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Numéro 184 - Décembre 2004
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La période de douze jours qui sépare Noël de l’épiphanie a toujours été un moment particulier, entre l’année qui s’achève et celle qui commence. Ce temps de fêtes est lié bien évidemment au solstice d’hiver ; on y trouve la proximité de la mort, et le renouveau de la lumière. Au Brésil, cette période est marquée par la fête des Rois, que nous raconte Madeleine Félix.

La fête des Rois au Brésil

Pour un chrétien du XXIe siècle, le récit des mages venant rendre hommage à l’enfant Jésus est contestable du point de vue de la véracité historique. Les spécialistes du Nouveau Testament l’ont, depuis longtemps déjà, daté plus tardivement que l’ensemble de l’évangile attribué à Matthieu ; mais ces deux premiers chapitres renforcent le dessein de l’évangéliste : persuader les Juifs que Jésus est bien le Messie attendu.

De ce fait, les mages, bien que leurs noms apparaissent dans le calendrier des saints de l’Église catholique, n’ont jamais été à proprement parler canonisés. Ils sont regardés d’un œil encore plus sceptique par les protestants. Et pourtant, très vite, l’Église orientale a fêté l’Épiphanie en l’honneur de leur message et les premières représentations chrétiennes les ont montrés à côté de l’enfant et de sa mère. Et ce fut même un sujet favori des artistes du Moyen Âge et de la Renaissance, sujet qui leur permettait de mettre en valeur leur imagination et leur virtuosité à travers les cortèges censés avoir accompagné les mages de leur Orient mystérieux jusqu’à Bethléem. La contre-réforme ainsi que le siècle des Lumières, premier « désenchantement du monde » (à juste titre !), ont apuré la scène, devenue même rare au XVIIIe siècle. Il faut attendre la multiplication des crèches à la fin de ce même siècle et le renouveau religieux du XIXe siècle pour voir réapparaître plus modestement ces personnages… derrière les bergers qui prennent alors la première place, leçon tirée du bouleversement social né de la Révolution.

C’est cependant sous la plume d’un pasteur protestant, professeur de littérature aux États-Unis, que ce récit a repris une coloration nouvelle avec l’aventure d’un quatrième mage arrivé trop tard à Bethléem parce qu’il s’est occupé, en route, de ceux qui avaient besoin de lui, un bon Samaritain en somme. Le message est clair : amour de Dieu, amour du prochain. « Réenchantement » à l’occidentale, ce récit a été récemment exploité de multiples façons : contes, poèmes, prières et même apparition d’un quatrième roi mage dans certaines crèches.

Douze jours de « folie » au Brésil

Une autre manière de concevoir ce réenchantement est de maintenir ou de redonner vie aux vieilles traditions populaires : c’est sans doute ce besoin qui fait le renouveau des anciens pèlerinages, comme celui de Saint-Jacques de Compostelle. Évoquons plutôt la « folia de Reis », la fête des Rois, telle qu’elle se pratique en différents lieux du Brésil : on peut y retrouver la tradition des « folias » portugaises du Moyen Âge, danses et chants alternés (d’où est également issu le fado), faisant suite aux « cantigas » primitivement accompagnées de la vielle, de la cornemuse ou du chalumeau ; ces fêtes s’apparentent également aux drames liturgiques.

Suivons, à titre d’exemple, la « folia de Reis » à Lages, petite communauté rurale de l’État de Goia au sud-est de Brasilia, comme nous la racontent les participants de ce rituel, et en particulier Jadir de Morais Pessoa, sociologue de l’Université de Goïania. Cette fête fut introduite dans ce village en 1944 par les mineurs du Minas Gerais à la recherche de travail sur le Campo Grande au moment de la fermeture des mines et eut l’avantage de servir de pont entre ceux qui étaient nouvellement arrivés dans la région et les anciens habitants.

