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Numéro 182 - Octobre 2004
( sommaire )

Débattre

L’islam libéral a toujours existé

L’époque présente a tendance à nous faire oublier que les musulmans éclairés, critiquant l’islam orthodoxe de l’intérieur et au nom de la raison, se sont toujours manifestés, et avant même qu’une tendance équivalente se développe dans le christianisme. Nous rappelons ici quelques traits principaux de cette longue tradition.

L’islam, dans son expansion, a rapidement rencontré la philosophie grecque. Grâce à cette influence, de nombreux musulmans ont cherché à réconcilier la raison et les données du Coran. Le problème de la théologie rationnelle a donc d’abord été posé en islam. C’est en Irak à Bassorah, que s’est développé au VIIIe siècle, au sein de la branche chiite, le « Moutazilisme », premier système théologique rationnel. Cette école professait que la raison était plus efficace que la tradition pour rendre intelligible la révélation. Car tout n’est pas clair dans le Coran et il faut donc des outils pour l’interpréter. Certains (comme Al Warraq) disaient même que la longue chaîne orale, qui va du Prophète au Coran écrit, ne garantissait pas l’authenticité du texte et que seul l’accord avec la raison permettait cette garantie. Le moutazilisme perdit son importance au onzième siècle, mais a marqué l’islam éclairé jusqu’à aujourd’hui.

L’école andalouse a repris le flambeau, au douzième siècle, avec principalement Averroès, grand admirateur d’Aristote, et qui soutenait que la raison philosophique ne pouvait pas contredire l’enseignement du Coran, puisque les deux venaient de Dieu. Il réinterpréta toute la pensée musulmane à travers la pensée d’Aristote. Une de ses déductions fut que l’âme meurt avec le corps, le savoir seul étant éternel. L’évêque de Tolède, impressionné, fit traduire, de l’arabe vers le latin, les penseurs grecs, et particulièrement Aristote. Par cette voie, la pensée du grand philosophe pénétra l’occident chrétien et l’enflamma. Certains grands théologiens, comme Thomas d’Aquin, en furent très influencés.

A partir du XVIIIe siècle, le monde islamique fut envahi par l’Occident qui dominait par sa puissance et sa culture. Certains musulmans (comme Al Wahhab) réagirent par un repli sur la pensée traditionnelle, seule capable, selon eux, de retrouver la gloire perdue. D’autres, au contraire réalisèrent que la faiblesse du monde musulman provenait d’un manque d’adaptation aux données de la civilisation moderne. Une nouvelle recherche d’ouverture s’en suivit. Mohammed Abdouh, par exemple, réhabilita le rôle essentiel de la raison pour comprendre la vérité de l’islam. Fazlur Rahman alla jusqu’à dire que le Coran était à la fois d’origine humaine et divine.

Aujourd’hui encore, en face d’un islam enfermé dans un passé figé et une théologie immuable, continue à se développer une pensée libre qui cherche à reconstruire une religion intelligible pour notre civilisation moderne. Elle distingue (avec Shah Wali Allah) dans l’héritage musulman, les préceptes qui étaient dépendants de l’Arabie de Mahomet de ceux qui ont une valeur éternelle. Elle redonne sa place (avec Abdoul Soroush) à la raison critique, notamment en replaçant le Coran dans son contexte historique, et en faisant la part du jeu des forces socio-politiques du moment. Certains considèrent que le Coran est intimement lié à la personnalité du Prophète, lequel n’a pas eu qu’un rôle mécanique d’enregistrement. D’autres appliquent au Coran les outils modernes de l’analyse littéraire, en l’interprétant comme tout autre chef-d’œuvre de littérature. Et beaucoup de ces analyses reviennent à dégager surtout le contenu éthique du Livre.

Quelle que soit l’époque, ces modernistes furent mal vus de l’orthodoxie dominante et terminèrent tristement, sinon dramatiquement, leur vie. Aujourd’hui, ils doivent souvent se réfugier en Occident, comme Mohammed Arkoun, d’origine algérienne, mais qui vit en France depuis 40 ans et a été professeur à la Sorbonne.

Certains livres récents expliquent les positions théologiques de ces nouveaux penseurs. Citons particulièrement celui de Rachid Benzine. Il situe très bien le problème général et montre, auteur par auteur, le difficile travail de reconstruction de la pensée religieuse et de recherche des éléments de la tradition qui pourraient constituer les fondements d’un islam moderne.feuille

Henri Persoz

Rachid BENZINE, Les nouveaux penseurs de l’islam, Paris, Albin Michel, 304 pages, 18,50 €

Malek CHEBEL, Manifeste pour un islam des lumières, Paris, Hachette, 224 pages, 20 €

Dominique URVOY, Les penseurs libres dans l’islam classique, Paris, Albin Michel, 261 pages, 20 €.

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