Lexpression de
la foi na jamais été simple et na jamais fait
lunanimité. Il a fallu plusieurs siècles pour élaborer
les grands symboles de lÉglise : Credo, Symbole de Nicée,
Symbole dAthanase, etc. Au XVIe siècle, les confessions
rédigées par les Églises protestantes attestent
aussi une variété. De plus, les confessions de foi ont
souvent été écrites en fonction de courants minoritaires
ou hérétiques : il fallait réunir, recentrer, éviter
léclatement par un consensus longuement discuté.
Ces affirmations ont souvent conduit à lintolérance
au sein dune même Église et entre les Églises.
Aujourdhui les débats sont apaisés même sils
nont pas disparu. Les questions dhier se posent toujours
et le libéralisme évangélique, sil a moins
de visibilité quhier, nen est pas moins un courant
vivant et nécessaire dans un monde où lintégrisme
religieux a de plus en plus pignon sur rue.
Aujourdhui, dans lÉglise, beaucoup
se disent libéraux parce que, pour eux, ce courant nexiste
plus et dautre part parce que ce quil avait de meilleur
a été accepté par tous (ou presque) : la méthode
historico-critique chère aux libéraux du XIXe siècle.
Mais est-il si simple de réduire le libéralisme à
une méthode de lecture ? Évidemment non ! Le libéralisme
reste un courant dynamique, ouvert et moderne, avec une histoire et
un avenir. Il se définit aussi par un état desprit
fait douverture, de liberté de pensée, de réflexion
et de tolérance.
Avec la Réforme et les Lumières, le libéralisme
évangélique sinscrit dans un grand courant de pensée
fondé sur la lecture de lÉcriture et sur un esprit
de tolérance, de recherche, pouvant conduire à des remises
en cause des dogmes et des ecclésiologies. Ses ancêtres
sont les sociniens, Castellion, Moïse Amyrault de lAcadémie
de Saumur, le philosophe Pierre Bayle. Le libéralisme évangélique
saffirme au XIXe siècle avec F. Buisson, Pressensé,
Ménégoz, Sabatier, puis il sengage dans le christianisme
social quil soutient toujours avec force. Charles Wagner, Wilfred
Monod et son fils Théodore, A. N. Bertrand, Gounelle, Loriol
prolongent la pensée libérale dans le XXe siècle.
Le libéralisme apparaît comme un engagement
personnel, une espérance qui se vit dans la rencontre entre la
Parole de Dieu et la raison humaine. Toujours dans la liberté
de penser et de croire, de chercher, de remettre en cause tout en affirmant
ses convictions, il sengage dans toutes formes de diaconie, avec
une piété forte, ainsi les Veilleurs fondés par
Monod. Le lecteur la compris il est difficile de définir
le libéralisme qui, du reste, ne supporterait pas dêtre
enfermé dans une définition. Essayons cependant de cerner
ce courant en dix points.
1. Comprendre ce que lon croit.
Quils affirment leur foi ou leurs doutes, les libéraux
cherchent à comprendre ce quils croient ou refusent de
croire. Le libéralisme nest pas le courant rationaliste
du XIXe siècle mais il est bien la valorisation de la raison
mise au service de la foi pour en dégager lessentiel. Cette
forme de liberté face aux dogmes fait du libéralisme évangélique
un des aboutissements de la Réforme.
2. Le libéralisme est évangélique,
il sappuie sur la Bible.
Par là il sinscrit dans la pensée
de la Réforme. Mais la volonté de comprendre et limportance
de la raison dans la démarche de foi ont donné naissance
à une lecture critique des textes, dont A. Schweitzer fut un
initiateur en France.
3. La raison nempêche pas dêtre
à lécoute du message de Dieu.
Là encore lÉvangile est au cur
de cette écoute. Mais la prière et la spiritualité
ont une place importante comme dans tous les christianismes. Le libéralisme
nest pas quun rationalisme qui le conduirait vers une négation
de la foi. Lexpérience personnelle est caractéristique
du libéralisme.
4. Pour les libéraux, les dogmes et doctrines
passent après la Parole de Dieu et lexpérience.
Le libéralisme ne laisse pas enfermer la foi dans
une dogmatique. Il évite les formules, les spéculations,
la superstition. À la résurrection, le libéralisme
préfère léternité, et la lecture des
évènements de Pâques est faite pour en chercher
le sens et non la réalité toujours discutable. La dogmatique
ne peut être avancée quau prix du doute et de lécoute
des autres. Le libéral se méfie aussi de tout ce qui peut
être assimilé à de la magie. Il cherche la portée
de lÉcriture pour aujourdhui.
