Une hypothèse serait la
raison apologétique: il fallait remonter à lorigine
de Jésus pour justifier son caractère messianique. Non
ce nest pas un bâtard; non, il ne vient pas de nulle part;
oui il est bien fils dAdam et issu de la souche davidique; oui,
il est bien lastre qui devait se lever de lorient, etc.
Les évangiles de la naissance? Des réponses tardives
aux critiques faites au sujet de Jésus afin de le défendre
en tant que Christ (Paul ne se réfère pas au Jésus
nouveau-né).
Symétrie entre Noël et Pâques
Une autre hypothèse serait quune symétrie a
été créée entre Noël et Pâques.
La chose est communément admise: la croix domine les récits
de Noël; les évangiles orientent lenfance de Jésus
vers la croix. Les récits seraient symétriques, comme
le souligne France Quéré dans Jésus enfant (coll.
Jésus et Jésus-Christ 55, Paris, Desclée, 1992,
p.32): «Jésus meurt dans un grand cri comme celui de
lenfant qui naît [
]. Un nouveau-né enveloppé
de langes, un mort drapé dans un linceul [
]. Un sépulcre
neuf, un sein vierge. Une même offrande de parfums. Celles qui
laiment, une mère ici, une disciple là, toutes
deux ornées du même nom, Marie, se penchent sur un corps
abandonné à sa faiblesse. Des ennemis effrayés,
sbires dHérode ou escouade romaine, et bientôt
terrassés par la mort ou le sommeil [
]. Des anges annoncent
les deux événements.» En somme, on aurait écrit
Noël en fonction de Pâques: lAnnonciation serait
aussi lannonce de la semaine dite sainte.
Noël, clef du récit de la Passion
Pourquoi une telle symétrie entre Noël et Pâques?
Pour que la croix soit dominée par la crèche et vendredi
saint dominé par Noël. Plutôt que de voir dans les
débuts de Matthieu et Luc un miroir de la fin, pourquoi ne
pas faire lhypothèse que la mise en récits de
la mort de Jésus aurait intégré des éléments
propres au temps de la naissance, à la vie qui surmonte le
deuil, la mort, pour reprendre France Quéré? Jésus
meurt mais, ce faisant, tous les gestes et les signes qui accompagnent
son décès sont déjà annonciateurs dune
vie nouvelle qui va jaillir.
De fait, le Jésus qui est mis au tombeau est dans la situation
de lenfant qui doit paraître: les récits de Noël
seraient alors une clef pour interpréter le récit de
la Passion; ils seraient une manière dinsister sur un
trait du récit de la fin de la vie de Jésus: celui qui
est appelé à disparaître est destiné, en
fait, à naître. Je fais lhypothèse que les
récits de la naissance de Jésus auraient été
ajoutés, aussi, pour dessiller nos yeux et nous montrer de
quelle manière la puissance de vie de Dieu se fraie un chemin
dans une jungle bien mortifère.
Actualisation
Il pourrait y avoir là une exhortation pour nous-mêmes:
de quelle façon nos pratiques funéraires proclament-elles
la vie à venir, comment nos rites funéraires sont-ils
annonciateurs de la résurrection? Comment nous débrouillons-nous
pour ne pas nous épuiser dans le deuil mais y découvrir
quune vie est à nouveau possible? La Visitation serait
une invitation à revisiter les dernières heures de Jésus
et les nôtres à la lumière des premières
heures de toute vie.
Si la pauvreté des rites au moment de la mort est souvent
relevée par les sociologues et les psychanalystes, cest
peut-être parce que nos rites au moment de la naissance ne sont
pas un modèle du genre. Pour leur part, deux des évangiles
canoniques nous disent ceci: le plus court chemin qui nous conduit
au Christ mort et ressuscité passe par Bethléem.