Psalmodie métropolitaine
Ah, le métro
! Comment dire le crépitement sourd de milliers de pieds qui,
aux heures de pointe, se répercute sous la voûte de faïence
blanche ? Seul le bruit des pas, baskets, escarpins, bottes, sandales
De parole, point ! Même en groupe, on parle pas ou peu : cest
quil faut rester concentré, vigilant à surnager
dans le flot qui sécoule en sens inverse ; rester souple
et volontaire comme un saumon qui va frayer. Même la sérénade
des musiciens de couloir patentés ou non est engloutie par lorage
pédestre.
Mais un air sélève, obstiné,
grêle, cherchant envers et contre tout des oreilles. Je lai
vue assise par terre, la musicienne, la mendiante. On la voit à
peine au niveau des souliers bruyants et voyageurs, elle joue au pipeau
une sublime rengaine : « Jésus que ma joie demeure ».
Quelle demeure même si je suis une mendiante : jai
beau être par terre, ma musique sélève plus
haut que vos têtes. Elle emplit ce couloir et peut-être
même quun rayon de soleil pourrait percer le ciel de faïence
Vie prisonnière dun couloir sans « correspondance
» ni « sortie », vie assise dans la poussière
et pourtant capable de se faire entendre. Chant incertain et vivace,
en deçà ou au-delà des paroles, mais voix qui veut
témoigner : « Je suis là ! » Flûtiau
à deux sous qui parle la langue des psaumes, qui emplit la bouche
privée de mots, ressource pour crier, gémir, articuler
la plainte. Par terre, vos yeux ne me voient pas, dans le bruit, mes
mots se perdent. Mais ma ritournelle vivace force lindifférence,
mimpose et me fait exister à la face de tous, et jusquau
plus haut : « Des profondeurs je tinvoque, Éternel,
écoute ma voix ! »
Christine
Durand-Leis