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Charité ou égoïsme ?

Est-ce pour nous faire plaisir que nous essayons parfois d’aider notre prochain, ou est-ce réellement le signe d’un amour gratuit ?

Un discours quelque peu délétère affirme que ceux qui pratiquent la charité le font parce qu’ils y trouvent un intérêt… Ce discours sert souvent de justificatif à ceux qui le tiennent et qui ne font rien pour aider leur prochain dans le besoin. Le problème posé est l’intérêt que l’on trouve à pratiquer la charité. Tout le monde, d’une manière ou d’une autre, un jour ou l’autre, a vécu des moments de partage sans se poser la question de savoir quel intérêt il y trouvait.

Il n’en demeure pas moins vrai que la charité demande toujours un investissement de temps, d’énergie et de finance. Le bon Samaritain de la parabole s’arrête (temps investi), soigne (énergie investie), et paie l’aubergiste (finance investie). La question demeure donc : y a-t-il un intérêt personnel à pratiquer la charité ? Derrière un acte altruiste, n’y a-t-il pas une forme d’égoïsme caché ?

« Dieu est amour », cette affirmation de la première lettre de Jean résume l’ensemble du message des Écritures ; de l’acte créateur dans la Genèse à la démarche de Jésus-Christ. Certes, Dieu est Dieu et se suffit à luimême et l’amour de Dieu affirme une gratuité absolue. La démarche de Dieu révélée dans la Bible montre donc une grande cohérence avec l’affirmation johannique. L’amour sans geste pour le prochain ne reste au mieux qu’un sentiment.

En fait, nombreuses sont les raisons pour lesquelles on s’engage pour aider ceux qui en ont besoin, de manière gratuite non rémunérée mais non sans intérêt ! Par exemple : la satisfaction du devoir accompli, « suivre les pas du Christ », savoir qu’on est bon. Ici on ramène à soi le bénéfice de l’acte accompli : je me regarde dans la glace et je vois quelqu’un de bien ! Satisfaction liée à un pouvoir : je suis « mieux » que la personne aidée, et comme le dit le proverbe : « La main qui donne est toujours au-dessus de celle qui reçoit. » On peut aider aussi dans un esprit de « donnant-donnant » : j’aide pour être aidé à mon tour si nécessaire. Peut-être plus cynique est l’aide suscitée par la peur des pauvres. On les aide pour éviter leur révolte.

Dans les exemples qui précèdent, la charité, au fond, ne tient pas compte des personnes aidées. Ce qui compte, c’est le geste qu’on fait. Pas ou peu de lien avec le malheureux. Il y a là une forme d’égoïsme masqué derrière un geste d’apparente générosité où on met sa conscience en paix (ce qui n’exclut pas une certaine efficacité).

La noblesse de l’acte envers le prochain réside dans un désintéressement total qui trouve sa joie dans un acte d’amour où c’est d’abord l’autre dans son être qui est pris en compte ; le lien tissé avec lui, la prise en compte de sa richesse humaine font que l’acte de charité peut devenir un échange, un moment de communion. La charité est un acte de reconnaissance et de dignité, elle n’a de sens que dans le cadre d’une gratuité échangée, libre, spontanée et joyeuse.

Comprenons que la charité procure de manière consciente ou inconsciente un certain plaisir, une certaine joie. Deux raisons à cela.

Premièrement, à la suite du philosophe Gustave Thibon (1903-2001), on peut discerner deux types d’égoïsmes : le premier égoïsme enferme l’individu sur lui-même, lui fait mépriser le monde. Véritable égocentrisme narcissique et dangereux dont il faut se méfier. Mais il y a un autre égoïsme qui consiste à se faire plaisir en faisant du bien aux autres, sans calcul ou raisonnement. C’est un égoïsme généreux (cette contradiction apparente exprime pourtant la réalité).

Deuxièmement, point primordial, avoir du plaisir à faire le bien, c’est vivre d’amour-agapè. La gratuité n’exclut pas un plaisir qui résulte de la joie en laquelle on peut voir le signe de la grâce…

Si, de manière consciente ou inconsciente, on fait du bien pour se faire plaisir, le « pour » détruit la notion de grâce et d’agapè. Mais, si parce qu’on fait du bien on y trouve de la joie, le « parce que » signe ici la grâce.

L’agapè est bien le signe d’un amour absolument gratuit, l’agapè est de Dieu. Si nous vivons de l’agapè de Dieu, à notre niveau, cette gratuité devient impossible car nous ne sommes pas Dieu. Mais, dans l’éclairage de l’agapè divin rien ne nous empêche de vivre la joie de la communion, de l’entraide, du Royaume…

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À propos Vincens Hubac

est pasteur de l’Église protestante unie de France au Foyer de l’âme, à Paris. Il est engagé dans la diaconie et intéressé par le transhumanisme.

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