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Au jardin de la résurrection : la tentation de Marie

Le quatrième évangile est le seul à situer explicitement le tombeau de Jésus et la première apparition du Ressuscité dans un jardin. Plusieurs indices incitent à voir en toile de fond de son récit de Pâques le jardin de la Genèse, l’Eden. Mais où se cache donc le serpent ?

  L’événement fondateur du christianisme tient dans le mot « résurrection ». Dire que la puissance de Dieu surpasse celle de la mort, dire que celui qui a été crucifié n’a pas été englouti dans la mort, dire qu’il est vivant et que, par cette vie surgie de la mort, est renouvelé le sens de l’existence des croyants, cette confession est mise en récit à travers une expérience humaine.

  L’évangile de Jean met en scène une de ces expériences avec la figure de Marie de Magdala : une femme dans un jardin, qui cherche le corps d’un mort, et qui rencontre un vivant. Quelques mots et quelques images suffisent à évoquer l’Eden : un premier jour, un jardin, un homme-jardinier (car telle était la mission de l’humain en Eden), une femme nommée par l’homme, la nécessité de quitter le jardin. Qu’en est-il alors du serpent et de la tentation qui pousse l’homme et la femme à manger le fruit de l’arbre défendu ?

  Marie de Magdala est arrivée dans le jardin éperdue de chagrin, perdue dans la fascination de la mort. Elle veut mettre la main sur le corps de Jésus, le trouver, le prendre, le garder. Celui qu’elle croit être un jardinier et qui est le Ressuscité l’arrache à la sidération de la mort et la rappelle au présent en l’appelant par son nom. Mais Marie croit encore que celui qui se tient auprès d’elle est le même que celui qu’elle connaissait et qui a été crucifié. Son élan vers lui se tient en un mot : rabbouni, ce qui signifie Maître. Quelques mots de Jésus coupent alors cet élan : ne me touche pas ou ne me retiens pas. Par ce verbe est interrompu le désir de Marie de retenir celui qui est là afin qu’il ne disparaisse plus, son désir de le retenir pour retrouver le passé avec Jésus. Or le corps du Ressuscité n’est pas à toucher, bien qu’il soit touchable, comme le feront comprendre les récits de la rencontre avec Thomas et du repas sur la plage. Ce corps n’est pas à toucher par Marie car son désir de toucher signifie une mainmise sur ce qui ne peut être possédé.

  Toucher/retenir le corps, ou manger le fruit comme en Eden, c’est la tentation de vouloir autre chose que ce qui est donné, comme limite ou comme présence, tentation qui se trouve mise en évidence en Genèse comme en Jean, avec son risque et son efficacité potentielle. Nul besoin d’un serpent dans le jardin de la résurrection ; le désir humain de l’appropriation de l’autre passe par les sens de l’humain : voir, toucher, goûter, dans une intériorité indéracinable, profonde, voire secrète. Que la tentation se tienne aussi près de la révélation, aussi près de la reconnaissance du Vivant, aussi près de la confession de foi n’est pas pour surprendre le lecteur des évangiles : le récit de la tentation de Jésus suit immédiatement celui de son baptême, et Pierre, le disciple qui suit Jésus de près, refuse d’accepter que le Christ doive souffrir et mourir… L’élan de la foi porte intrinsèquement en lui la possibilité d’un « trop » ou d’un « pas assez » qui pourrait lui faire manquer son but.

  Toucher ou retenir, ou manger, la dimension corporelle affirmée et assumée par le verbe et par la mise en scène de la tentation focalise l’attention sur le corps de l’autre. Celui du Ressuscité ne peut être touché, ni par Marie, ni par aucun des disciples lisant l’évangile. Mais cette même dimension corporelle est devenue symbole de l’amour mutuel auquel les disciples ont été appelés par le geste du lavement des pieds. La mission confiée à Marie auprès des disciples devenus des frères au travers de ce que Jésus a fait en leur lavant les pieds indique de quelle manière la tentation peut être retournée, comment le toucher peut passer de la signification de l’appropriation à celle du service, et comment la Bonne Nouvelle de la résurrection prend aussi en charge le corps des vivants.

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À propos Dominique Hernandez

est pasteure de l’Église protestante unie de France au Foyer de l'Âme à Paris

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