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Comment la paroisse de l’Oratoire est devenue libérale

La paroisse de l’Oratoire du Louvre fête cette année le bicentenaire de sa naissance. Et il y a presque 130 ans que la tendance libérale s’y est affirmée. En mai 1882, les candidats libéraux remportent les élections presbytérales dans cette paroisse : ils y obtiennent une moyenne de 215 voix, contre 201 aux candidats évangéliques (certains auteurs préfèrent utiliser le mot « orthodoxes », mais, depuis les années 1840, la plus grande partie des membres de cette tendance se désignent eux-mêmes sous le nom d’ « évangéliques ». Il nous semble donc logique d’utiliser ce terme). Et, depuis lors, l’Oratoire est une paroisse libérale. Pour comprendre ce résultat, il faut se reporter au début des années 1860.

  Avant 1860 à Paris, l’Église réformée constitue une seule entité. Mais cette situation est modifiée en 1860, à la suite de l’agrandissement de la capitale. En effet, pour rester fidèle à la tradition d’unité, on se contente de définir cinq paroisses « officieuses », avec chacune des pasteurs spécifiques : l’Oratoire, Sainte-Marie et Pentemont (l’ancien Paris), ainsi que Les Batignolles et Plaisance. On distingue la prédication « paroissiale », faite par le pasteur (ou les pasteurs à tour de rôle) dans la paroisse à laquelle ils sont affectés, et la prédication « générale », donnée dans le temple de l’Oratoire, selon un tour de prédication organisé entre les pasteurs de l’ancien Paris.

Cette organisation se maintient jusqu’en 1882, avec quelques aménagements : comme la population augmente, on délimite peu à peu de nouvelles paroisses officieuses, Belleville, Passy et le Saint-Esprit. De plus, en 1878 on réorganise la prédication générale ; désormais chaque pasteur sera appelé à prêcher dans toutes les paroisses de la capitale, le dernier dimanche de chaque mois étant réservé à cette nouvelle forme de prédication générale.

Par ailleurs, en 1852, l’État édicte que désormais les membres laïcs des conseils presbytéraux et des consistoires seront élus au suffrage universel masculin. Des élections sont donc organisées et elles sont remportées par les évangéliques. Ensuite en 1856 et 1859 (les membres laïcs sont renouvelés par moitié tous les trois ans), une liste de conciliation est mise au point et les évangéliques conservent la majorité.

Toutefois, le climat se tend peu à peu entre les libéraux et les évangéliques, parce que ces derniers sont choqués par les « hardiesses » des jeunes libéraux extrémistes, qui se mettent à contester explicitement la plupart des doctrines traditionnelles. Or les évangéliques estiment que ces extrémistes n’ont pas leur place dans l’Église. Ils reprochent donc aux pasteurs libéraux parisiens, qui sont pour la plupart des modérés, de céder ponctuellement leur chaire à des libéraux extrémistes – ou, pour les plus âgés, de réclamer des suffragants extrémistes –, dans le but d’affirmer le droit pour ces derniers de prêcher dans les chaires de l’Église. Si bien qu’après 1860, quand un poste est vacant (ou créé) les évangéliques, majoritaires, n’acceptent plus de nommer un pasteur libéral bien que les libéraux rassemblent une importante minorité des électeurs. Des deux côtés il s’agit d’une question de principe, qui conduit à un affrontement.

De ce fait, en 1861 les libéraux mettent sur pied une Union protestante libérale (U.P.L.), pour tenter de remporter les élections de 1862. Les polémiques sont vives, mais ils sont battus ; et les libéraux perdent aussi les élections de 1865, de 1868 et de 1872. Cependant, ils remarquent que, s’ils sont bien minoritaires dans l’ensemble de la capitale, ils sont majoritaires dans la paroisse officieuse de l’Oratoire. D’où l’idée de demander à l’État la division de l’Église en paroisses officielles, avec chacune un conseil presbytéral. Ainsi, s’ils remportent les élections à l’Oratoire, ils pourront y nommer des pasteurs libéraux. Ils en font donc la demande pour la première fois à la fin de l’année 1865, mais l’État refuse d’agir contre l’avis du consistoire.

