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Numéro 197 - Mars 2006
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Depuis la publication des caricatures sur Mahomet et les réactions de nombreux musulmans, le thème du blasphème est à nouveau d’actualité.

Le blasphème

Force est de constater que toutes les religions ne sont pas égales devant le blasphème. Le christianisme occidental, plus spécialement le protestantisme historique (luthérien, réformé), a été fortement marqué par la tradition des Lumières, comme par l’athéisme et la sécularisation. Il lui est donc assez facile de valoriser la critique interne et externe comme un élément positif et nécessaire à son propre développement. La pluralité des convictions, la lecture critique des textes fondateurs, la place laissée à l’interprétation et au débat, la distinction entre le langage religieux et la réalité ultime qu’il désigne, fonctionnent dans le protestantisme historique comme des éléments de régulation interne au religieux qui le rendent perméable à la critique. Cela est moins le cas d’une tradition religieuse marquée par une culture qui n’a pas intégré ce principe de la relativisation. Si l’Islam est porteur d’une tradition critique et proche des Lumières, ce n’est précisément pas celle-ci qui alimente la révolte à l’endroit de ces caricatures.

Le blasphème suppose le sacré. Il n’y a de blasphème que là où il y a du sacré, de l’intouchable, du non critiquable. Une religion pour laquelle rien ne serait blasphématoire (le protestantisme ?) est peut-être une religion pour laquelle rien n’est vraiment sacré... Est souvent blasphématoire le simple fait de représenter le sacré lui-même, représentation qui risque toujours de le chosifier, et de porter ainsi atteinte à sa dimension absolue, infinie, et non réductible à toute image. Si le blasphème implique l’existence de quelque chose tenu pour sacré, il contribue aussi, paradoxalement, à construire celui-ci. Car dénoncer un blasphème offre toujours la possibilité de réaffirmer la valeur de ce qui est lésé. Crier au blasphème, c’est redessiner les limites au-delà desquelles nul ne devrait s’aventurer sous peine d’entacher le sacré lui-même.

Le blasphème joue souvent aussi sur des codes comportementaux. C’est ainsi qu’on trouvera blasphématrice une image qui montre le représentant de telle religion transgresser un code moral spécifique. Montrer Mahomet avec une bombe dans le turban ou Jésus, représenté en femme, en train de prendre la cène avec des femmes langoureuses et dévêtues (La cène, publicité de Marithé et François Girbaud, condamnée et interdite par les tribunaux en mars 2005), les apparente à des pécheurs, et font d’eux les violateurs d’un ordre moral spécifique. Cela est d’autant plus fort que cette transgression joue sur certains clichés dominants de la religion incriminée : le christianisme et son rapport ambigu au corps et au sexe, l’islam et son rapport à la violence et au terrorisme. Le blasphème dérange ainsi par sa capacité à renforcer certains stéréotypes dont veulent se défendre les adeptes de la religion incriminée, mais il touche souvent là où cela fait mal… Relevons aussi qu’une image est souvent perçue comme blasphématrice dès qu’elle est vécue comme portant atteinte à l’identité des adeptes de la religion évoquée. Par un jeu d’identification, qui tient à la force d’adhésion des croyants à la personne représentée dans la caricature, le fait de brocarder Mahomet, Moïse ou Jésus revient bien souvent à dire quelque chose sur les musulmans, les juifs, ou les chrétiens eux-mêmes. Cette dimension identitaire du blasphème explique en grande partie la violence des réactions qu’il suscite…

Dans sa Correspondance avec Hélène Bresslau, Albert Schweitzer, écrivait : « Il n’y a que les blasphèmes qui soient vrais. » (voir p. 10). Le propos entendait notamment montrer que le souffle ardent et impétueux de la prédication de Jésus ne saurait se laisser engluer dans quelques conformismes bon teint et engoncer dans des dogmatiques insipides. Le blasphème vient alors servir, en effet, la vérité de cette prédication, en tant qu’il brise les convenances et met à nu ce qui peut être le plus insolemment vrai. Il est intéressant à ce titre de se souvenir que Jésus lui-même a été accusé de blasphème (Mc 14,64). N’est-il pas étonnant et suggestif de penser que le christianisme est né d’une prédication sulfureuse et jugée blasphématoire par certains ? feuille

Raphaël Picon

Sans ignorer les implications politiques des caricatures de Mahomet, l’auteur de cet article a tenu à se situer sur le seul plan spirituel et théologique.

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