Comme
le psalmiste, lauteur des Lamentations éprouve une douleur
spirituelle, mais également physique. Il vit le malheur de son
peuple dans sa propre chair, au plus intime de son être. Cest
dans cette communion à la souffrance dautrui quil
est inspiré par le souffle divin. Pourtant ce nest pas
la souffrance qui fait naître la Parole, mais la déchirure
divine de cette souffrance. Le prophète ne devient lucide que
dans la lumière que Dieu fait en lui en se révélant.
À travers des visions, des rêves, ou par cette parole que
Dieu met dans sa bouche, tout son être est comme tenaillé
par une vérité brûlante qui se force un passage.
Et cette vérité concerne la cité, le peuple, lhistoire
des hommes et des nations, la justice et linjustice, le mal qui
se commet sous le soleil. Alors ce que voit le prophète ne peut
quaviver sa douleur : guerre, défaite, catastrophe humanitaire.
Et la compassion le saisit : une compassion ardente, désespérée
pour le peuple auquel il sadresse, et qui ne lentend pas.
Car cest le propre du véritable prophète que cet
isolement dans la lucidité. Ni entendu, ni écouté
quand il est peut-être encore temps ; haï et menacé
quand il est trop tard
Cependant rien nentame sa fidélité
au Dieu fidèle et au peuple qui lui est confié. Terrible
fidélité attestée par Luther à travers ces
mots : « Si javais su au début, quand jai commencé
décrire, ce que jai maintenant éprouvé
et vu, à savoir à quel point les gens haïssent la
Parole de Dieu et sy opposent aussi violemment, je men serais
tenu au silence
Mais Dieu ma poussé de lavant
comme une mule à qui lon aurait bandé les yeux pour
quelle ne voie pas ceux qui accourent contre elle
Cest
ainsi que jai été poussé en dépit
de moi au ministère denseignement et de prédication
; mais si javais su ce que je sais maintenant, cest à
peine si dix chevaux auraient pu my pousser. » Cest
ainsi que se plaignent aussi Moïse et Jérémie davoir
été trompés.
Florence
Taubmann