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« À un ami israélien »

Les relations difficiles entre Israël et la Palestine font l’objet d’un livre écrit par Régis Debray, en dialogue avec Élie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France. Deux regards lucides et intelligents sur le drame de cette terre.

Il y a de par leur retentissement des crimes essentiels et des hécatombes insignifiantes. Le voisinage, l’histoire, la parenté en décident. C’est injuste, odieux même, mais c’est ainsi. »

  Le ton est donné dès le chapitre introductif : « Courage, parlons-en. » Avec sa manière de s’exprimer très personnelle, Régis Debray pose le problème de manière crue. Pas de compromis. Provocation ? Indignation ? Recherche d’objectivité ? Recul nécessaire ?… Un peu tout cela sans doute. Il est bien vrai qu’un mort au Darfour ou au Congo, nous laisse indifférent. Un tag sur une synagogue va nous remuer davantage. Problèmes humains ! En fait, comme l’écrit l’auteur, certains événements, certains crimes engagent notre civilisation, d’autres beaucoup moins. Deux poids, deux mesures donc.

  Régis Debray écrit sept lettres à un ami israélien : Élie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France. Il ne veut pas éviter la réalité. Il fallait quelqu’un qui aime Israël autant que les Palestiniens, quelqu’un qui ait à la fois le courage de s’exprimer comme il le fait et la notoriété pour le faire. C’est avec ce sens critique qu’est analysé le problème des relations israélo-palestiennes.

  La lecture laisse un goût amer, la nostalgie d’un temps révolu, d’occasions ratées et d’espérances déçues. Au sortir de la 2e guerre, l’Occident soutient le jeune État hébreu : promesses à tenir après la déclaration de Balfour, culpabilité évidente après les camps. L’État d’Israël laïc et socialiste, avec les expériences communautaires des kibboutz, suscite l’intérêt. Les menaces des pays arabes, dix fois plus nombreux, en revanche, n’attirent que des antipathies, bien qu’ils aient eu à accueillir cinq cent mille réfugiés de Palestine… Deux poids, deux mesures.

  Israël a le vent en poupe… Les choses basculent lors de la guerre des six jours. R. Debray souligne bien qu’une occasion de paix a été ratée : restitution des territoires occupés contre la paix et la reconnaissance d’Israël. Hélas, rien de cela. L’armée prend de plus en plus de place. Le discours devient plus religieux, la langue, résurgence de l’hébreu biblique, est un indice important. L’affrontement David hébreu contre Goliath arabe s’inverse par un surarmement militaire et technologique israélien. La peur, soigneusement entretenue, fait face à une haine de plus en plus forte. Le nombre de victimes est sans commune mesure entre les deux camps. En gros, l’utilisation du sionisme à des fins religieuses et nationalistes, et, fait beaucoup plus grave, l’entretien de la culpabilité, servent à justifier la domination d’Israël. Il ne faut ni instrumentaliser ni banaliser la Shoah, ce qui la dénature. L’horreur des camps ne doit en aucun cas être oubliée, mais elle doit être préservée d’utilisations politiques discutables.

  Notre sympathie va à Israël qui reste, au coeur du Moyen Orient, une vitrine de la culture occidentale. Il est vrai aussi que New York est la ville qui compte le plus de juifs. Les avertissements d’États et d’instances internationales sont, de fait, rendus caducs. Israël le sait et passe outre. C’est un jeu dangereux. La puissance s’étiole toujours un jour ou l’autre, sans parler du problème démographique : des arabes musulmans vivant à l’intérieur de l’État d’Israël ont une démographie bien plus élevée que les juifs… Comment sortir du drame, réconcilier les inconciliables ? Israël et Ismaël sont condamnés à vivre ensemble. Construire un mur rend aveugle et regarder l’autre par la fenêtre d’un tank rend myope. Israël domine, c’est pourquoi, sans excuser les roquettes palestiniennes, à la fin de sa dernière lettre Régis Debray écrit : « Il ne dépend que de vous de trouver des portes cachées dans les murs qui vous cernent, des brèches dans votre citadelle à rouvrir ou creuser… »

  Les réponses d’Élie Barnavi sont des trésors de mesure et d’intelligence. Il corrige ici et là les lettres quelques peu enflammées de R. Debray. Il est assez réceptif au message de l’auteur, tout en sachant le recadrer. Il s’inscrit parfaitement, tout comme Régis Debray (dont les critiques sont toujours constructives), dans l’état d’esprit de Daniel Barenboïm et de son orchestre israéloarabe auquel le livre est dédié. Il y a là des intelligences capables de regarder la réalité en face, et capables aussi de construire un monde meilleur.

  • À un ami israélien ; Avec une réponse d’Élie Barnavi, Série « café Voltaire », Flammarion, 2010.

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À propos Vincens Hubac

est pasteur de l’Église protestante unie de France au Foyer de l’âme, à Paris. Il est engagé dans la diaconie et intéressé par le transhumanisme.

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