Michel Jas interroge un de ses paroissiens de Montpellier, ingénieur
chimiste
Cher Jacques Mandil depuis longtemps vous essayez
de trouver des ponts entre la recherche rationnelle et le monde de la
foi.
Léquilibre que je trouve dans la foi mapporte en
science et vice versa... Mais la volonté détablir
un dialogue entre science et foi nest pas de tout repos. Il faut
reprendre Pythagore, Galilée, Giordano Bruno, Newton, Leibniz,
Descartes, Pascal, et puis les modernes Einstein, dEspagnat, Feynman,
Prigogine
Les désaccords sont nombreux.
Daprès Odifreddi, le célèbre
mathématicien Gödel affirmait à la fin de sa vie
que croire en Dieu était rationnel, alors quexistentiellement
il ne voulait pas se déclarer lui même comme croyant !
Lastrophysicien dorigine bouddhiste Trinh Xuan Thuan dit
que la science lamène à croire à un Dieu
créateur.
Lidée même dun projet, dune intelligence
créatrice et organisatrice met encore un grand nombre de scientifiques
en fureur. En un sens ils ont raison : le travail scientifique ne doit
pas faire appel aux « causes finales ». La nature ne connaît
pas le futur. Foi et science ne parlent pas du même domaine.
Pourtant je pense quaprès avoir étudié
le « comment » il est bon de se poser la question du «
pourquoi ». Aujourdhui un sentiment dabsurdité
de notre situation, qui pourrait conduire au suicide, rend encore plus
nécessaire la recherche de sens.
Vous posez la question de labsurde en
lopposant à quelque trace damour dans le réel
?
Je dirais : « Existe-il une signature de Dieu dans la nature,
comme projet, comme désir organisateur ? » Le darwinisme
qui présente lhistoire de la vie par une sélection
aveugle, sans conscience ni mémoire ni futur, me paraît
improbable.
Et là le croyant rejoint le scientifique.
Oui ; chimiste de profession je mintéresse à dautres
disciplines et y trouve des clins dil pour la foi. Je minterroge
par exemple au sujet des forces fondamentales, qui étaient quatre
; ramenées à trois depuis quelques années, et quon
peut espérer unifier un jour :
- la force de gravité,
- la force électrofaible (force électromagnétique
et force nucléaire faible),
- et la force nucléaire forte.
La force de gravité est la même dun bout à
lautre de lunivers et la même depuis lexplosion
originelle. Alors que dans lunivers, tout est mouvement et changement,
la loi dattraction des masses est la même partout, avec
la même constante de gravité G.
Les astrophysiciens qui ont formalisé le modèle standard
du « Big Bang » ont constaté que toute autre valeur
de G aurait changé lunivers. Notre univers jouit dune
constante de gravité G qui a la valeur nécessaire pour
quil soit stable.
À léchelle des noyaux atomiques, la force de gravité
devient quasiment nulle. Cest la force nucléaire forte
qui lie entre eux les composants de ces noyaux et assure leur stabilité.
Et la dernière force ?
Cest la force électromagnétique, qui permet la
complexité moléculaire. Elle explique la mise en commun
délectrons datomes différents pour former
une molécule : par exemple deux atomes dhydrogène
et un atome doxygène.
H2O ! Si je comprends bien, la force électromagnétique
maintient les électrons, dans le cas que vous citez, «
pour » faire de leau ?
« Pour » est hautement fina-liste
pourtant comment
ne pas être finaliste ? Lunivers, résultat dun
équilibre entre « lordre » imposé par
les forces fondamentales et « le désordre » provoqué
par dénormes températures, mapparaît
comme réellement porté par le miracle. Lors de la première
seconde après le Big Bang, lannihilation entre matière
et antimatière nest pas totale : pour 1 milliard dantiprotons,
il y a 1 milliard + 1 protons ! Lantimatière disparaît
et ce « + 1 » résiduel constitue la totalité
de lunivers matériel !
Nous sommes issus de là ?
Oui, le compréhensible touche le merveilleux ! Limprobable
se déroule depuis 14 milliards dannées ! Je conçois
le débat science et foi avec un regard étonné par
lhistoire de lunivers. Trinh Xuan Thuan opte pour un esprit
organisateur tel que Spinoza ou Einstein le concevaient, Hubert Reeves
pour une intention dans la nature.
