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Numéro 189 - Mai 2005
( sommaire )

Combattre

À partir de deux livres récemment parus, André Gounelle montre l’apport du protestantisme libéral dans notre société laïque, et défend une collaboration intelligente et vigilante entre les Églises et l’État.

Laïcité et libéralisme

La laïcité française doit beaucoup à des protestants libéraux. Dans un livre passionnant (Le Dieu de la République, Presses Universitaires de Rennes, 2003), Patrick Cabanel retrace le parcours de deux d’entre eux, Buisson et Pécaut. Avant 1870, ils tentent de réformer l’Église protestante de Neuchâtel en un sens libéral. La fin du Second Empire les ramène en France où ils travaillent à l’organisation de l’école républicaine et à la formation de ses maîtres.

Après avoir tenté d’instaurer en Suisse une religion laïque, ils s’efforcent d’installer en France une laïcité religieuse. Le projet reste le même: développer une spiritualité profonde, libre et éthique, délivrée des étroitesses dogmatiques et des pesanteurs cléricales. Leur entreprise se solde par un échec: les neuchâtelois ne les suivent pas, et, en 1900, ils constatent amèrement que la laïcité française devient résolument antireligieuse. Catholiques et positivistes leur reprochent un esprit jugé trop protestant, tandis que les protestants, même les plus larges, les trouvent trop «libres penseurs» (voyez les belles lettres qu’échangent en 1903 Wagner et Buisson, à reparaître en octobre 2005 chez van Dieren sous le titre Sommes-nous tous des libres croyants?).

Un échec apparent?

Ne faut-il pas nuancer ce constat d’échec? Si le protestantisme français d’aujourd’hui n’est pas devenu libéral, il s’est pourtant beaucoup libéralisé. Un pasteur «orthodoxe» de 1890 qui reviendrait sur terre jugerait avec horreur que ses adversaires l’ont largement emporté. La spiritualité laïque de Buisson n’a pas gagné la partie, mais de nombreux réformés en sont plus proches qu’il y a un siècle.

En ce centenaire de 1905, Nicolas Sarkozy relance le débat sur la laïcité (La république, les religions, l’espérance, Cerf). Son livre a une évidente dimension politicienne: il entend valoriser un bilan et servir une ambition. Mais, quoi qu’on pense de N. Sarkozy, sa thèse mérite qu’on l’examine pour elle-même. Les religions, dit-il, rendent service à la société; elles y jouent un rôle positif; à ce titre, pourquoi l’État ne les aiderait-il pas, de même qu’il soutient des clubs sportifs ou des associations culturelles? Au lieu de vouloir les exclure de l’espace public, la laïcité devrait leur faire place, tout en maintenant que la société n’est pas et n’a pas à être religieuse. Ce n’est certes pas la laïcité ouverte à la spiritualité, mais méfiante envers les religions instituées de Buisson et Pécaut. Toutefois, il s’agit du même problème: comment conjuguer la spiritualité et la laïcité dont une société a également besoin?

Religions et éducation

Les protestants libéraux avaient conscience que la superstition, le fanatisme et le totalitarisme menacent toutes les religions, leur enlèvent leur utilité et les rendent socialement dangereuses. Ils entendaient lutter contre ces fléaux par l’étude et la réflexion qui freinent la séduction d’intégrismes plus instinctifs que vraiment pensés.

S’ils ont raison, l’État laïc ne devrait-il pas exiger que prêtres, pasteurs, rabbins et imams suivent et valident un cursus théologique de type universitaire, dont il vérifierait le niveau? Il interdirait ainsi que n’importe qui puisse diriger des communautés religieuses, comme il réserve l’exercice de la médecine à des diplômés. Ne pourrait-il pas favoriser ce qui, dans les religions, relève d’une formation intellectuelle et spirituelle de qualité? Cette exigence et cette aide correspondraient bien à l’appel de N. Sarkozy pour une laïcité à la fois ouverte à l’apport du religieux et vigilante contre ses dérives.

Buisson et Pécaut étaient convaincus que l’instruction favorise l’esprit civique et la spiritualité tout autant qu’elle développe le savoir. On peut se moquer de leur idéalisme et le taxer de naïf. Il n’en demeure pas moins qu’en encourageant l’éducation religieuse, l’État rendrait service aux religions, à la société et reprendrait une intuition des fondateurs de la laïcité. feuille

André Gounelle

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