Il y a des titres qui
font sourire comme, sur une carte de visite: chef de fanfare de cavalerie
en retraite. On ne sait plus qui est à la retraite: le chef,
la fanfare ou la cavalerie. Jésus de Nazareth néchappe
pas à cette constatation. Il est honoré de multiples titres
qui prouvent quil nest pas considéré par ses
contemporains comme un défunt, nayant plus aucune fonction
(defunctus en latin). Nos derniers synodes régionaux de lÉglise
réformée ont beaucoup insisté sur la Seigneurie
de Jésus-Christ. Plusieurs délégués, souvent
parmi les plus jeunes, ont récusé le titre de Seigneur
qui a un relent plus moyenâgeux que médiéval. Les
disciples du Christ ne sont pas des manants ou des serfs, mais des serviteurs,
comme le remarque Roger Parmentier dans le courrier des lecteurs de
janvier.
Voici un mot qui est mis à toutes les sauces.
Il est vrai que dans lAncien Testament, il désigne souvent
Dieu et que, dans le Nouveau Testament Jésus est présenté
comme le Christ du Seigneur, le Messie de Dieu. Mais le mot kurios peut
aussi bien signifier «monsieur». La traduction des moines
de Maredsous fait dire à la femme samaritaine lorsquelle
sadresse à Jésus, un passant parmi dautres:
«Monsieur, vous navez rien pour puiser
Monsieur, donnez-moi
de cette eau.» Le mot Seigneur nest utilisé que lorsque
la samaritaine saperçoit que Jésus est un prophète.
Dans lantiquité, traiter un inconnu de monsieur, me direz-vous,
est un anachronisme. Les traducteurs de Maredsous ont cependant raison
de faire la différence entre les deux sens dun même
mot. Certains théologiens nhésitent pas à
utiliser cette confusion dans le vocabulaire pour proclamer un peu vite
la divinité ontologique du Christ.
Lorsque Théodore de Bèze, au colloque de
Poissy, prononce la fameuse confession des péchés «Seigneur
Dieu, Père éternel et tout-puissant, nous reconnaissons
devant ta sainte Majesté
», il y a quelque chose de
noble et de grand qui, aujourdhui, na de sens quà
lintérieur de lÉglise. Ne serait-il pas préférable
de ne plus attribuer le titre de Seigneur pour parler de Jésus-Christ?
Ne serait-il pas souhaitable détablir un moratoire, de
suspendre lutilisation dun mot qui na guère
de signification pour nos contemporains?
Philippe
Vassaux