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Numéro 186 - Févier 2005
( sommaire )

Vivre

Le merle de Heidelberg et le chardonneret de Venise

Le chardonneret a donné son nom et ses riches intonations à un concerto pour flûte et corde du génial compositeur vénitien Antonio Vivaldi. Vers la fin de la guerre, qu’accélérait la domination incontestée dans l’espace allemand des machines volantes alliées, j’ai assisté dans la cour du château de Heidelberg à une joute entre ce chardonneret et un autre volatile, un merle du pays, qui pour être vulgaire n’en était pas moins mélomane et ténorisant.

Au milieu du chaos et de l’horreur de cette époque, cette soirée sérénade créait une illusion de paix et d’harmonie. Un chef qui connaissait bien son métier conduisait avec talent un orchestre de taille moyenne correspondant à celle de la ville de Heidelberg. Il n’était que MD (Musikdirektor), alors qu’il eût mérité le titre de GMD (Generalmusikdirektor). En Allemagne existe, peut-être plus alors qu’aujourd’hui, le Titelwahn, la manie des titres qu’un français rendrait volontiers, dans un jeu de mot facile, par vanité des titres (mais la France connaît ce que les allemands nomment le Knopflochsmerz, la douleur de la boutonnière vierge).

Le flûtiste, soliste de ce concerto, venait d’entamer son gazouillis quand se posa sur un mur du château en ruine un merle qui, sans doute, souhaitait régner en maître incontesté sur son cheptel de merlettes. Il se mit à siffler de concert et en rivalité avec le flûtiste, à la grande joie du public.

À la fin du premier mouvement, le merle s’envola, satisfait d’avoir cloué le bec du flûtiste. Il lui fallut vite déchanter et rechanter, car l’ennemi, le flûtiste, entama la douce sérénité du mouvement lent. Le merle s’installa à nouveau sur son pan de mur et dans ce mouvement lyriquement calme, la flûte fut submergée par un flot de mélopées du merle virtuose et jaloux.

L’assistance réagit en excellent public et se mit à rire de bon coeur. Mais l’Art – avec un A majuscule – dut s’avouer vaincu devant les coloratures en cascade de l’oiseau. Le flûtiste abandonna la partie. Ce soir, pourtant béni par la sérénité qui régnait de façon irréelle, connut un perdant : le concerto de Vivaldi amputé de la virtuosité de son mouvement final. Espérons que le soliste ait touché la totalité de son cachet ! Il y a bien dans certains contrats une clause au sujet des catastrophes naturelles. feuille

Francis Muller

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