Vous nopposez donc pas Science et Foi.
Pour moi, lopposition est méthodologique ; non pas fondamentale.
Foi et science saccordent dans une même volonté de
rendre compte de la vie par la raison et dans lhumilité.
Jacques
Mandil
En réponse à ces idées, Marie-Noële et Jean-Luc
Duchêne, physiciens, expliquent pourquoi ils ne sont pas daccord
Le « principe anthropique » (du grec anthropos, homme)
est loin de faire lunanimité chez les scientifiques ! Selon
ce principe, lévolution aboutissant à lhomo
sapiens suppose tant de coïncidences extraordinaires pour quapparaissent
successivement les étoiles, la Terre, la vie, puis lhomme
et la conscience, quil devait nécessairement y avoir au
commencement une orientation, voire un projet : lhomme. LUnivers
semble avoir été réglé avec une précision
extraordinaire pour que la conscience apparaisse.
Avec une vision diamétralement opposée, Jacques Monod,
prix Nobel de physiologie et médecine en 1965, écrit dans
Le hasard et la nécessité : « Lhomme sait
enfin quil est seul dans limmensité indifférente
de lunivers doù il a émergé par hasard.
»
Le principe anthropique veut répondre à la question
« pourquoi ? », alors que la science ne répond quà
la question « comment ? ». La science ne peut se construire
que sur des hypothèses que lon peut tester et vérifier.
Sinon, on reste dans le domaine de la magie, de la divination et de
la superstition.
Il ne faut pas confondre les effets et les causes. Le raisonnement
seul ne permet pas daffirmer que cest parce que lhomme
existe maintenant que les conditions de son existence sont apparues
avant lui, mais plutôt que lexistence de lhomme est
possible aujourdhui parce que certaines conditions ont été
réalisées dans lUnivers auparavant.
«Lextraordinaire précision » avec laquelle
sont « ajustées » les constantes physiques est un
mauvais argument. Notons que les termes utilisés sous-entendent
déjà par eux-mêmes lexistence dun créateur
qui, au commencement, introduit intentionnellement et avec soin le futur
dans le présent. Mais nimporte quel modèle dUnivers
que nous pouvons imaginer (et qui aurait pu exister) présente,
lui aussi, dautres constantes physiques « extraordinairement
précises », ni meilleures ni pires ! Certains de ces modèles
auraient pu aboutir à une autre forme de vie, utilisant par exemple
le silicium à la place du carbone.
Trinh Xuan Thuan découvre Dieu dans lévolution
de lUnivers. Cest son droit le plus strict, mais sa qualité
dastrophysicien na rien à y voir. Lirritation
de beaucoup de scientifiques à propos du principe anthropique
vient de ce quil est exposé par des scientifiques avec
une argumentation souvent complexe qui cherche à faire croire
que la plus extrême pointe de la recherche en confirme la validité.
Certains peuvent alors simaginer que lon a découvert
une preuve scientifique de lexistence de Dieu. Il y a là
un abus dautorité. Les équations mathématiques
ne peuvent expliquer ni la beauté dune cantate de Bach,
ni le principe anthropique.
Rien nempêche de croire au principe anthropique comme
on peut croire à Dieu. Mais est-il nécessaire (ou simplement
utile) de passer par le premier acte de foi pour arriver au second ?
Et il convient, dans tous les cas, de séparer soigneusement les
domaines de la croyance et de la connaissance.
Actuellement, l« intelligent design » (le «
dessein intelligent ») se développe très rapidement
aux États-unis, et commence à arriver en Europe. Cette
présentation, qui reprend à son compte les idées
du principe anthropique et soppose au darwinisme, nest quune
version adoucie du fondamentalisme.
Ce nest pas la valeur « très précise »
de la charge de lélectron qui est surprenante, cest
lexistence même de lélectron et de sa charge.
Lextraordinaire grâce des mouvements du chat, la beauté
des lumières dun coucher de soleil sont bien plus étonnantes
que la « fantastique précision » de lénergie
de liaison de latome dhydrogène.
Choisir le principe anthropique, cest répondre à
la question de Leibniz : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt
que rien ? » Le scientifique na aucune réponse. Il
ne peut que sétonner avec Einstein : « Ce qui est
incompréhensible, cest que lUnivers soit compréhensible
! »
Marie-Noële
et Jean-Luc Duchêne