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Christianisme et religions: rupture ou continuité ?

Jésus, et le christianisme qui émerge après lui, font-il table rase des sagesses et philosophies qui les ont précédés, ou les ont-ils intégrées ?

Dans sa Chronique des treize lunes (Vevey, L’Aire, 2009), un « journal » tenu tout au long de l’année 2008, l’écrivain suisse romand Raphaël Aubert, jadis étudiant en théologie, se pose au passage la question suivante :

  « Pourquoi, durant près de 5000 ans, ce qui a constitué la grande philosophie égyptienne […] qui ne parle guère de résurrection, mais n’en a pas moins répondu aux aspirations des fidèles et a, pour ainsi dire, parfaitement fonctionné, oui, pourquoi ce savoir-là serait-il aboli ? Pourquoi serait-il caduc ? Parce qu’un homme, dénommé Paul et après lui l’Église, en aurait décidé ainsi ? Pourquoi ce que dit l’Hindouisme de l’infinie hiérarchie d’un divin infiniment complexe en même temps qu’il se fond en Brahmâ l’Unique, pourquoi la sagesse des védas, la plus ancienne du monde, […] pourquoi tout cela serait-il sans valeur simplement parce qu’un homme sur une route de Damas a eu un certain jour une vision ? Oui, pourquoi ? À défaut de le croire, j’ai de plus en plus de peine à l’admettre. » (p. 313)

  La question ne se pose pas seulement à propos de la résurrection, mais aussi tout simplement de Jésus : sa posture et son message impliquent-ils une rupture radicale avec les sagesses et les religions qui les ont précédés, ou s’inscrivent-ils au contraire dans une certaine continuité par rapport à elles ? Cette question n’est pas nouvelle. Elle s’est posée dès les débuts de l’ère chrétienne et ne cesse de rebondir jusque dans les colonnes d’Évangile et liberté : les lecteurs tant soit peu attentifs de notre périodique qui se veut « protestant libéral » auront probablement remarqué que, parmi nos collaborateurs, les uns misent sur l’absolue nouveauté de Jésus et de son Évangile, d’autres au contraire sur le fait que ce Jésus est dit le Christ parce qu’il manifeste l’émergence, certes incomparable, d’une relation à Dieu qui est une constante de l’histoire humaine.

  En termes d’école, c’est toute la problématique du « Logos », de la « Parole » dont le début de l’évangile de Jean affirme qu’elle était « au commencement », dès l’origine de tout, et qu’elle « a été faite chair [et] a habité parmi nous » dans la personne de Jésus. Les théologies libérales relèveraient-elles alors du courant des théologies dites du « Logos spermatikos », c’està- dire de la Parole qui engendre toutes choses dès les origines de tout ce qui est, ou bien verraient-elles dans le comportement et les paroles vraisemblablement les plus authentiques de Jésus de Nazareth une exigence impérieuse de rompre enfin avec les vieilles et sempiternelles habitudes « religieuses » de l’humanité ?

  Pour citer des noms, mais en simplifiant beaucoup leur pensée, Harnack (1851-1930), Schweitzer (1875- 1965) ou Bultmann (1884-1976) seraient plutôt du côté des rupteurs, Schleiermacher (1768-1834), Sabatier (1839-1901) ou Tillich (1886-1965) de celui des conciliateurs. Chez ces théologiens, ce ne sont toutefois que des tendances : ils savent ne pouvoir être entièrement d’un côté ou de l’autre, car il y a toujours et nécessairement tension entre ces deux pôles ou ces deux options de la pensée chrétienne. L’important est d’abord d’en prendre conscience ; ensuite, le plus souvent au gré des circonstances, de porter l’accent sur un aspect plutôt que sur l’autre, sans jamais exclure que l’autre puisse avoir raison. Le vieux débat entre sagesse et prophétisme ne sera jamais à son terme, en particulier au sein d’un protestantisme toujours tenté de faire prévaloir les fulgurances du prophète sur les exigences réflexives du sage.

  Et l’apôtre Paul ? Avec la question qu’il s’est posée à son propos, Raphaël Aubert rappelle à juste titre que sa pensée, du moins telle qu’il l’a comprise, représente un aspect seulement de la conception chrétienne. C’est une hérésie nécessaire que de savoir la mettre elle aussi en question.

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À propos Bernard Reymond

né à Lausanne, a été pasteur à Paris (Oratoire), puis dans le canton de Vaud. Professeur honoraire (émérite) depuis 1998, il est particulièrement intéressé par la relation entre les arts et la religion.

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