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Numéro 176 - avril 2004
( sommaire )

Dossier : Vie, mort et résurrection

Dans ce dossier :

  • Il est ressuscité, par Claudette Marquet
  • Passages à l'hôpital, par Claude Levain
  • Rédemption au rédempteur, par Jean-Robert Charles
  • Pâques, première fête chrétienne, par Laurent Gagnebin

Et 4 extraits du livre d'André Gounelle, Parler du Christ, Éd. van Dieren

  • Le surgissement d’une vie autre
  • Une humanité nouvelle
  • Ressusciter, un événement permanent
  • L’effectivité de la résurrection

La vie a deux extrémités : la naissance et la mort. Cette apparente symétrie est brisée par la « flèche du temps » : tout homme a déjà vécu sa naissance et sait ce qu’il y avait avant, mais aucun homme ne sait ce qu’il y aura après sa mort. Il semble bien que, depuis que l’homme est homme, c’est-à-dire depuis qu’il enterre ses morts, la plupart des civilisations ont parié sur une vie après la mort, puisque l’on retrouve dans beaucoup de sépultures des objets destinés à accompagner le défunt dans sa « vie » ultérieure.

Jeroen Bosch, les Bienheureux

Jeroen Bosch (vers 1450-1516), Montée des Bienheureux vers l’empyrée. Venise, Palais Ducal

De nos jours, après quelques siècles de développement des sciences, l’idée d’une vie après la mort est difficilement imaginable. Pourtant, chaque année, le retour de Pâques rappelle aux chrétiens le caractère essentiel de la Résurrection. Dieu est le dieu de la vie et non de la mort. À Pâques naît l’homme nouveau et authentique.

« Ressusciter » traduit deux verbes grecs : egeirô (s’éveiller), et anistêmi (se lever), qui correspondent à des actions bien plus banales qu’une résurrection, mais dont le sens peut éclairer notre compréhension. Lorsque le langage courant utilise le mot « ressuscité » pour quelqu’un qui repart vers une nouvelle vie après des épreuves, il y a continuité avec la vie d’avant et ce ressuscité-là n’échappera pas à la mort. La résurrection du Christ est d’un autre ordre. Après Pâques il ne retourne pas à la vie ordinaire ; son corps est réel, mais différent, « surnaturel », il apparaît et disparaît. Sa présence a un caractère qui étonne.

La réflexion théologique sur la Résurrection propose une interprétation physique (la résurrection, comme l’incarnation, s’inscrit dans la matérialité la plus banale), et une interprétation symbolique (la réalité de la résurrection n’équivaut pas à sa matérialité). La richesse et la complexité du message pascal sont telles qu’il faut, pour avancer dans sa découverte, se mettre à l’écoute de différents langages : théologique, philosophique, historique, symbolique, artistique…

C’est ce à quoi nous invitent les quatre articles de notre dossier.

  • Claudette Marquet rappelle la netteté du message pascal, malgré les hésitations des premiers témoins, et la fragilité historique de l’événement. Elle dit sa foi en une réalité promise et dynamique.
  • Claude Levain nous fait part de ses réflexions sur ce qui se vit à l’hôpital : lors d’une maladie grave, on devient un autre ; on peut alors réaliser que reprendre vie dans sa chair est envisageable.
  • Jean-Robert Charles se tourne vers Richard Wagner et le drame sacré de Parsifal, pour dégager une vision sereine du christianisme, débouchant sur la joie pascale.
  • Laurent Gagnebin, enfin, se demande si le calendrier des Fêtes chrétiennes ne devrait pas commencer avec Pâques plutôt qu’avec l’Avent et Noël.

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Il est ressuscité

L’histoire de Jésus ne finit pas avec sa mort. Elle commence à nouveau avec sa résurrection. Pourtant, l’événement de la résurrection de Jésus d’entre les morts, sa vie et son règne éternels, échappent à la science historique. Ce que l’histoire peut saisir, on le sait, c’est, tout au plus, la foi des premiers témoins en cet événement déconcertant.

Les disciples passent du doute à la conviction

Mais la netteté du message de Pâques – Jésus Christ est ressuscité – transmis par différents témoins, entre en tension avec ce que le théologien allemand G. Bornkamm appelle « l’ambiguïté et le caractère problématique des récits de Pâques, du point de vue historique » (Qui est Jésus de Nazareth ?, traduction française 1973).

