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Numéro 196 - Février 2006
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Le même mot «libéralisme», étroitement associé au mot «liberté», est utilisé pour désigner à la fois un comportement économique, et une attitude envers la religion. Vincens Hubac nous rappelle que ces deux façons de penser ont une origine commune, liée à la Réforme et à la Révolution française.

Le Libéralisme

Le mot « libéralisme », apparu en 1823, est un mot de combat au service de la cause pour la liberté politique et économique. Le XIXe siècle est celui des révolutions, des nationalités et de la démocratie. Il est aussi celui d’une expansion sans précédent de l’Occident. Mais déjà le mot ne définit plus ce qu’il aurait dû être. Entre anarchie qu’il n’est pas, et soumission à un État ou à une autorité qu’il ne supporterait pas, le libéralisme défend la liberté de l’individu susceptible de diriger au mieux ses affaires et de les harmoniser avec celles des autres pour trouver, en fin de compte, un équilibre optimal au bénéfice de tous. Le libéralisme est peut-être plus une manière d’être qu’un système, qui risque de l’enfermer et de le nier. Tocqueville, par exemple, est un de ceux qui ont mis le doigt sur ce problème.

Les origines

Liberté de penser, de s’exprimer, d’agir, le libéralisme a une longue histoire. Au sortir du Moyen Âge caractérisé par la collectivité (paroisse, village, guilde, etc.), la Renaissance pourrait avoir comme emblème la formule de Protagoras : « L’homme est la mesure de toute chose », bien représentée par le dessin de Léonard de Vinci, repris comme logo de Manpower. C’est aussi l’émergence du portrait : Holbein, Clouet, ouvrent la voie à une aventure qui, passant par Chardin, David, Ingres, s’épanouit aujourd’hui avec la photographie et le film. L’individu émerge au XVIe siècle, siècle des néo-platoniciens, de Marsile Ficin, d’Érasme, de Montaigne et des humanistes, siècle des voyages, des découvertes, des aventures… C’est aussi le temps de la Réforme.

La nouvelle religiosité insiste sur l’individu, sur sa liberté. S’il reste collectif, le salut est de plus en plus perçu de manière personnelle. À la suite des grands réformateurs, l’homme nouveau, c’est un Sébastien Castellion, auteur de L’art de douter et de croire, qui condamne au nom de la tolérance la sentence et l’exécution de Michel Servet. Pour Castellion, « tuer un homme, c’est toujours tuer un homme et non pas une idée ». Il discute aussi de la canonicité de certains livres de la Bible (le Cantique des Cantiques en particulier), s’inscrivant ainsi contre l’autorité de l’Église, ses coutumes et ses dogmes. C’est encore Duplessis-Mornay, un des rédacteurs de l’Édit de Nantes, qui, bien que fidèle à Henri IV, subordonne le roi au peuple (théorie des monarchomaques). Nous rencontrons aussi Moïse Amyrault, pour qui le salut est universel. Cette émergence de l’individu et de sa liberté prépare la pensée des siècles à venir et une partie de l’histoire.

Liberté de l’individu

De Hobbes à Spinoza, Locke, Bayle et Bentham, la pensée philosophique des XVIIe et XVIIIe siècles est de plus en plus marquée par la réflexion sur la liberté. Comment en serait-il autrement à partir du moment où l’on pose le cogito, et où l’on reconnaît que l’homme est un être pensant ? Par exemple Hobbes en 1642, à la fin du chapitre sur la religion, termine le De cive par cette réflexion, tirée du chapitre XIV de l’Épître aux Romains : « Que celui qui mange sans scrupule ne fasse pas si peu de compte du salut de celui qui s’abstient de certaines choses, que de le scandaliser par sa liberté. Que celui qui fait distinction des viandes, ne condamne pas celui qui mange indifféremment de toutes. Sachons que Dieu a communiqué ses grâces et la liberté de son Esprit à celui que tu juges profane à cause qu’il se dispense de ce que tu observes si religieusement. Or, comme ce n’est pas en ces choses que consiste le christianisme, je permets à chacun de suivre son opinion, et le sentiment de sa conscience. L’intention des uns et des autres est bonne, c’est pourquoi je ne veux pas condamner leur action ». Certes Hobbes n’est pas encore un champion de la liberté. C’est Locke, pour lequel la liberté est un état de nature tempéré par la raison, fondement de la société, qui lui répond dans son deuxième Traité du Gouvernement civil. Avec Locke et la Lettre sur la Tolérance (1689), on entre dans un débat où s’inscrivent Voltaire et Rousseau. En France, ces auteurs, entre autres, fondent l’idée de liberté et de démocratie, conduisant à la Révolution.

