas au-delà et en dehors de la nature, mais en elle, au sein de l’immanence. Dans le monde et en moi demeure ce ou celui qui est plus grand et qui est autre que le monde et que le moi. S’il est différent, il ne vit cependant pas ailleurs.

  Ce livre donne un aperçu d’ensemble de la théologie de Siegwalt. Il donne à réfléchir et incite à méditer. La forme dialoguée le rend alerte et lui donne une épaisseur humaine ; les idées ont leur logique et leur cohérence propres, mais quand elles « s’incarnent » comme ici, qu’on les éclaire en les situant et en retraçant le cheminement de la pensée, elles prennent une dimension plus existentielle.

  Gérard Siegwalt, Dieu est plus grand que Dieu.

  Entretiens avec Lise d’Amboise et Fritz Westphal, Paris, Cerf, 2012, 292 pages.

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