 

Christ en gloire

Anonyme (Hohenbergh?) : Le Christ en gloire sur un tas de foin. Eau-forte, XVIe siècle

Il suffit en effet de comparer les récits des évangiles (Marc 16, Matthieu 28, Luc 24, et Jean 20 et 21) avec les apparitions du Ressuscité énumérées par Paul au chapitre 15 de la première lettre aux Corinthiens (15,3-5), qui n’ont pas laissé de traces dans les évangiles, pour s’en convaincre. Et réciproquement : Paul ignore les femmes au tombeau ou les disciples d’Emmaüs. Quant aux récits évangéliques, ils diffèrent considérablement, dans des détails significatifs.

Fermeté et clarté du message pascal, caractère problématique de la mise en forme narrative : ce peut être la première étape d’une réflexion sur Pâques.

La deuxième semble conduire à un autre paradoxe.

Le Ressuscité des morts, appelé comme tel sans hésitation, est, apparemment, confessé par de bien étranges témoins, si l’on en croit les récits évangéliques.

Contrairement à ce qu’en pense Faust « ils fêtent la résurrection du Seigneur car ils sont eux-mêmes ressuscités » (cité par Bornkamm), au matin de Pâques, les témoins, vaincus par la tristesse et trahis dans leur espérance, sont comme morts. Et c’est bien plus tard qu’ils entreront dans la joie de Pâques.

Pour que les lecteurs, d’hier et d’aujourd’hui, ne soient pas tentés de se glisser dans la peau de ces fragiles témoins et de réagir comme eux, prisonniers qu’ils sont du raisonnement raisonnable – celui qui est mort est bien mort – les rédacteurs des récits font donner les forces célestes en la personne d’un ange. L’envoyé spécial de Dieu parle avec fermeté : « Ne vous effrayez pas. C’est Jésus de Nazareth que vous cherchez, le crucifié ; il est ressuscité, il n’est pas ici. Voici le lieu où on l’avait placé. » (Mc 16,6) « Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant ? » (Lc 24,5)

L’ange ne réussit pas son coup, du premier coup. Le ressuscité lui-même, disent les récits, doit donner de sa personne et va à la rencontre des uns et des autres et même des unes.

Succès mitigé : femmes angoissées, disciples apeurés ou fortement sceptiques : laisse-moi voir tes blessures et tes trous.

Enfin et enfin seulement, vient, après la peine, la conviction : « C’est bien vrai, le Seigneur est ressuscité. » (Lc 24,34)

Comme quoi, l’événement de Pâques, pour central qu’il soit dans l’expression de la foi chrétienne, n’a pas immédiatement rallié les suffrages des premiers intéressés. Que dire de nous et de nos convictions intermittentes, vingt siècles après…

Mais Paul est plus assuré

Heureusement, il y a Paul qui n’y va pas par quatre chemins : « Si le Christ n’est pas ressuscité alors notre prédication est vide, vide aussi notre foi. Et il se trouve même que nous sommes de faux témoins de Dieu, puisque nous avons attesté contre Dieu qu’il a ressuscité le Christ alors qu’il ne l’a pas ressuscité. » (1 Co 15,14-15) Si Christ n’est pas ressuscité « mangeons et buvons car demain nous mourrons. » (15,32) Mais pour nous, affirme-t-il, « le Christ est ressuscité des morts, prémices de ceux qui se sont endormis. » (15,20)

Bilan de ce petit parcours textuel : des hommes et des femmes ont été témoins d’un événement peu croyable – un maître mort et ressuscité d’entre les morts – mais pas sans mal ni sans violence faite à leurs sens (la vision, l’ouïe, le toucher, la saveur même quand ils mangent les poissons grillés sur la plage). A quoi il faut ajouter le témoignage de Paul, victime sidérée d’un éblouissement vivifiant, sursignifié par une parole à lui personnellement adressée par le Maître et Seigneur ressuscité.

Ces témoins et ces témoignages ont franchi les frontières, le temps et l’histoire, par oral puis par écrit. De siècle en siècle, d’interprétations en interprétations, de vies transformées en témoignages engagés, la parole a parcouru le monde jusqu’à aujourd’hui : Celui que l’on croit mort est ressuscité, prémices de toutes nos résurrections.

Le sens de la résurrection pour moi, aujourd’hui

Et moi, lointaine descendante de ces premiers témoins, me voici tenue de préciser ce que ressusciter veut dire, en ces temps troublés comme le sont tous les temps des humains.

Je n’ai jamais eu beaucoup d’appétence pour les résurrections « poétiques », je veux parler de ces variations, souvent magnifiques, sur le thème : apprendre à ressusciter aujourd’hui, dans nos vies présentes. Je ne nie pas avoir été moi-même témoin de vies transformées et je n’ai pas hésité à dire, avec d’autres : « C’est une véritable résurrection. » C’est vrai que tout passage d’un état de vie marqué par la souffrance, le malheur, le tragique, à la guérison, à la joie retrouvée, aux forces renouvelées, peut être parabole de la Résurrection du Christ, promise à toutes et à tous.

