L'appartenance du christianisme
aux religions du Livre, au même titre que le judaïsme et
lislam, peut sembler de nos jours indiscutable. Pourtant, au Ier
siècle, rien ne semblait moins évident : si Jésus
a interprété les Écritures juives, il a écrit
seulement quelques mots éphémères, griffonnés
dans la terre (à en croire lévangile selon Jean
8,8) ; quant à ses disciples, ils étaient illettrés,
si lon excepte Matthieu, le collecteur dimpôts. Quel
contraste avec la situation actuelle, où les chrétiens
de toutes les confessions disposent de recueils de textes faisant autorité,
des bibles !
Vingt siècles plus tard...
La situation actuelle sexplique par plusieurs facteurs. Dune
part, les Sociétés bibliques et les maisons dédition
religieuse font depuis longtemps tout ce qui est en leur pouvoir pour
aider le croyant à lire la Bible. Elles produisent des bibles
de poche à des prix modestes et des traductions annotées
; des bibles sont gratuitement distribuées ou mises à
disposition dans les hôtels ou les hôpitaux. De plus, en
raison de la formation scolaire de base assurée dans une partie
de la chrétienté, le croyant est supposé avoir
les capacités de lire la Bible et est invité à
les exercer ce faisant, les Églises chrétiennes
excluent sans sen rendre compte les illettrés et les analphabètes,
dont la proportion nest pourtant pas négligeable dans nos
sociétés (près de 9 % en France, selon des statistiques
récentes).
En somme, dans lOccident du XXIe siècle, le chrétien
qui ne possède pas de bible et qui ne sy réfère
pas est inexcusable. Le temps où lon pensait que le croyant
pouvait recevoir directement de lEsprit Saint la pleine connaissance
des Écritures est devenu à peine concevable à
la fin du IVe siècle, Augustin dHippone affirmait avoir
eu vent dun cas récent mais se gardait déjà
de lui donner trop dimportance !
La part de lhumanité qui peut facilement se procurer
une bible, la lire et la comprendre est en effet à peine supérieure
à celle qui ne mange pas régulièrement dinsectes
cest-à-dire quelle ne dépasse guère
les 20 %.
Ce chiffre peut paraître désolant, surtout au vu de lintense
activité des sociétés bibliques, mais il est extraordinairement
élevé aux yeux de lhistorien. Ce dernier rappellera
en effet quau IIe siècle, Méliton, évêque
en Asie Mineure, a dû se rendre jusquà Jérusalem
pour dresser une liste exacte des livres de lAncien Testament,
ce qui signifie quil ne pouvait consulter dexemplaire plus
près de chez lui. Il en profita pour composer un recueil d«
extraits de la Loi et des prophètes au sujet du Sauveur et de
toute notre foi » (Eusèbe de Césarée, Histoire
ecclésiastique, IV.26.13-14). Des florilèges de ce type,
dont certains ont été conservés, permettaient de
suppléer à labsence de bibles intégrales
; ils ont été utilisés par les Pères de
lÉglise des premiers siècles.
En vertu de son coût et de son volume, la bible resta longtemps
inaccessible aux fidèles comme aux petites communautés.
Même après linvention de limprimerie, vers
1450, acquérir une bible restait en effet le lot de personnes
riches : la bible de Gutenberg, imprimée sur papier, coûtait
environ 34 florins, soit moins de la moitié du prix dune
bible manuscrite, mais cette somme correspondait à ce que gagnait
un artisan en quinze mois de travail ! De plus, éditer une bible
était une opération risquée pour un imprimeur :
au XVIe siècle, imprimer une bible à mille exemplaires
occupait un imprimeur pendant une année entière, ce qui
demandait des capitaux importants.
Ces contingences matérielles expliquent la large diffusion
de Vies du Christ ou de bibles partielles jusquà linvention
des livres de poche à prix modérés, vendus par
des colporteurs dès le XVIIIe siècle, et jusquau
développement de lécole publique obligatoire à
la fin du XIXe siècle.Rémi GounelleAvec laimable
autorisation du Protestant, journal du protestantisme libéral
de Suisse romande.
Rémi
Gounelle
Avec laimable autorisation du Protestant,
journal du protestantisme libéral de Suisse romande.