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Numéro 195 - Janvier 2006
( sommaire )

Débattre

 

Science et foi au hasard d’un dialogue pastoral

Michel Jas interroge un de ses paroissiens de Montpellier, ingénieur chimiste

Cher Jacques Mandil depuis longtemps vous essayez de trouver des ponts entre la recherche rationnelle et le monde de la foi.

L’équilibre que je trouve dans la foi m’apporte en science et vice versa... Mais la volonté d’établir un dialogue entre science et foi n’est pas de tout repos. Il faut reprendre Pythagore, Galilée, Giordano Bruno, Newton, Leibniz, Descartes, Pascal, et puis les modernes Einstein, d’Espagnat, Feynman, Prigogine… Les désaccords sont nombreux.

D’après Odifreddi, le célèbre mathématicien Gödel affirmait à la fin de sa vie que croire en Dieu était rationnel, alors qu’existentiellement il ne voulait pas se déclarer lui même comme croyant !… L’astrophysicien d’origine bouddhiste Trinh Xuan Thuan dit que la science l’amène à croire à un Dieu créateur.

L’idée même d’un projet, d’une intelligence créatrice et organisatrice met encore un grand nombre de scientifiques en fureur. En un sens ils ont raison : le travail scientifique ne doit pas faire appel aux « causes finales ». La nature ne connaît pas le futur. Foi et science ne parlent pas du même domaine.

Pourtant je pense qu’après avoir étudié le « comment » il est bon de se poser la question du « pourquoi ». Aujourd’hui un sentiment d’absurdité de notre situation, qui pourrait conduire au suicide, rend encore plus nécessaire la recherche de sens.

Vous posez la question de l’absurde en l’opposant à quelque trace d’amour dans le réel ?

Je dirais : « Existe-il une signature de Dieu dans la nature, comme projet, comme désir organisateur ? » Le darwinisme qui présente l’histoire de la vie par une sélection aveugle, sans conscience ni mémoire ni futur, me paraît improbable.

Et là le croyant rejoint le scientifique.

Oui ; chimiste de profession je m’intéresse à d’autres disciplines et y trouve des clins d’œil pour la foi. Je m’interroge par exemple au sujet des forces fondamentales, qui étaient quatre ; ramenées à trois depuis quelques années, et qu’on peut espérer unifier un jour :

  • la force de gravité,
  • la force électrofaible (force électromagnétique et force nucléaire faible),
  • et la force nucléaire forte.

La force de gravité est la même d’un bout à l’autre de l’univers et la même depuis l’explosion originelle. Alors que dans l’univers, tout est mouvement et changement, la loi d’attraction des masses est la même partout, avec la même constante de gravité G.

Les astrophysiciens qui ont formalisé le modèle standard du « Big Bang » ont constaté que toute autre valeur de G aurait changé l’univers. Notre univers jouit d’une constante de gravité G qui a la valeur nécessaire pour qu’il soit stable.

À l’échelle des noyaux atomiques, la force de gravité devient quasiment nulle. C’est la force nucléaire forte qui lie entre eux les composants de ces noyaux et assure leur stabilité.

Et la dernière force ?

C’est la force électromagnétique, qui permet la complexité moléculaire. Elle explique la mise en commun d’électrons d’atomes différents pour former une molécule : par exemple deux atomes d’hydrogène et un atome d’oxygène.

H2O ! Si je comprends bien, la force électromagnétique maintient les électrons, dans le cas que vous citez, « pour » faire de l’eau ?

« Pour » est hautement fina-liste… pourtant comment ne pas être finaliste ? L’univers, résultat d’un équilibre entre « l’ordre » imposé par les forces fondamentales et « le désordre » provoqué par d’énormes températures, m’apparaît comme réellement porté par le miracle. Lors de la première seconde après le Big Bang, l’annihilation entre matière et antimatière n’est pas totale : pour 1 milliard d’antiprotons, il y a 1 milliard + 1 protons ! L’antimatière disparaît et ce « + 1 » résiduel constitue la totalité de l’univers matériel !

Nous sommes issus de là ?

Oui, le compréhensible touche le merveilleux ! L’improbable se déroule depuis 14 milliards d’années ! Je conçois le débat science et foi avec un regard étonné par l’histoire de l’univers. Trinh Xuan Thuan opte pour un esprit organisateur tel que Spinoza ou Einstein le concevaient, Hubert Reeves pour une intention dans la nature.