Ce faisant, j’indique et je témoigne qu’il s’agit là de signes annonciateurs, d’éléments visibles d’une réalité invisible et promise.

Mais pour moi, ces signes ne prennent signification que par ce qui les leste de sens : c’est parce qu’une résurrection, pleine et entière – plénière en quelque sorte – m’attend ainsi que toute l’humanité passée, présente et à venir, que je peux discerner dans chaque vie et la mienne, furtivement ou ostensiblement, des traces de résurrections partielles. Nous pouvons vivre de petites résurrections bienfaisantes parce qu’elles sont filles de la Résurrection de Jésus.

Comme il y a une corinthienne qui sommeille en moi, j’aimerais, parfois, avoir réponse à des questions simples : comment les morts ressuscitent-ils ? Avec quels corps reviennent-ils ? (1 Co 15,35) Est-ce qu’on ressuscite dès sa mort ? Et comment Dieu fait-il pour ressusciter les milliards d’humains (sans parler des animaux et des plantes) déjà morts ? Et tous ceux à venir ?

Questions sans réponse et peut-être, à la limite, sans intérêt ni sens. Paul n’a pas tort qui guide le questionneur sur d’autres pistes. Il parle de corps spirituel, d’être incorruptible, de transformation. Et l’image poétique du son de la trompette finale qui commandera la transformation générale me convient, surtout lorsqu’elle est mise en musique par Haendel dans son « Messie » : « the trumpet shall sound and the dead shall be raised incorruptible » – chantée par une belle voix de basse.

La Résurrection anéantit la mort

Les limites de mon cerveau sont atteintes : je ne sais pas « comment » mais je sais « que », comme Job l’exprime : « Je sais que mon Rédempteur (Défenseur) est vivant et qu’il se tiendra au dernier jour sur la terre… C’est bien dans ma chair que je contemplerai Dieu. » (19,25-26)

Certains disent leur crainte que l’espérance d’une vraie vie, après la mort, démobilise pour la vie d’aujourd’hui. Je n’en crois rien. Il me semble qu’avoir l’assurance que toute vie et toute la vie, sont placées « sous les yeux éternels du bon regard de Dieu » pour les tirer vers leur potentiel le meilleur et non vers la barbarie, peut au contraire donner force et courage pour s’humaniser davantage et participer à l’humanisation des humains.

Que dit Pâques ? Il est ressuscité. La mort est vaincue. Ô mort, où est ta victoire ?

Il m’apparaît que pour quiconque s’interroge sur l’absurdité d’une vie scellée par sa destruction, proche ou lointaine, et cherche un peu de vérité et de pardon pour vivre, le message de Pâques que portent les chrétiens, vaut le détour et, qui sait, le voyage.

Un voyage qui n’entraîne pas forcément sur des routes parallèles, protégées des orages et des naufrages de la vie mais qui, au rythme de chacun, fait avancer, au fil des jours, avec moins d’angoisse et de désespérance au cœur. feuille

Claudette Marquet

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Passages à l’hôpital

L’hôpital nous renvoie, comme un miroir, un certain visage de l’homme. C’est un miroir grossissant et, dans son reflet, on peut découvrir quelques traits caractéristiques de l’homme envisagé par notre société. Acteur et victime d’enjeux économiques et des jeux de pouvoir, assujetti au pouvoir de séduction des prouesses techniques entre la fascination et l’horreur. Déçu par la promesse non tenue d’un monde meilleur sans souffrance et sans maladie, mais toujours habité, malgré le démenti infligé par la réalité, par une volonté de maîtrise imaginaire de la vie, du début à la fin… enfin de la vie réduite à celle du corps. Car la vie, le vivant, en retrait des images, est sans doute bien autre chose que le bon fonctionnement des organes, même si leur silence est signe de santé.

 

Aldo Rossi la Maison des Morts

Aldo Rossi (architecte milanais, 1931-1999), Maison des Morts au cimetière San Cataldo de Modena (1971-1978). Ce cube composé de 4 murs percés d’inombrables fenêtres, sans toit, symbolisait pour l’architecte un lieu pour le passage de la mort à la vie. Photo DR.

L’hôpital est un lieu de passage. Passage possible d’une image à une autre. Passage obligé pour la plupart d’entre nous (70 % des Français y passent les dernières heures de leur vie). Passage de la maladie à la santé, on y soigne de plus en plus efficacement, les corps surtout. Si certains y recouvrent la santé, d’autres, parfois les mêmes, y retrouvent la vie.

