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Numéro 199 - Mai 2006
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Un texte qui évoque déjà
le problème de l’euthanasie…

Fallait-il tuer le messie ? (2 Samuel 1,1-16)

Voilà un récit qui ne sied pas aux assemblées dominicales. David fait tuer un « garçon » qui « rapporte » comment il a abrégé les souffrances de Saül sur sa demande. Ce théâtre de cruauté et de fatalité sacrificielle est un repoussoir. Le lecteur est d’autant plus troublé que le dernier chapitre de 1 Samuel (non séparé de 2 Samuel à l’origine) livre une version très différente de la mort du Roi Saül. Dans ce récit-là, il s’agit clairement d’un suicide. Après qu’il a demandé à son écuyer de le tuer, et que celui-ci a refusé, Saül se jette sur son épée, suivi de près par l’écuyer, et finalement tout le monde trouve la mort dans cette bataille contre les Philistins.

Dans notre récit, le rapporteur soumis à l’interrogatoire de David raconte le moment où Saül n’était pas encore mort. La demande faite à l’écuyer dans le chapitre précédent est retranscrite ici, avec un interlocuteur différent. Mais cette fois, la personne sollicitée obtempère.

Ce « garçon rapporteur » immigré de deuxième génération, a entendu l’appel du Roi et y a répondu par « me voici ». Ce sont les termes de la réponse redondante du jeune Samuel à l’appel du Seigneur. La fréquence de cette réponse dans 1 Samuel 3 ne peut que pousser le lecteur à voir dans la réponse du jeune homme une saine obéissance, ce qui lui rendra la suite encore plus pénible. La justification de Saül pour demander sa mort reste mystérieuse, puisque le texte contient ici un mot inconnu, traduit par « crampe » ou par « vertige » (v. 9) : « …donne moi la mort, car la crampe (?) m’a saisi, alors que je suis encore bien vivant. » Le mot est intraduisible et ainsi le sentiment de Saül devient admissible. Saül veut mourir parce qu’il est saisi d’une angoisse innommable. Lui, le Roi par obligation, au bord d’une défaite, est environné d’une peur au-delà de son objet (les Philistins). La Bible nous offre ici un tableau extraordinaire de la réalité humaine, et nul doute qu’on y trouve matière pour une discussion sur l’euthanasie.

Le garçon raconte qu’il s’est exécuté ; et la suite montrera qu’il ne s’agit pas que d’un jeu de mot (comme l’écuyer, il mourra). Il a abrégé les souffrances infinies de ce Roi extrêmement humain et proche de nous qu’est Saül.

La première réaction de David et des siens est une cérémonie de deuil écourtée (une journée au lieu de sept), et ensuite il reprendra le dialogue avec le messager. Il lui demande d’où il est et ordonne sa mise à mort. Sa justification est outrancière, typique d’un faux procès : « Que ton sang retombe sur ta tête, car ta bouche a témoigné contre toi en disant : c’est moi qui ai mis à mort le messie de YHWH ». Or, le garçon avait juste dit qu’il avait obéi au Roi. Les paroles soi-disant sorties de sa bouche, le texte ne les cite pas. David, incapable de tuer lui-même ce garçon, fait œuvre d’interprétation. Le lecteur ne peut qu’être décontenancé.

Pour refuser d’interpréter ce texte, on pourra toujours s’en tirer en faisant valoir ses incohérences, mais il serait peut-être plus judicieux de les faire valoir dans le sens où ce sont les nôtres. À nous qui passons notre temps à « lisser » de nos récits tout ce qui dépasse, à autocensurer les surgissements de nos inconscients qui ne sont pas forcément charitables et rationnels. David a-t-il fait tuer un innocent de plus ? Ce qui lui évite d’éprouver l’angoisse de Saül ? Ce fils d’Amalécite méritait-il de mourir parce qu’il n’était qu’un étranger ? Ce jeune homme a-t-il bien fait d’abréger les souffrances du Roi ? L’attitude de l’écuyer – ne pas obéir au roi, ce qui conduit au suicide des deux – était-elle plus saine ? Où est le bon là-dedans ? Sûrement pas du côté de ce David vengeur, qui met dans la bouche du jeune homme – qui était porteur de la « consécration » (v. 10) – des paroles qu’il n’a même pas pensées. Était-il plus facile pour ce jeune homme de désobéir au Roi Messie et de le laisser mourir, ou de lui obéir en lui « donnant » la mort qu’il demandait ?

On est bien loin ici de la blancheur de nos cantiques. Mais plus proche, tout simplement, de la vraie vie des humains, dont l’histoire est tissée de recherche éthique et de justification de la cruauté. feuille

Robert Philipoussi

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