Que le sous-titre de
dogmatique protestante ne prête pas à équivoque»
remarquait Bernard Morel lors de sa parution en 1954;
«Foi
et vérité aborde tous les problèmes essentiels
de la théologie dogmatique, mais sans la prétention dimposer
dogmatiquement (normativement) ses conclusions. Son auteur est un chercheur
trop indépendant et un chrétien trop modeste pour se prévaloir
dune autorité qui, au surplus, est in-concevable dans une
Église à laquelle nappartient rien dinstitutionnel.»
Lemaître lui-même a dailleurs averti demblée
ses lecteurs: «Je nai jamais prétendu à une
originalité de pensée qui meût permis dintervenir
avec une autorité particulière dans les débats
théologiques contemporains. Désireux de communiquer à
mes chers étudiants un esprit plutôt que de leur proposer
un système, je me suis souvent demandé jusquà
quel point un dogmaticien avait le devoir dinnover. Il rend témoignage
à une vérité quil na pas à réinventer.»
Mo-destie, honnêteté: Lemaître na jamais cherché
ni à simposer ni à se faire valoir encore
moins à se profiler, comme on dirait aujourdhui.
Cette discrétion est justement ce qui, plus dun
demi-siècle plus tard, rend si intéressante la relecture
de sa dogmatique. Une dogmatique est en effet toujours située
dans lespace et dans le temps, tributaire dune tradition
confessionnelle donnée, conditionnée par lhorizon
culturel sur lequel elle se déploie. En langage actuel: toute
théologie est marquée par son historicité et sa
contex-tualité. Mais cela ne la dispense pas dêtre
courageuse, et celle de Lemaître lest indubitablement. Elle
nhésite pas à proposer dimportants rééquilibrages
doctrinaux, voire à révoquer en doute des expressions
doctrinales que lon pouvait tenir pour acquises. Les seules vérités
importantes sont celles qui, allant directement au cur de la foi
chrétienne, sont simultanément en relation étroite
avec lexpérience concrète des croyants une
expérience qui peut être de foi ou de doute. «Le
protestantisme a raison de dire que rien de juridique, dinstitutionnel,
de hiérarchique nappartient à lessence de
lÉglise», car «lÉglise est partout
où fleurit la foi en lÉvangile.»Auguste Lemaître
aimait se qualifier lui-même de théologien de lexpérience.
Cette expression apparaît dans toute sa portée dans des
propos quil tient en 1928 concernant Karl Barth: «Une théologie
qui commence par nier toute trace de la réalité divine
dans la conscience ne peut connaître Dieu en Christ que par une
démarche purement arbitraire
Voici la rançon dune
théologie de la pure transcendance: Dieu est si loin quil
faut entre lui et moi lintermédiaire dune autorité
qui simpose par elle-même en-dehors de toute justification
morale et intellectuelle [
] Sans aucun doute la solution la plus
parfaite serait dintroduire ici le magistère divin dune
Église infaillible.» Simultanément, Lemaître
énonçait ainsi la filiation théologique dans laquelle
il se situait: «La théologie protestante du XIXe siècle
[
] sest moins occupée de sonder les profondeurs mystérieuses
[du] Dieu caché, [de] Dieu en soi, que de se demander, en sappuyant
sur la psychologie et lhistoire, sur lÉcriture et
la conscience, ce quest Dieu pour nous et en nous. Désireux
de développer une théo-logie qui sélève
avec sagesse du connu à linconnu, les penseurs de lécole
de Schleier-macher ont fait de la description des états dâme
du chrétien la partie centrale de leur doctrine [
] De tous
côtés [
] on a insisté sur la religion vécue,
sur lexpérience intérieure: on a cherché
Dieu dans lâme humaine.»
La Dogmatique de Lemaître se situe dans la même
perspective.
Bernard
Reymond