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Numéro 187 - Mars 2005
( sommaire )

Vivre

Régine est ressuscitée

Plusieurs pasteurs m’ont dit avoir été demandés par des mourants afin de préparer avec eux leurs funérailles: façon d’affirmer leur foi à travers certains détails choisis pour le rite, manière d’échapper à la pensée de ce qui précède, ultime souci de ceux qui vont rester et du message à leur délivrer?

Un ami, président local de la Ligue contre le Cancer, me signale Régine, isolée à proximité de notre petit bourg, en traitement de chimiothérapie prolongé, sans nul espoir. «Elle est protestante, a-t-il ajouté, une visite lui ferait du bien. Pourriez-vous?»

Régine m’accueille dans sa minuscule maison, au sommet d’une petite colline, dans un fouillis d’arbustes en prolifération anarchique. Nous ne tardons pas à aller à l’essentiel. «Mon corps est dans l’état de ce jardinet. Il faudrait tailler, tailler… Mon traitement m’épuise. L’ambulance ne me conduit plus à l’hôpital qu’une fois par semaine.» Très vite elle ajoute: «Je sais que votre paroisse est momentanément sans pasteur. Je n’y suis pas rattachée. Qui pourrait assurer mon service funèbre? Ce sera pour bientôt.»

J’ai rassuré Régine et nous nous sommes mis, Bible et livrets liturgiques en main, à la préparation du service. Elle avait des idées précises sur les textes, sur la musique, surtout sur la foi en la résurrection à proclamer. «Dites bien qu’elle est pour tout le monde et qu’en mes derniers jours je ne fais que m’en imprégner.»

Au cours de trois visites d’un beau mois de juin, nous avons donc bâti un projet de cérémonie. Je l’ai tapé à la machine et relu avec elle. Étrange témoignage d’une mourante vivant déjà dans une sorte de résurrection! «Mes deux filles viendront, m’assura-t-elle, et peut-être mon ex-mari».

La suite a déjoué nos prévisions. En juillet où j’étais absent, elle fut transportée en banlieue parisienne pour y mourir auprès de l’une de ses filles. J’ai su par cette dernière que notre texte avait été retrouvé bien en vue dans ses papiers et que le pasteur sollicité avait reçu le document. Quel message a-t-il en définitive délivré? L’ultime travail de Régine a-t-il été utile? Humour imprévisible de Dieu?

Toujours est-il que ce travail nous a rapprochés quelques heures dans une vibrante communion d’esprit. Il me semble que c’est beaucoup…

Bernard Félix
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