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Numéro 205
Janvier 2007
( sommaire )

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L’affaire déjà relativement ancienne des fameuses caricatures de Mahomet ne s’est pas limitée à une opposition entre liberté de la presse et respect des traditions religieuses. Elle nous pousse à approfondir la question de l’interdit de la représentation.

Tu ne te feras pas d’idole

Depuis que l’homo sapiens a pris conscience qu’il était dominé par les forces de la nature, il a été tenté de représenter ces forces, afin sans doute de pouvoir entrer plus facilement en contact avec elles, dans le but de les rendre favorables à l’homme par le biais de la prière et des rites. À partir de cette hypothèse, d’autres facteurs entrent en jeu pour tenter d’expliquer la présence ou non de représentations du divin.

1. Le nomadisme ou la sédentarité. Il semblerait que les nomades aient eu moins de représentations du divin que les sédentaires. Cela tient, peut-être, à la difficulté du transport des images. Le nomade s’allège le plus possible.

2. Une conception anthropomorphique ou, au contraire, spirituelle de la divinité. Le cas le plus révélateur nous est donné lors de la réforme amarnienne de la religion égyptienne antique. Voulant établir un culte spirituel du soleil, le pharaon Akhenaton supprime toute représentation du divin, à l’exception du disque solaire. Privilégiant ainsi une image conforme à la réalité au détriment d’une caricature anthropomorphique du soleil. Le refus de la représentation du divin s’accompagne, logiquement, d’un développement de l’altérité et de la transcendance du dieu. En ne le représentant pas, le religieux veut souligner la distance qui existe entre le divin et l’humain, le céleste et le terrestre. La représentation du divin cherche, au contraire, à établir des liens de ressemblance, de parenté, voire de nature entre les deux mondes.

Ces deux facteurs se sont, peut-être, combinés au sein des religions juive et musulmane pour refuser les représentations divines. Yahvé et Allah sont, sans doute, les divinités les plus transcendantes de toute l’histoire des religions. Mais il semble que cette caractéristique tienne plus à une volonté religieuse qu’à une tendance ethnique ou culturelle. En effet, l’histoire nous révèle qu’à l’origine les hébreux et les arabes représentaient leurs dieux. Ce n’est qu’à partir de l’exil que le judaïsme interdira les représentations, et ce n’est qu’avec l’islam que les arabes feront de même. Dans les deux cas, la volonté de se différencier des autres religions, qualifiées d’idolâtres, a été déterminante. Nous avons là un troisième facteur favorable à l’iconoclasme : l’établissement et la sauvegarde d’une identité particulière.

L’interdit de l’image dans l’islam

La tradition musulmane rapporte que lorsque Mahomet fit la conquête de La Mecque, il détruisit les idoles de la Ka’aba et professa l’interdiction absolue de toute représentation.

Pourtant le Coran n’interdit pas explicitement les images. Cette interdiction est implicite dans les versets qui proclament l’unicité d’Allah (2,163), son pouvoir créateur (6,102), son inaccessibilité (2,255), et le fait que rien n’est semblable à lui (42,11). D’autre part, Allah est présenté comme « le premier et le dernier, celui qui est apparent et celui qui est caché » (57,3), et au delà de ce que l’être humain peut imaginer (6,100).

Ce sont surtout les paroles du prophète rapportées par la tradition (les hadiths) qui attestent l’interdiction de l’image en islam. Il y est dit que « des anges ne peuvent pas pénétrer dans des maisons où se trouvent un chien, une image ou une personne impure », ou encore qu’au jour du jugement, on demandera à ceux qui ont fabriqué des images au cours de leur vie de leur insuffler la vie ; s’ils en sont incapables, ils iront en enfer.

Mais les choses ne sont pas aussi claires que ce que ces hadiths veulent enseigner, car on trouve dans ces traditions beaucoup de divergences en ce qui concerne les représentations. Il faut savoir qu’en arabe le mot « Soûrah » désigne aussi bien les statues et les idoles que les gravures, les illustrations et les images peintes. Certaines traditions laissent supposer que toutes formes d’images sont condamnables, alors que d’autres admettent que certaines d’entre elles sont licites.

L’image dans le christianisme

Aux IVe et Ve siècles, avec la fin des persécutions et la reconnaissance officielle du christianisme, les images se multiplient dans l’Église. Le sens de l’image évolue par comparaison avec l’image impériale. Il est entendu que l’image de l’empereur peut être un substitut juridique de sa personne. Par analogie, les images religieuses manifestent peu à peu la présence de la personne représentée et deviennent objet de culte à l’instar de leurs modèles.

Aux VIe et VIIe siècles, les images deviennent objet de dévotion et de culte (surtout en Orient). Ce qui entraîne la méfiance de certains hommes d’Église à l’égard des images. Une question se pose : peut-on représenter le Christ ? C’est l’interrogation fondamentale lors de la crise iconoclaste à Byzance de 730 à 842. Au nom de la transcendance divine qui fait de Dieu un être trop différent de l’homme pour être imagé, et sous l’influence du monophysisme qui insiste sur l’élément divin dans le Christ, au détriment de sa nature humaine, les empereurs interdisent la fabrication et la vénération des icônes. Mais en 787, à l’occasion du Concile de Nicée II qui rétablit le culte des images, Jean Damascène défend la thèse suivante : les images du Christ, dans son aspect visible et humain, sont vraiment des représentations de Dieu. Par l’incarnation, l’invisible et l’indescriptible deviennent donc visible et descriptible dans la chair. Par là-même, l’incarnation annule l’interdiction présente dans l’Ancien Testament de figurer le divin. Cette interdiction, logique avant l’incarnation (puisque le divin n’a pas été rendu visible), devient hérésie après la théophanie. Ainsi, ceux qui nient que le Christ puisse être représenté par une icône, nient implicitement la réalité de l’incarnation.

Caricature de Dieu ou de l’homme ?

En conséquence, l’iconographie est rétablie dans l’Église d’Orient, mais selon des normes bien particulières qui suggèrent un visage transfiguré. C’est l’image de la déification. Mais ce n’est plus l’image de l’incarnation invoquée par Jean Damascène ! Les iconodules [NDLR : « ceux qui rendent un culte aux images »], attachés, au départ, à la participation du Christ à la chair et à la matière, ont finalement gardé, dans l’art iconographique, quelque chose des iconoclastes, à savoir la distance entre le divin et l’humain.

En conclusion, il est donc étrange de remarquer que le christianisme d’Orient, malgré une volonté théologique de témoigner des liens tissés entre le divin et l’humain par l’incarnation, a finalement donné, dans l’iconographie, une image complètement éthérée du Christ.

À l’opposé, l’islam veut proclamer au monde que Dieu (et son prophète ?!) est unique, transcendant et indescriptible. L’interdiction de l’image va dans le sens de cette affirmation. Or quelle est l’image de Dieu que l’islam présente depuis son origine ? Celle d’un Dieu terriblement ressemblant à l’homme.

« Tu ne te feras pas d’idole », dit le commandement. L’expérience religieuse montre que l’être humain n’a jamais pu obéir. Les images de Dieu qu’il se fait sont celles de l’homme qu’il voudrait être. Ce n’est pas Dieu qu’il caricature, mais ses désirs et son espérance. Et lorsqu’il s’interdit de réaliser matériellement ces images, elles sont néanmoins mentales et influencent son comportement. Est-il possible de ne pas nous faire d’idole mentale ? feuille

Gilbert Carayon

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