Le chardonneret a donné
son nom et ses riches intonations à un concerto pour flûte
et corde du génial compositeur vénitien Antonio Vivaldi.
Vers la fin de la guerre, quaccélérait la domination
incontestée dans lespace allemand des machines volantes
alliées, jai assisté dans la cour du château
de Heidelberg à une joute entre ce chardonneret et un autre volatile,
un merle du pays, qui pour être vulgaire nen était
pas moins mélomane et ténorisant.
Au milieu du chaos et de lhorreur de cette époque,
cette soirée sérénade créait une illusion
de paix et dharmonie. Un chef qui connaissait bien son métier
conduisait avec talent un orchestre de taille moyenne correspondant
à celle de la ville de Heidelberg. Il nétait que
MD (Musikdirektor), alors quil eût mérité
le titre de GMD (Generalmusikdirektor). En Allemagne existe, peut-être
plus alors quaujourdhui, le Titelwahn, la manie des titres
quun français rendrait volontiers, dans un jeu de mot facile,
par vanité des titres (mais la France connaît ce que les
allemands nomment le Knopflochsmerz, la douleur de la boutonnière
vierge).
Le flûtiste, soliste de ce concerto, venait dentamer
son gazouillis quand se posa sur un mur du château en ruine un
merle qui, sans doute, souhaitait régner en maître incontesté
sur son cheptel de merlettes. Il se mit à siffler de concert
et en rivalité avec le flûtiste, à la grande joie
du public.
À la fin du premier mouvement, le merle senvola,
satisfait davoir cloué le bec du flûtiste. Il lui
fallut vite déchanter et rechanter, car lennemi, le flûtiste,
entama la douce sérénité du mouvement lent. Le
merle sinstalla à nouveau sur son pan de mur et dans ce
mouvement lyriquement calme, la flûte fut submergée par
un flot de mélopées du merle virtuose et jaloux.
Lassistance réagit en excellent public et
se mit à rire de bon coeur. Mais lArt avec un A
majuscule dut savouer vaincu devant les coloratures en
cascade de loiseau. Le flûtiste abandonna la partie. Ce
soir, pourtant béni par la sérénité qui
régnait de façon irréelle, connut un perdant :
le concerto de Vivaldi amputé de la virtuosité de son
mouvement final. Espérons que le soliste ait touché la
totalité de son cachet ! Il y a bien dans certains contrats une
clause au sujet des catastrophes naturelles.