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Numéro 196 - Février 2006
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On peut percevoir un écho mutuel des plaintes des jeunes qui se sont soulevés dans les banlieues et de celles, moins audibles celles-là, des jeunes du continent noir. De la flambée des banlieues de Paris au sommet franco-africain de Bamako, début décembre, comment ne pas entendre les mêmes signes, les mêmes indices, qui sont ceux d’un évident décalage ?

Jeunes des banlieues, jeunes Africains : même désespoir

Tout au long de l’automne, la France aura été secouée par une rébellion des banlieues dont seule l’intensité était nouvelle. Et marquée par les propos violents d’un ministre de l’Intérieur pour certains jeunes des banlieues (mais tous se sont sentis visés), parlant de « racaille » et de recours au « karcher ». On en connaît les effets.

Sur le sujet, tout a été dit, qui met en lumière l’extrême complexité du problème. Il traîne depuis des années et malgré des efforts réels, les majorités s’ingénient, là comme dans tant d’autres domaines, à défaire ce que la précédente a tenté de mettre sur pied. Malgré une baisse visible de la tension, le mal-être, dans ces quartiers dits difficiles, est intact.

Marcus Bleasdale, photo extraite                 de son remarquable livre One Hundred Years of Darkness, A Photographic                 Journey into the Jeart of Congo.

Marcus Bleasdale, photo extraite de son remarquable livre One Hundred Years of Darkness, A Photographic Journey into the Jeart of Congo. Ce volume présente un Voyage photographique de Bleasdale, mis en parallèle avec un essai de Jon Swain. London, Pirogue Press, 2002

Avec la distance, on peut se demander si cette éruption, géographiquement française, n’est pas le paradigme – et la composante tout la fois – du rapport que la France entretient avec le Tiers Monde – l’Afrique et le Maghreb les premiers. Et si le microcosme représenté par Aulnay-sous-Bois et ses sœurs de banlieues n’a pas son répondant dans le macrocosme de ces banlieues du monde riche que sont tant de pays africains. Souvenons-nous : les jeunes qui se révoltent en France sont, dans leur grande majorité, d’origine nord-africaine et noire ; l’immigration sauvage conduit vers l’Europe, la France en particulier, et avec quelles pertes, de jeunes Africains qui, immanquablement, échoueront dans les quartiers pauvres de Paris. Au sommet de Bamako, qui devait réunir tous les chefs d’État africains, Jacques Chirac s’est vu rattrapé par l’affaire. Durement interrogé par les journalistes du continent noir « sur le traitement infligé aux jeunes des banlieues », il a pu mesurer à quel point ces banlieues sont devenues à la fois un point focal d’une réalité française et la caisse de résonance des drames extérieurs.

On peut retrouver quelques traits communs à ces deux malaises – celui des banlieues, celui de la ceinture noire de la planète. En premier lieu, le mal-être né du sentiment d’abandon. « Vous nous avez délaissés », ont dit les jeunes Africains interpellant le président Chirac lors du sommet de Bamako. Même sentiment chez les jeunes banlieusards qui se sentent décalés par rapport à la société française et comme hors d’état de rattraper un train – celui du savoir, de l’emploi, d’un certain bien-être – d’une normalité dont il désespèrent d’avoir jamais la clé.

Corollaire de ce décalage : le manque de considération. À Paris, Nicolas Sarkozy n’a pas pris la mesure des effets dévastateurs de propos inutilement dégradants. Les mots ont un poids, qu’un homme politique – surtout un ministre, qui est celui de tous les Français – ne peut pas ignorer. Quant à la distance qui sépare bien des émissaires, parachutés de l’hexagone, de l’Africain de la rue, elle ne peut que susciter chez les jeunes, comme en banlieue, des réflexes d’incompréhension. À Bamako, le président de la République a promis à de jeunes Africains qu’ils pourront être accueillis en France. Mais cette bienveillante hospitalité – la solution est-elle là, d’ailleurs ? – est comme contredite par la sélection qui la sous-tend. Et que dire de la complaisance, autre forme de mépris, affichée de Paris pour les despotes africains que honnit la population ? Ce vieux réflexe qui renvoie à l’ère de Foccart et du paternalisme post-colonial français n’est pas sans rappeler, à sa manière, la bienveillance des États-Unis, dans les années 60 et 70, pour les régimes dictatoriaux, parce qu’anti-communistes.

Le troisième point est infiniment plus délicat. C’est celui de la dépendance, donc, symétriquement, de l’autonomisation des jeunes banlieusards comme des jeunes Africains. Il ne manquera pas de sociologues ou d’agents sociaux pour la dire impossible, avec d’excellents arguments. Elle est pourtant vitale ici, et quelques voies existent, dont celle du micro-crédit, pour mettre au travail des sans-emploi. Des sans-emploi, même manquant de formation, dont la capacité du « faire » dépend aussi – on le voit apparaître dans un courant nouveau de l’islamisme modéré – de leur désir d’en sortir. Une gageure feuille

Antoine Bosshard

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