Vous n’opposez donc pas Science et Foi.

Pour moi, l’opposition est méthodologique ; non pas fondamentale. Foi et science s’accordent dans une même volonté de rendre compte de la vie par la raison et dans l’humilité. feuille

Jacques Mandil

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En réponse à ces idées, Marie-Noële et Jean-Luc Duchêne, physiciens, expliquent pourquoi ils ne sont pas d’accord

Le « principe anthropique » (du grec anthropos, homme) est loin de faire l’unanimité chez les scientifiques ! Selon ce principe, l’évolution aboutissant à l’homo sapiens suppose tant de coïncidences extraordinaires pour qu’apparaissent successivement les étoiles, la Terre, la vie, puis l’homme et la conscience, qu’il devait nécessairement y avoir au commencement une orientation, voire un projet : l’homme. L’Univers semble avoir été réglé avec une précision extraordinaire pour que la conscience apparaisse.

Avec une vision diamétralement opposée, Jacques Monod, prix Nobel de physiologie et médecine en 1965, écrit dans Le hasard et la nécessité : « L’homme sait enfin qu’il est seul dans l’immensité indifférente de l’univers d’où il a émergé par hasard. »

Le principe anthropique veut répondre à la question « pourquoi ? », alors que la science ne répond qu’à la question « comment ? ». La science ne peut se construire que sur des hypothèses que l’on peut tester et vérifier. Sinon, on reste dans le domaine de la magie, de la divination et de la superstition.

Il ne faut pas confondre les effets et les causes. Le raisonnement seul ne permet pas d’affirmer que c’est parce que l’homme existe maintenant que les conditions de son existence sont apparues avant lui, mais plutôt que l’existence de l’homme est possible aujourd’hui parce que certaines conditions ont été réalisées dans l’Univers auparavant.

«L’extraordinaire précision » avec laquelle sont « ajustées » les constantes physiques est un mauvais argument. Notons que les termes utilisés sous-entendent déjà par eux-mêmes l’existence d’un créateur qui, au commencement, introduit intentionnellement et avec soin le futur dans le présent. Mais n’importe quel modèle d’Univers que nous pouvons imaginer (et qui aurait pu exister) présente, lui aussi, d’autres constantes physiques « extraordinairement précises », ni meilleures ni pires ! Certains de ces modèles auraient pu aboutir à une autre forme de vie, utilisant par exemple le silicium à la place du carbone.

Trinh Xuan Thuan découvre Dieu dans l’évolution de l’Univers. C’est son droit le plus strict, mais sa qualité d’astrophysicien n’a rien à y voir. L’irritation de beaucoup de scientifiques à propos du principe anthropique vient de ce qu’il est exposé par des scientifiques avec une argumentation souvent complexe qui cherche à faire croire que la plus extrême pointe de la recherche en confirme la validité. Certains peuvent alors s’imaginer que l’on a découvert une preuve scientifique de l’existence de Dieu. Il y a là un abus d’autorité. Les équations mathématiques ne peuvent expliquer ni la beauté d’une cantate de Bach, ni le principe anthropique.

Rien n’empêche de croire au principe anthropique comme on peut croire à Dieu. Mais est-il nécessaire (ou simplement utile) de passer par le premier acte de foi pour arriver au second ? Et il convient, dans tous les cas, de séparer soigneusement les domaines de la croyance et de la connaissance.

Actuellement, l’« intelligent design » (le « dessein intelligent ») se développe très rapidement aux États-unis, et commence à arriver en Europe. Cette présentation, qui reprend à son compte les idées du principe anthropique et s’oppose au darwinisme, n’est qu’une version adoucie du fondamentalisme.

Ce n’est pas la valeur « très précise » de la charge de l’électron qui est surprenante, c’est l’existence même de l’électron et de sa charge. L’extraordinaire grâce des mouvements du chat, la beauté des lumières d’un coucher de soleil sont bien plus étonnantes que la « fantastique précision » de l’énergie de liaison de l’atome d’hydrogène.

Choisir le principe anthropique, c’est répondre à la question de Leibniz : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » Le scientifique n’a aucune réponse. Il ne peut que s’étonner avec Einstein : « Ce qui est incompréhensible, c’est que l’Univers soit compréhensible ! » feuille

Marie-Noële et Jean-Luc Duchêne

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