5. Institution et sacrements ont un rôle secondaire
et peuvent être remis en cause ou discutés quant à
leur valeur symbolique, même si le libéralisme a bien conscience
de lutilité pratique de linstitution et des sacrements.
6. Les libéraux affirment leur foi en Dieu.
Dieu est souvent défini par lAmour et lEsprit.
La foi libérale nest pas très religieuse puisquelle
sexprime dans une simplicité qui cherche à exclure
les systèmes religieux, croyances diverses, confessions de foi,
etc. La foi en Dieu est optimiste, elle est la réponse au «
oui » de Dieu à lhumanité. Le libéralisme
est souvent théocentrique.
7. Le Dieu Amour tel quil est perçu est
proche de lhumain et la grâce est accordée aux hommes
quels quils soient. Le libéralisme est universaliste.
8. La personne de Jésus est peut-être ce
quil y a de plus discuté dans le libéralisme.
Ce qui compte cest la prédication de Jésus
beaucoup plus que sa personne dont on ne sait pratiquement rien. Jésus
est homme, sa mort est un scandale, une tache sur lhumanité,
mais elle nest pas expiatoire. Comment Dieu accepterait-il une
telle souffrance ? Le sacrifice est-il nécessaire au pardon ?
Et la doctrine du péché, archaïque, culpabilisante,
voire abêtissante, a-t-elle quelque écho ? Est-elle vraiment
biblique ?
La résurrection est aussi remise en cause quand
les récits sont pris au « pied de la lettre ». La
résurrection cest dabord celle de celui qui entend
une parole despérance et damour et qui y puise la
force et la joie dune vie nouvelle. Il est vrai que le libéralisme
est souvent défini comme hérétique (adoptianiste1
en général, arien2
parfois), il en a conscience et assume la critique.
9. Un Dieu Esprit et Amour, Jésus humain conduisent
à un optimisme anthropologique.
Les libéraux croient que Dieu appelle lHomme
au Salut gratuitement, à la fois collectivement et individuellement.
Cet appel sadresse à lHomme dans son entier, lui
ouvrant la voie à la liberté de penser et de croire ainsi
quà laccueil des valeurs culturelles. Le libéralisme
admet en son sein une grande variété de courants. La conscience
de chacun peut sexprimer au plan moral, la raison de chacun peut
sexprimer au plan de la connaissance, et lexpérience
religieuse de chacun est toujours respectée. La liberté
est une caractéristique du libéralisme évangélique.
10. Le libéralisme est un christianisme ouvert
aux autres courants religieux ou philosophiques, non seulement à
ceux inspirés par la Bible mais aussi aux autres : islam, bouddhisme,
par exemple. À chacun il reconnaît une part de vérité
qui sexprime dans des cultures, des pensées, des inspirations,
des histoires, des époques différentes.
Ouvert aux cultures et aux sciences, le libéralisme
est un lieu déchange et de dialogue. Il cherche toujours
à mettre lenseignement de la Bible à portée
de ceux auxquels il sadresse. Aujourdhui lastrophysique,
larchéologie, la psychanalyse, la philosophie sont autant
doutils mis au service de la rencontre avec Dieu et de la compréhension
de sa Parole. Le libéralisme évangélique est un
humanisme.
Ces dix traits ont essayé de dessiner le paysage
du libéralisme. Il ne faudrait surtout pas penser quen
adhérant à ces dix points ou à la majorité
dentre eux on soit catalogué comme libéral ! Cest
surtout la liberté de penser et de croire, pouvant aller jusquà
la reconnaissance dun christianisme athée, qui caractérise
ce courant chrétien. État desprit moderne, manière
dêtre sinscrivant contre toute forme de pensée
unique, de manipulation, le libéralisme sinscrit aujourdhui
dans lactualité, peut-être aussi dans lurgence.
Vincens
Hubac
1. Jésus est adopté
par Dieu comme son fils à lheure de son baptême (cf.
Mc 1,11). Il nest pas fils de Dieu par et à sa naissance.
2. Arianisme (cf. Arius) : doctrine
qui met en question la manière classique de concevoir la divinité
de Jésus.