Deutéronome 5,1-6
Le saut de lalliance
Première surprise : Moïse
dit aux Hébreux que ce nest pas avec leurs pères
que lÉternel a conclu une alliance mais avec le peuple
qui est là. Cest beau, mais cest faux ! Lorsque Moïse
parle, cest quarante ans après la sortie dÉgypte
(Dt 1,3), période pendant laquelle sont morts beaucoup dadultes
sortis dÉgypte, qui ont été avec Moïse
au pied du Sinaï mais qui, par leur révolte, ont été
interdits de terre promise (Nb 14,32-34 ; voir aussi Jos 5,4-7). Ceux
qui sont là, devant Moïse, sont donc les fils de ceux avec
qui lalliance avait été passée. Le texte
lui-même nest pas dupe de son tour de passe-passe puisquil
prend le soin de préciser que lalliance a été
conclue avec ceux qui sont là « aujourdhui, tous
vivants », façon allusive de rappeler les pères
qui sont morts en route. Cest un petit signal laissé par
le rédacteur pour nous dire : « Attention ! Ne faites pas
comme si vous ne saviez pas que cela sest passé autrement.
»
À quoi bon ce mensonge ? Quand notre texte biblique triche
avec la vérité dordre narratif, cest pour
dire juste sur le plan de lexistence : cest à la
génération présente que Dieu sintéresse,
à la génération des enfants qui vont devenir adultes.
Son alliance est pour eux qui sont vivants en ce jour : lÉternel
nest pas le Dieu des morts, il est le Dieu des vivants et, parce
quil sait que ses enfants ne sont pas des saints, il leur adresse
une parole pour les aider à vivre heureux. Ce petit mensonge
textuel rappelle que la génération qui nous suit est aussi
au bénéfice de la promesse de Dieu, qui se transmet comme
un héritage. Encore faut-il que nous prenions nos dispositions
pour quil soit reçu. Lune de nos missions est de
placer le projet de Dieu en face de la génération qui
nous suit.
Nous sommes seuls responsables de notre vie
De ce premier accroc à lhistoire biblique découle
le second trucage de ce texte. Quand Moïse dit que lÉternel
a parlé face à face avec cette génération,
il sempresse dajouter quil était entre Dieu
et le peuple car celui-ci avait peur de ce qui était en train
darriver. Moïse va jusquà préciser que
le peuple nest pas monté sur la montagne, soulignant le
fait que le peuple na pas pu être face à Dieu.
Que signifie ce nouveau mensonge ? Moïse est en train daider
un peuple à naître en faisant de la génération
des fils une génération dadultes. Dans quelque temps
il faudra le circoncire. Pour le moment, nous en sommes au point où
il faut couper le cordon ombilical. Moïse va mourir, il ne pourra
donc plus nourrir les Hébreux et pourtant il faut que le peuple
lui survive ; il faut que le peuple sache trouver sa nourriture tout
seul.
Pour devenir majeurs, les enfants doivent cesser de penser par lintermédiaire
de leurs parents ; est véritablement majeur, un adulte qui cesse
de voir le monde uniquement à travers les yeux et lintelligence
dun autre ; être majeur, cest cesser dêtre
assisté en toutes choses et saffranchir de la peur de faire
face à la vie.
De ce second manquement à la cohérence du récit,
émerge une évidence : il faut, un jour, cesser de vivre
à travers les autres. Cela nécessite que celui qui transmet
sefface pour laisser celui qui reçoit seul face à
ce qui le fera vivre : aux pasteurs, par exemple, de ne pas faire écran
entre Dieu et les paroissiens. Mais il appartient aussi à chacun
daffronter personnellement le quotidien : aux citoyens, par exemple,
de faire face à leurs responsabilités sans sen remettre
entièrement à un chef de parti, à un média
ou une institution qui offre une pensée prête à
être consommée ou des décisions prêtes à
être votées. Cet avant-propos à la loi nous rappelle
que cest à la condition de ne pas avoir peur dêtre
face à ce qui appelle à une vie responsable que le projet
promu par cette loi restera actuel : « Vivre hors de la maison
des esclaves. »
James
Woody