Le secret du salut est celui dun
enfant. Il a été ainsi préfiguré par Ésaïe,
par la vision extatique de la Sybille, par lintuition poétique
de Virgile, par les religions à mystère et par les rites
qui célébraient lapparition dune ère
nouvelle. Tous pressentaient, comme les premiers chrétiens, que
lévénement du salut, cest la naissance dun
enfant. Un enfant est réel et pas encore réel. Il est
dans lhistoire et pourtant il na pas encore vraiment une
histoire à lui. Il est visible, mais il possède en lui
quantité de choses quon ne peut pas voir. Il est présent
et il est surtout à venir. Il en va exactement de même
du salut. Le salut a la nature dun enfant.
La chrétienté le rappelle chaque année en célébrant
la plus émouvante de ses fêtes, celle de la naissance de
lenfant Jésus : le salut en devenant visible demeure aussi
invisible. Celui qui sen tient au visible ne peut pas discerner
ce qua de divin lenfant de la crèche, pas plus quil
ne perçoit ce qua de divin lhomme crucifié.
Le paradoxe des cheminements de Dieu lui échappe.
Seul celui qui peut voir la puissance sous la faiblesse, le tout sous
la partie, la victoire sous la défaite, la gloire sous la souffrance,
linnocence sous la faute, la sainteté sous le péché,
la vie sous la mort, celui là seul peut dire : « Mes yeux
ont vu ton salut. »
Paul Tillich, The New Being,
New York, Charles Scribners Son (recueil de sermons de 1955)