Flux migratoires, sécurité, identité,
mondialisation
Comment trouver une réponse à ces
questions et sortir des inquiétudes quelles suscitent
? Jean-Pierre Cavalié, de la Cimade, pense que les valeurs
éthiques doivent dominer les valeurs financières. Louverture
de toutes les frontières est peut-être la solution !
Vers une citoyenneté cosmopolite
et louverture des frontières
Périls écologiques
majeurs, guerres, crises économiques, migrations meurtrières,
accroissement vertigineux des inégalités, montée
des intégrismes violents... Et si une solution crédible
et durable aux grands défis actuels résidait dans louverture
mondiale des frontières et la fin des souverainetés nationales
? Certes, les discours sécuritaristes nous assènent tellement
linverse quil faut une certaine dose de « folie »
pour sengager sur cette voie. Et pourtant, à y regarder
de près, la fermeture des frontières arrimée à
lidée de souveraineté nationale ressemble déjà
à un mirage du passé.
Dans de nombreux domaines, ce ne sont plus les États
qui décident en dernier lieu mais des instances internationales
(OMC, Banque Mondiale, Communauté Européenne, lobbies,
sans oublier les conventions internationales signées). En France,
les frontières ont été officiellement fermées
aux étrangers en 1974, au moment où la mondialisation
néo-libérale commençait à imposer à
lensemble de la planète la libre circulation des capitaux,
des biens et des services. La fermeture des frontières sert moins
à protéger les populations quà les contrôler
(les papiers didentité ont été instauré
en 1917 pour les étrangers afin de contrôler leurs mouvements,
puis ont été généralisés à
lensemble de la population en 1940, sous Vichy, dans le même
souci) et les mettre en concurrence sur le marché du travail.
Dailleurs, avant 1974 la France nétait
pas « envahie » par les étrangers, cétait
même le gouvernement qui, au nom des grandes entreprises, allait
les chercher. Et lorsque lUnion Européenne a ouvert ses
frontières intérieures, les pays traditionnellement démigration
Espagne, Italie, Portugal ou Grèce ne se sont pas
jetés à lassaut des pays plus riches comme la France
ou lAllemagne ; au contraire, ils sont devenus des pays dimmigration,
notamment pour des raisons de déficit démographique et
de « besoins » en main duvre. Cela signifie
qualliée à une politique cherchant plus déquité
économique, louverture permet que des disparités
criantes diminuent.
Louverture des frontières nest pas
une recette magique, mais elle nous situe au niveau où les problèmes
se posent : lhumanité et ses deux registres, la planète
et léthique. Chacun sait en effet que les défis
majeurs daujourdhui nont aucune solution à
lintérieur des seules frontières nationales. Par
ailleurs, les valeurs comme lamour, la solidarité, la justice...
ne peuvent sarrêter aux limites nationales. La question
nest plus de savoir sil faut ouvrir ou pas les frontières,
car la mondialisation est là, mais plutôt de savoir quelle
mondialisation nous voulons : celle qui est commandée par la
règle du profit financier maximum ou celle qui obéit aux
valeurs éthiques fondamentales ?
Pour ouvrir les frontières, il faut dabord
le faire dans sa tête en acceptant que la notion détranger
soit devenue obsolète et que nous devions chercher dabord
le bien de lhumanité, présente et à venir.
Se situer à ce niveau-là nous engage à
trouver des modes de vie non-sacrificiels qui nassoient pas le
bien-être de certains sur le malheur des autres. Nous devons avancer
vers la notion de « biens publics mondiaux » selon laquelle
les richesses de la planète (eau, pétrole
) devraient
être gérées pour le bien de toute lhumanité.
Cela ne sera possible quà travers une gouvernance mondiale.
Elle existe déjà (OMC, FMI, ONU
) mais elle nest
pas démocratique. Le défi est quelle le devienne
sur la base des valeurs éthiques et non plus monétaires.
Cest sûrement la première fois dans lhistoire
que les humains sont ainsi placés face à leur humanité
une et entière, avec le défi de la gérer communément,
je dirais même fraternellement. Si loikoumenè (nous
ne formons quune seule maisonnée) a un sens, cest
bien aujourdhui.
Jean-Pierre
Cavalié
À lire : Propositions pour une gouvernance mondiale
au XXIe siècle (dir. Pierre Calame), Fondation pour le Progrès
de lHomme, éd. Charles Léopold Mayer, Paris, 2003.