Voilà un récit
qui ne sied pas aux assemblées dominicales. David fait tuer un
« garçon » qui « rapporte » comment il
a abrégé les souffrances de Saül sur sa demande.
Ce théâtre de cruauté et de fatalité sacrificielle
est un repoussoir. Le lecteur est dautant plus troublé
que le dernier chapitre de 1 Samuel (non séparé de 2 Samuel
à lorigine) livre une version très différente
de la mort du Roi Saül. Dans ce récit-là, il sagit
clairement dun suicide. Après quil a demandé
à son écuyer de le tuer, et que celui-ci a refusé,
Saül se jette sur son épée, suivi de près
par lécuyer, et finalement tout le monde trouve la mort
dans cette bataille contre les Philistins.
Dans notre récit, le rapporteur soumis à
linterrogatoire de David raconte le moment où Saül
nétait pas encore mort. La demande faite à lécuyer
dans le chapitre précédent est retranscrite ici, avec
un interlocuteur différent. Mais cette fois, la personne sollicitée
obtempère.
Ce « garçon rapporteur » immigré
de deuxième génération, a entendu lappel
du Roi et y a répondu par « me voici ». Ce sont les
termes de la réponse redondante du jeune Samuel à lappel
du Seigneur. La fréquence de cette réponse dans 1 Samuel
3 ne peut que pousser le lecteur à voir dans la réponse
du jeune homme une saine obéissance, ce qui lui rendra la suite
encore plus pénible. La justification de Saül pour demander
sa mort reste mystérieuse, puisque le texte contient ici un mot
inconnu, traduit par « crampe » ou par « vertige »
(v. 9) : «
donne moi la mort, car la crampe (?) ma
saisi, alors que je suis encore bien vivant. » Le mot est intraduisible
et ainsi le sentiment de Saül devient admissible. Saül veut
mourir parce quil est saisi dune angoisse innommable. Lui,
le Roi par obligation, au bord dune défaite, est environné
dune peur au-delà de son objet (les Philistins). La Bible
nous offre ici un tableau extraordinaire de la réalité
humaine, et nul doute quon y trouve matière pour une discussion
sur leuthanasie.
Le garçon raconte quil sest exécuté
; et la suite montrera quil ne sagit pas que dun jeu
de mot (comme lécuyer, il mourra). Il a abrégé
les souffrances infinies de ce Roi extrêmement humain et proche
de nous quest Saül.
La première réaction de David et des siens
est une cérémonie de deuil écourtée (une
journée au lieu de sept), et ensuite il reprendra le dialogue
avec le messager. Il lui demande doù il est et ordonne
sa mise à mort. Sa justification est outrancière, typique
dun faux procès : « Que ton sang retombe sur ta tête,
car ta bouche a témoigné contre toi en disant : cest
moi qui ai mis à mort le messie de YHWH ». Or, le garçon
avait juste dit quil avait obéi au Roi. Les paroles soi-disant
sorties de sa bouche, le texte ne les cite pas. David, incapable de
tuer lui-même ce garçon, fait uvre dinterprétation.
Le lecteur ne peut quêtre décontenancé.
Pour refuser dinterpréter ce texte, on pourra
toujours sen tirer en faisant valoir ses incohérences,
mais il serait peut-être plus judicieux de les faire valoir dans
le sens où ce sont les nôtres. À nous qui passons
notre temps à « lisser » de nos récits tout
ce qui dépasse, à autocensurer les surgissements de nos
inconscients qui ne sont pas forcément charitables et rationnels.
David a-t-il fait tuer un innocent de plus ? Ce qui lui évite
déprouver langoisse de Saül ? Ce fils dAmalécite
méritait-il de mourir parce quil nétait quun
étranger ? Ce jeune homme a-t-il bien fait dabréger
les souffrances du Roi ? Lattitude de lécuyer
ne pas obéir au roi, ce qui conduit au suicide des deux
était-elle plus saine ? Où est le bon là-dedans
? Sûrement pas du côté de ce David vengeur, qui met
dans la bouche du jeune homme qui était porteur de la
« consécration » (v. 10) des paroles quil
na même pas pensées. Était-il plus facile
pour ce jeune homme de désobéir au Roi Messie et de le
laisser mourir, ou de lui obéir en lui « donnant »
la mort quil demandait ?
On est bien loin ici de la blancheur de nos cantiques.
Mais plus proche, tout simplement, de la vraie vie des humains, dont
lhistoire est tissée de recherche éthique et de
justification de la cruauté.
Robert
Philipoussi