Rituel du monde paysan dont les fonctions sociales sont considérables, cette fête dure les douze jours qui vont de Noël à l’Épiphanie. Tout un cortège se déplace de maison en maison suivant des règles traditionnelles avec une grande diversité de fonctions qui incluent toutes les personnes concernées par le « tour ». Un an à l’avance est choisi le « festeiro », celui qui sera le meneur de la fête, le plus souvent à la suite d’un vœu qui le place sous le patronage des Rois ; il est suivi d’un clown qui est le messager de l’arrivée du cortège dans une maison, puis d’un porteur de bannière représentant les mages, objet sacré devant lequel les habitants de la maison s’agenouillent et prient. L’« ambas-sa-deur » est le principal responsable de l’organisation de la musique ; c’est lui qui a l’autorité pour les formalités administratives en même temps qu’une autorité charismatique. Une excellente mémoire lui permet de se souvenir des meilleurs vers improvisés par les anciens depuis des années et d’improviser à son tour des chants repris par le chœur de quatre groupes de chanteurs, une douzaine au minimum.

Unité solidaire et contradictions sociales

Le tour des deux cent cinquante maisons catholiques du village se fait jour et nuit ; autant dire que c’est un exploit physique qui demande naturellement qu’il y ait des relais dans les différentes fonctions, ce qui mobilise une petite centaine d’intervenants. C’est une véritable aventure par des chemins pas toujours praticables d’autant que la pluie est souvent de la partie à cette époque de l’année et qu’il y a des tabous à respecter : tourner toujours dans le même sens, ne jamais croiser un chemin déjà pris, ne jamais passer les instruments de musique (accordéons, tambourins, guitares diverses…) sous un fil de fer de clôture, etc. Seuls les hommes prennent part à la déambulation (bien que cela semble évoluer quelque peu) ; les femmes participent aux prières (les Rois sont protecteurs de la famille et des animaux), mais ce sont les hommes qui reçoivent… et qui cuisinent ce jour-là.

Toutes les décisions, et en particulier le choix du meneur de fête, sont prises de manière démocratique, et le tour n’exclut aucun membre de la communauté, n’aurait-il à donner aux participants du tour qu’une tasse de café. On peut cependant constater que le meneur, pendant cinquante années de fêtes, a toujours été un propriétaire et non un ouvrier agricole (sauf neuf exceptions) : proclamation de foi et unité solidaire typique d’un monde rural, mais qui en même temps cache les contradictions sociales existantes. La fête se termine pour tous le 5 janvier à l’église du village autour des louanges à un même Dieu.

La fête survit malgré les critiques

Comme partout ailleurs, à Lages, ce genre de fête est menacé de différentes manières : dévotion et divertissement étroitement mêlés, critiqués même par certains participants et par la hiérarchie catholique (donner des aumônes plutôt que faire tout ce tour), abus d’alcool (en boire un peu permet de tenir le coup physiquement), grande place prise par la télévision, réduction de la densité démographique, difficultés économiques qui poussent certains à vendre des boissons et non plus à donner, désir gouvernemental de transformer la « folia » en un spectacle, critique des courants évangéliques qui y voient des traditions païennes, etc.

Et pourtant, c’est un jour de fête par maison et par an dans une communauté rurale très dispersée, une occasion de bien manger et bien boire, de s’habiller autrement, une interruption dans une vie quotidienne de travail, et aussi une sorte d’échange des savoirs. C’est un rituel religieux catholique, mais essentiellement populaire, sans la nécessité de la présence d’ecclésiastiques ni de l’utilisation des lieux officiels du culte catholique : c’est peut-être ce qui a assuré sa survie face à l’ampleur du phénomène religieux pentecôtiste des années 70. Malgré les questions posées en 1994 au moment du cinquantenaire de la « folia » concernant la pérennité de cette forme d’évangélisation dans la rencontre (message et action), la fête s’est maintenue jusqu’en 2004, occasion de rendre un culte au « Seigneur, maître de la maison ». Rituel qui évolue et que transposent partiellement en milieu urbain d’anciens participants à cette fête.

Sans doute au Brésil comme en Europe, sommes-nous actuellement à la recherche d’un retour vers le vrai sens de la fête, le don gratuit, avec, en même temps, la claire conscience qu’à travers ces manifestations populaires, c’est à Dieu seul que doivent aller nos louanges. feuille

Madeleine Félix

Tous mes remerciements à J. M. Pessoa pour son aide, en particulier à travers le livre Meu Senhor Dono da Casa (Os 50 anos da folia de Reis das Lages).

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