Comment Dieu agit-il sur la terre ? Chacun a sa réponse, suivant l’interprétation qu’il donne de la puissance de Dieu. Le très vieux livre du Deutéronome avançait déjà quelques idées sur la question.
On lit dans le Deutéronome : « Au Seigneur ton Dieu appartiennent les cieux, les cieux des cieux, la terre et tout ce qui s’y trouve. […] Votre Dieu est le Dieu des dieux, et le Seigneur des seigneurs, le Dieu grand, puissant et redoutable […] qui rend justice à l’orphelin et à la veuve et qui aime l’émigré en lui donnant du pain et un manteau. Vous aimerez l’émigré, car au pays d’Égypte, vous étiez des émigrés. »
L’invention de Dieu ! Voilà un thème qui a fait travailler bien des lecteurs et sympathisants de notre journal : est-ce Dieu qui a inventé l’homme ou l’homme qui a inventé Dieu ? Ou bien les deux à la fois : par exemple, Dieu inventeur d’un homme qui aurait réinventé Dieu.
Le rabbin Pauline Bèbe disait un jour : « Dieu se transforme en fonction de ce que les hommes pensent de lui. » Quelle souplesse ! Ainsi, Dieu évoluerait, deviendrait autre suivant ce dont les hommes ont besoin. La théologie du Process n’est pas très loin.
Pas étonnant alors qu’au long des siècles, suivant les lieux et les cultures, les hommes n’aient pas pensé Dieu de la même façon, et que la Bible nous montre, d’un livre à l’autre, des formes bien différentes du Seigneur Dieu.
Alors qu’avant l’exil à Babylone, Yahvé était surtout le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu d’Israël, en quelque sorte, pendant et après l’exil, Dieu devient plus universel et règne sur tous les peuples et même sur toute la terre habitée comme le précise le Deutéronome.
Dieu est alors maître du ciel et de la terre, souverain de l’univers, « grand, puissant et redoutable ». Il domine donc l’humanité de sa hauteur et de sa magnificence. Mais de cette position élevée, il voit quand même les plus humbles, il s’occupe de la veuve, de l’orphelin et de l’émigré. Il leur donne du pain et un manteau, parce qu’il les aime.
Ainsi, Dieu le souverain de l’Univers est aussi le « secouriste de base ». Il va par les rues sombres et vole au secours de ceux qui manquent de tout. Il est aux deux extrémités de l’échelle sociale : le grand roi, puissant et redoutable, qui va s’occuper des plus démunis ; le Dieu infiniment grand qui se soucie de l’infiniment petit. Il relie l’immensité et la majesté du monde à sa misère.
Mais comment ce Dieu peut-il, de sa hauteur, parcourir les rues sombres, pour donner le nécessaire à chacun ? Le texte répond de lui-même : « Vous aimerez l’émigré. » C’est donc aux hommes de prendre le relais ; de prêter la main à Dieu dans cette action de sauvetage.
Car sa puissance est dans le ciel, c’est-à-dire dans un autre monde ; et c’est par sa Parole, celle de la Bible et celle de tous les prophètes et hommes de Dieu, qu’il peut inciter ceux qui vivent sur la terre à la compassion.
Etty Hillesum, femme juive hollandaise, morte à Auschwitz à 29 ans en 1943 avait eu le temps d’écrire ses mémoires, lorsque, peu avant Auschwitz, elle travaillait comme bénévole à Westerbock, une sorte de Drancy hollandais, qui orientait les pauvres juifs victimes des rafles vers tel ou tel camp de concentration. Elle faisait ce qu’elle pouvait pour donner du réconfort aux uns et aux autres, comprenant que ne comptait plus dans ce décor de souffrance que l’amour que l’on pouvait donner, fut-il trop éphémère. « L’amour du prochain est comme une prière élémentaire qui vous aide à vivre », écrit-elle.
Mais revenons à notre sujet. Elle écrit aussi : « Il m’apparaît de plus en plus clairement, à chaque pulsation de mon coeur, que Dieu ne peut pas nous aider. Mais que c’est à nous de l’aider et de défendre jusqu’au bout la demeure qui l’abrite en nous. » Ainsi, au plus profond de la détresse, Etty réalise que c’est aux hommes à accueillir Dieu, à rendre Dieu vivant, à lui permettre d’exister en étant ses agents d’exécution, en étant témoins agissant de son amour. Dieu règne dans le ciel, ce qui est une manière de dire qu’il est complètement au-delà de nos capacités de compréhension. Mais il nous fait comprendre comment le rencontrer : en aimant l’émigré.
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