Les données du problème se modifient à partir de 1872. En effet, las des querelles internes des protestants, l’État décide en 1870 de réunir un synode général. Cela mécontente les libéraux mais satisfait les évangéliques – qui l’ont demandé –, parce que ces derniers souhaitent voir adopter une Déclaration de foi, assez vague pour qu’elle convienne aussi à tous les libéraux modérés, mais assez précise pour que les libéraux extrémistes ne puissent pas l’accepter. Ce synode se réunit en 1872. Et, comme les évangéliques y sont majoritaires, il adopte une Déclaration de foi, très proche (à mon sens, tout au moins) de celle qui sera acceptée en 1938, lors de la formation de l’Église Réformée de France. Mais, même les libéraux modérés votent contre, non pas en raison de son contenu, qu’ils approuvent, mais parce qu’ils sont alors opposés au principe des Déclarations de foi obligatoires pour les pasteurs.

Par ailleurs, le synode adopte aussi des « conditions religieuses de l’électorat paroissial » qui sont acceptées par les évangéliques et par les libéraux modérés ; quant aux libéraux extrémistes, ils se contentent de s’abstenir. Et l’État, qui a convoqué le synode bien que la législation (les « Articles organiques » de 1802) ne mentionne pas son existence, décide de soutenir la mise en application de cette décision du synode, à laquelle même les libéraux extrémistes ne se sont pas opposés. Mais alors l’ensemble des libéraux refusent cette mise en application, parce qu’ils ne veulent pas reconnaître une autorité doctrinale au synode (problème de la Déclaration de foi).

De ce fait, en 1874 les libéraux parisiens qui n’acceptent pas les conditions religieuses de l’électorat adoptées par le synode sont radiés de la liste électorale. Ils décident donc de s’organiser à part, ouvrent leur propre registre électoral officieux, et procèdent à des élections à une sorte de Conseil presbytéral libéral officieux, appelé Comité libéral de l’Église réformée de Paris (et l’U.P.L. disparaît).

Puis, ils font appel au Conseil d’État, contre leur radiation de la liste électorale officielle en arguant du fait que, puisque la loi de 1802 ignore le synode général, et que l’État s’est contenté de convoquer un synode sans modifier la législation, les décisions de ce synode n’ont aucun caractère contraignant tant que le gouvernement ne les a pas approuvées, ce qui est le cas. Et, en 1880, le Conseil d’État leur donne raison.

De plus, en mars 1882 les libéraux obtiennent de leurs amis politiques au pouvoir la division de l’Église réformée de Paris en huit paroisses officielles, malgré l’opposition du conseil presbytéral et du consistoire. Les élections ont lieu en mai 1882. Certes, nous le savons, les libéraux remportent celles de l’Oratoire. Mais ils sont déçus parce qu’ils perdent d’assez nombreuses voix par rapport à 1872 et, surtout, ils sont battus dans toutes les autres paroisses, en particulier dans celle de Sainte-Marie où ils ét aient majoritaires en 1872.

De ce fait, comme l’Oratoire est la seule paroisse officielle contrôlée par les libéraux, celle-ci évolue. Au lieu de rassembler les fidèles qui habitent au centre de la ville, elle devient plutôt, peu à peu, une « paroisse de tendance », qui attire des libéraux habitant dans n’importe quel quartier. D’autant plus qu’en 1882 il a été entendu que les paroisses possédaient certes des limites géographiques précises, mais que les fidèles restaient libres de s’inscrire sur le registre électoral de la paroisse de leur choix, quel que soit leur lieu de résidence.

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À propos André Encrevé

est historien et professeur émérite d’histoire contemporaine à l’Université Paris-Est Créteil. Il est spécialiste du XIXe siècle et est l’auteur d’un Que sais-je ? sur le Second Empire. Il est docteur honoris causa de l’Institut Protestant de Théologie.

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