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Numéro 188 - Avril 2005
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C’est sous la forme d’une Lettre à un ami magistrat que le pasteur Jean Hoibian prend la défense des condamnés, rejetant en partie la responsabilité de cet échec sur la société et des dysfonctionnements de la justice. Ce cri du cœur et de l’esprit est celui d’un homme dont le ministère pastoral a été principalement consacré à la cause des prisonniers.

Les prisons du Pays des Droits de l’Homme

Cher ami,

Je suis embarrassé pour dire quelque chose de neuf par rapport au flot de discours éloquents qui a déferlé à l’Assemblée nationale, puis dans les médias il y a plus de deux ans. Mais j’ai bien peur qu’après quelques améliorations des bâtiments et une modification de la réglementation pénitentiaire tout retombe dans l’oubli.

Ma réflexion se voudrait beaucoup plus exigeante, mais elle se heurte à l’indifférence générale. La prison touche plus de 100 000 personnes par an. Qu’est-ce que cela représente, dans un pays de 60 millions d’habitants et qui compte deux millions de chômeurs ?

En général, la population carcérale appartient aux classes populaires, au sous-prolétariat, à la marginalité. Notre société méprise les faibles et les vaincus. Il faut donc faire appel au sens de la justice, au nom des Droits de tout homme à vivre et à jouer son rôle dans la société.

C’est donc d’abord un choix politique.

Le délinquant me semble motivé directement par les objectifs que la société lui propose : l’argent, l’orgueil, l’ambition, avec toutes les satisfactions que ces attitudes procurent (à condition de réduire au silence sa conscience).

Ce que beaucoup obtiennent grâce à leur travail, leur culture, leur situation dans la société, le délinquant, privé de moyens et handicapé sur le plan social, va tenter de l’acqué-rir par la ruse, la violence ou la perversité.

Notre société, qui laisse sur le trottoir de la productivité et de la consommation les futurs pensionnaires de ses prisons, doit comprendre sa totale responsabilité. Elle est criminogène par sa structure même. Elle se plaint des menaces de l’insécurité sans comprendre qu’elle en est l’origine. Cette population refoulée des lieux de consommation souffre puis, parfois, passe à l’acte.

Une réflexion profonde sur la population carcérale amène à une prise de conscience quant à la responsabilité d’une société de l’avoir et de la convoitise, et quant à la dette vis-à-vis du délinquant, qui subit souvent la prison sans comprendre. On lui doit réparation : enseignement, formation morale et professionnelle, culture, et, à la sortie, des possibilités réelles d’insertion.

Qui peut comprendre ce problème et entreprendre de profondes réformes ? Les humanistes, les élus du peuple, les autorités morales et religieuses et… les magistrats !

Depuis plus de 30 ans j’essaie de défendre cette idée que les magistrats sont responsables des dysfonctionnements de la justice. Mais en vain. Les meilleurs d’entre eux admettent que la prison est un lieu détestable ; mais on leur a inculqué cette idée que leur rôle s’arrête à la fin du procès. La sentence prononcée, c’est à d’autres d’appliquer la peine. Leur travail est terminé.

Il me semble que le magistrat n’a pas seulement à dire le droit, à protéger la société dans son principe majeur : la propriété des biens, la sécurité des personnes. Le magistrat doit réfléchir profondément sur les racines de sa profession : la justice est-elle juste ? La société est-elle vraiment protégée, vu le taux de récidive ? Et surtout, le magistrat « peut-il se désintéresser des conséquences de sa décision ? » (Guy Canivet, président de la cour de cassation)

Est-ce du bon travail que de protéger la société et ses lois en faisant souffrir, en excluant, en faisant mine d’ignorer qu’un homme sanctionné peut devenir une épave irrécupérable, alors qu’il est en réalité un citoyen de droit, que la société a le devoir de réintégrer dans son sein ?

On peut bien sûr débattre : le délinquant est-il une victime ? un malade ? un pervers ? La réponse est inévitablement variable et variée. Mais la prison doit être complètement réorganisée. Le but de la sanction (carcérale ou non) est d’aider le délinquant à prendre conscience de l’attitude que la société attend de lui. Une armée de sociologues, de psychothérapeutes, d’éducateurs devrait être recrutée et motivée.

Si les magistrats avaient le souci de faire leur tâche jusqu’au bout (avant le procès, durant le procès et jusqu’à la récupération de l’homme sanctionné), ils exerceraient une pression efficace sur les pouvoirs publics afin que la sanction-prison ne soit pas automatique, et que l’enfermement soit une occasion de prise de conscience.

Pour parler sans détour : les Magistrats ont-ils conscience qu’ils sont les défenseurs d’une société injuste, qui abandonne sur la marge des personnes incapables de suivre le courant, et qui sont condamnées à tomber dans le piège de la délinquance ?

Pourquoi la seule réponse est-elle l’emprisonnement alors que le code prévoit beaucoup d’autres sanctions positives ? feuille

Pasteur Jean Hoibian,
ancien aumônier des prisons
de la région parisienne

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