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Numéro 208
Avril 2007
( sommaire )

Débattre

Le politique est-il en déclin ? Non, répond le sociologue Michel Wieviorka dans un ouvrage collectif paru récemment, et qu’analyse Antoine Bosshard, journaliste au quotidien suisse Le Temps.

Les mutations du politique

Le déclin du politique est un leitmotiv récurrent. Il suscite études et articles de revues. Il entretient le pessimisme des élites, quand l’opinion, elle, a décidé : selon un sondage récent, les deux tiers des Français estiment que « les hommes politiques ne se préoccupent pas – ou très peu – de ce que pensent les Français ». Mais peut-on réenchanter le politique, et comment ? s’est demandé une poignée d’universitaires – sociologues, historiens, économistes – à la fois français et étrangers, tous réunis par Michel Wieviorka. De leurs débats, l’auteur publie, en leur nom, un condensé assez nuancé pour faire réapparaître leurs divergences et la complexité du thème retenu *.

Car il y a crise : crise intérieure aux démocraties, où les élus sont dépassés par l’évolution de la structure sociale et par la poussée des inégalités. Nous ne sommes plus au XIXe siècle, ni au XXe où, en gros, s’opposaient deux grands groupes sociaux ; où les promesses des idéologies faisaient naître les « grands récits », comme le dit François Lyotard. Les idéologies sont mortes. Apparaissent des sociétés plus complexes, plus éclatées, où les hommes politiques sont mal préparés à faire face à des demandes culturelles : on ne peut traiter celles-ci avec les outils habituels, conçus avant tout pour des demandes sociales et économiques. La montée des individualismes, les pulsions, les violences religieuses viennent encore compliquer le jeu.

Pourtant, notent les universitaires réunis ici, tout n’est pas perdu, loin de là. Les institutions politiques génèrent de nouveaux espaces à la démocratie – telles les Cours constitutionnelles, les commissions indépendantes, du type Stasi sur le voile islamique, en France. Voire la démocratie directe. De leur côté, les nouveaux médias – blogs et internet – offrent des lieux inédits d’échange et de mobilisation. Peu structurés, certes, mais bien vivants. À la subjectivité personnelle se mêle aujourd’hui le culturel qui, autour de thèmes comme la religion, la femme ou la procréation, réveille d’intenses débats. Comme si la démocratie, loin de s’affaisser, changeait de lieux et de formes.

Le déficit du politique, on s’en doutait, a aussi ses causes externes. La surpuissance des États-Unis, surtout depuis la chute de l’URSS, est source de formidables déséquilibres. Elle met en relief la faiblesse européenne. Et pourtant, dans le cas du conflit israélo-palestinien, elle est la seule à pouvoir imposer un accord de paix à ses acteurs.

Plus que d’une vaste confrontation entre islam et christianisme, prophétisée par Huntington, on parlera de leur interpénétration, et certains intellectuels – tel Ramadan – peuvent jouer, là, les truchements. La mondialisation, tant conspuée, est reçue très différemment d’un pays à l’autre, selon qu’on la voit de Turquie (qui s’y adapte) ou du Mexique, qui l’associe rituellement au voisin américain. Nos chercheurs notent que le refus du protocole de Kyoto par les USA ne retient pas les autres démocraties de s’y conformer. Souvent mal perçue dans les opinions, la tutelle de Bruxelles sur les 25 ne l’empêche pas d’avoir des effets très positifs sur l’extérieur, par les règles du jeu qu’elle impose aux candidats.

Le réenchantement alors ? On le trouvera dans l’emballement des jeunes pour l’humanitaire et les ONG qui les structurent. Dans la vigueur du mouvement altermondialiste, souvent piégé par l’utopie et la peine qu’il a à s’articuler dans les enjeux mondiaux. Au reste, il n’est pas seul : dans le monde entier, des milliers d’initiatives autonomes et d’organismes tentent de donner corps à une grassroots democracy (démocratie de base). Mais l’étude désigne d’une part les possibilités qu’offre malgré tout l’État-nation pour articuler un projet aux enjeux mondiaux. Voire l’échelon local et régional. Elle veut croire, de l’autre, à un aggiornamento des institutions elles-mêmes ; qu’elles soient plus attentives, demain, aux personnes : des individus réels et non des êtres abstraits, dans les écoles, les hôpitaux ou les prisons. Enfin, que soient redessinées de manière neuve les relations entre le secteur public et le privé. Une université, une école, un hôpital confiés à des organismes privés, mais que l’État paie : pourquoi pas ? Bref, le futur peut se réinventer. Et l’Europe, devenir un « espace privilégié de renaissance des idées et des formes de la démocratie ». feuille

Antoine Bosshard

* Michel Wieviorka (ouvrage collectif), Le printemps du politique – Pour en finir avec le déclinisme, Laffont, 2007.

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