Le libéralisme économique moderne

Ainsi les Lumières amènent le monde à vivre des révolutions économiques, sociales et politiques qui donnent naissance à la modernité. C’est au XVIIIe siècle que le libéralisme moderne, politique et/ou économique, prend directement ses racines. En France, les Physiocrates jettent les bases du libéralisme économique. Ils voient la société un peu comme un organisme vivant dans lequel les forces s’équilibrent et s’harmonisent grâce à une libre circulation des richesses, comparées au sang irriguant chaque organe d’un corps. N’oublions pas que Quesnay, fondateur de cette école, est médecin. C’est en Grande-Bretagne que le libéralisme économique s’épanouit avec Adam Smith, Malthus et Ricardo. L’économie de marché, libre et efficace, gérée par « la main invisible » d’Adam Smith, trouvera chez Stuart Mill son achèvement. Cet économiste, très marqué par le christianisme, fonde l’utilitarisme sur la règle d’or du Sermon sur la Montagne. De plus, il a une vision eschatologique de la société qu’il voit tendre vers un « état stationnaire », caractérisé par l’équilibre des forces sociales et une satisfaction de tous. Marx aura une vision assez voisine, mais inspirée non plus par les bienfaits du libéralisme économique et politique, mais par ses côtés négatifs.

Les abus du libéralisme économique

L’histoire sociale des XIXe et XXe siècles, les combats incessants qu’il a fallu mener pour la justice, les abus actuels de la mondialisation, les égoïsmes monstrueux des grands États et des sociétés multinationales, montrent les limites du libéralisme économique. À ce libéralisme-là, nous n’adhérons pas. Mais comme beaucoup d’auteurs cités, nous pensons que le libéralisme économique doit être limité et accompagné par des lois qui en corrigeraient les défauts. En politique, le libéralisme s’exprime dans la démocratie, où la libre opinion des uns et des autres permet de dégager un consensus autour duquel la société peut s’organiser. En général nous sommes d’accord avec ce libéralisme.

Libéralisme chrétien

Le libéralisme chrétien, qui ne doit pas être confondu avec les autres formes du libéralisme, puise aux mêmes sources. Il est resté plus fidèle à ces sources que ces autres libéralismes, et en possède certaines en propre. Il a des racines lointaines dans la gnose et les hérésies. Certes, nous ne suivons pas toutes les hérésies, mais l’état d’esprit des hérétiques, fait de choix (comme leur nom l’indique), de libre interprétation des dogmes et de recherche de la vérité, nous convient assez bien. Souvent, ces hérétiques ont très tôt payé de leur vie leurs choix face à une Église dogmatique et compromise avec le pouvoir. Cette Église, ayant du mal à supporter en son sein la liberté de pensée, est allée à l’encontre du message de son fondateur. Héritier certain de la Réforme, le libéralisme théologique pose, face aux religions d’autorité, le principe de la liberté de penser et de la libre interprétation des dogmes et des textes bibliques qui fondent le christianisme. Au final, le libéralisme protestant est évangélique. Évitant l’écueil que dénoncent bien des philosophes comme Adam Smith, qui s’inquiétait des abus du libéralisme économique, le libéralisme théologique est conscient de ses limites. Alors qu’il ne pourrait être qu’un exercice intellectuel et spirituel, ce qu’il est parfois, le libéralisme protestant s’est toujours montré soucieux de la dignité de l’être humain et donc du sort des plus pauvres. Il accompagne le christianisme social tout au long de son histoire au nom même de cette dignité de l’homme et du message du Christ.

Nous sommes bien aujourd’hui dans une pensée économique libérale dominante, dont nous dénonçons à travers les excès et les injustices une forme d’idolâtrie. Pourtant, avec tous les libéralismes passés et présents, nous défendons la liberté, nous prônons la tolérance et l’accueil de la pensée d’autrui.

  • Sans liberté de penser, on tue la pensée,
  • Sans liberté de choix, on tue le mouvement,
  • Sans liberté d’expression, on tue la parole,
  • Sans liberté, on tue la vie. feuille

Vincens Hubac

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