Raphaël Picon vient de publier un ouvrage sur un sujet très peu travaillé et qui suscite bien des interrogations, voire des fantasmes : les exorcismes, les désenvoûtements, les guérisons. Les pasteurs sont souvent sollicités pour accompa- gner des hommes et des femmes qui se sentent possédés par un démon. Alors que faire ? Ces demandes de rites de délivrance sont souvent étonnantes et déconcertantes. Les Églises se doivent cependant de les accueillir positivement, et ce d’autant plus que ces sollicitations renvoient bien souvent à des situations de souffrance profonde. Cet accueil est en soi une forme de prédication : il témoigne de la justification par la grâce seule.
Comment réagir à ces demandes sans les refuser ou leur donner un poids trop considérable ? Raphaël Picon propose dans ce livre une réflexion protestante sur les démons, le diable et le mal qui souligne que leur puissance tient avant tout à l’illusion qu’il n’y a pas d’autres catégories pour comprendre la réalité. À partir d’un ensemble composite de séquences rituelles, de gestes, de prières, d’écoute et de lectures bibliques, il est possible de déjouer la perception que peut avoir une personne qui se sent la victime d’une puissance jugée maléfique.
L’exorcisme scénarise une sortie de la personne hors du monde de malheur qu’elle raconte pour lui faire expérimenter qu’elle est désormais enfant de Dieu et non plus instrument du diable. Le christianisme est le porte-parole d’un Évangile de libération contre toute forme d’aliénation ; l’exorcisme ne saurait donc remplacer une emprise par une autre. Le pasteur veillera dès lors à ne pas se transformer en gourou ou même en médecin. Il devra entrer dans le désordre qui vient à lui, faire sien le chaos de l’existence brisée qui se présente à son ministère, pour, sans s’y perdre, per- mettre à la souffrance d’être dite et accompagner la personne hors du mal qui la ronge.
Cet ouvrage présente de nombreuses considérations sur le rite, la prière, la lecture de la Bible, l’accompagnement spirituel. À travers la question de l’exorcisme, il propose une réflexion originale sur un christianisme pensé comme prédication de délivrance.
Extrait :
Nous souhaitons ici étudier et explorer les possibilités d’un rite de délivrance opéré dans les Églises. Nous le ferons en relevant la légitimité théologique de cette pratique qui contribue, selon nous, à mettre en œuvre un christianisme de délivrance, celui d’un salut pensé de manière prioritairement empirique, comme relevant de l’expérience et non de la seule conviction. Mais la mise en œuvre d’un tel rituel implique de clarifier ce dont le diable est le mot, ce qu’il désigne et la fonction qu’il occupe dans notre imaginaire. Car c’est bien ce monde du diable que les Églises et leurs clercs devront traverser, acceptant par là de se laisser déposséder de leur certitude et de s’exposer au désordre d’un monde brisé. Cette traversée du désordre œuvrera à rendre possible une nécessaire métaphorisation de la langue du diable afin de libérer la personne qui se livre du monde de chaos qu’elle raconte. Cette traversée risquée et nécessaire trouvera comme viatique un rite repensé comme médium d’une parole possible de Dieu. Elle usera de la prière, reprise dans sa dynamique narrative et créatrice, et proposera un accompagnement repensé dans une démarche herméneutique pour, Bible en main, découvrir dans le fracas de l’existence, au plus près de l’effroi de la mort et du tragique, un Dieu toujours et déjà en lutte ; ce Dieu exorciste qui lui seul, en nous, «guérit les malades et chasse les démons ».
Raphaël Picon, Délivre-nous du mal, Labor et Fides, mars 2013, 112 p.
Disponible auprès de la librairie protestante
http://www.arretauxpages.com/fiche_6756_Delivre-nous-du-mal
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