Retrouver la vie. Seul, le sujet concerné par l’épreuve peut évoquer en ces termes et dans l’après coup, ce passage-là. Les mots ordinaires sont rarement suffisants pour en rendre compte. C’est précisément dans la vie autrement retrouvée qu’elle s’authentifie en se donnant à voir par ses effets vivants.

Je ne peux ici évoquer ce passage qu’avec prudence, de la place du témoin. On connaît les effets provoqués par des discours théologiques valorisant pour tous la souffrance et l’épreuve. Communément, mis à part la question des complicités avec la mort, sous-jacentes dans ces discours, la souffrance qu’on supporte le mieux c’est toujours celle des autres.

Lâcher prise et risquer de disparaître

Dans la crise de la maladie grave nous sommes démunis, s’effondre autour de nous ce qui semblait le plus solide. Nous sommes dépossédés de nous-même, nous sommes privés de ce qui jusque-là, nous faisait vivre, on devient « autre ». La phrase typique « je ne me reconnais plus » vient illustrer ces bouleversements multiples. Des phénomènes de régression sont fréquents. Ils nous transposent, nous et notre corps, dans l’expérience de la chair à des moments archaïques où se sont noués nos rapports avec les autres : sentiment ou expérience d’abandon ou de présence attentive, voire trop attentive. Se rejouent dans la crise d’une façon singulière les premières expériences de langage, parfois dans la plainte inarticulée.

Au commencement de chaque existence, après avoir reçu la vie du corps biologique, une autre expérience sera de recevoir d’un autre, pour devenir humain, des mots qui nous sont adressés. Ces mots seront reçus, avec leur musique, leur prosodie, leurs intentions, et le monde de signification qui les accompagnent. Ils vont signifier pour nous et marquer notre expérience jusqu’au plus profond de notre chair. Nous deviendrons un être humain parlant et selon la façon dont nous avons été d’abord parlés, un vivant possible. Pour certains, devenir vivant n’est pas une évidence, un point de départ assuré comme la vie biologique. Ce qui est à l’œuvre à leur insu est marqué par l’enfouissement de la part vivante bien avant la mort biologique. Pour la plupart d’entre nous, le jeu est plus subtil, mais rend souvent obscur ce qui est vraiment vivant.

Au cours d’un passage à l’hôpital, au moment de l’épreuve, certains confient que ce sur quoi ils avaient fondé leur existence s’effondre. Les images auxquelles ils s’identifiaient s’avèrent n’être que des mirages. Le risque est évidemment que la personne disparaisse avec elles.

Puis re-lier les mots et la chair pour retrouver une nouvelle vie

Pour ceux qui entourent une personne malade au moment d’un possible passage, les raisonnements et les paroles bonnes, raisonnables, trop souvent prodiguées ne sont qu’illusion, elles ne trompent d’ailleurs que celui qui les prononce. Souvent, inconsciemment, elles soutiennent les images qui s’effondrent chez l’autre mais auxquelles on adhère encore. C’est pourquoi cette place est difficile à tenir, elle est souvent désertée. Elle met trop à l’épreuve par les figures de la mort qu’elle contient.

Mais la vie, même menacée, s’y connaît pour percevoir ce qui est vivant. Et c’est avant tout cela qu’il est possible d’entendre et de soutenir. Quand le corps est atteint dans l’épreuve portée à un point de régression archaïque, des liaisons anciennes entre les mots et la chair peuvent se délier pour se nouer d’une façon nouvelle. L’expérience vivante en accord avec la vie qui est en nous peut faire effet de vérité, on peut alors s’essayer à de nouveaux arrangements avec la vie. Quand la vie vacille, si l’écoutant en écho n’est pas perdu dans les méandres de sa propre histoire, s’il écoute du côté de la vie, il peut soutenir ce qui reprend vie dans la chair d’une façon nouvelle.

Auprès de celui qui traverse cette épreuve, un témoin, dans les deux sens du terme, peut être présent à cette place impossible et pourtant envisageable. Témoin des effets de vie chez celui qu’il rencontre. Témoin en lui-même des effets de vie, éveillés dans l’écoute d’un autre témoin par la reconnaissance de la part vivante qu’il porte en lui. Cet autre là, qui l’a écouté comme cela, l’a lui-même reçue d’un autre avant lui référé à un autre visage de l’homme. Dans ce sens, on peut croire que ce passage est possible, et comprendre que reprendre vie dans sa chair est envisageable. feuille

Claude Levain

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Rédemption au Rédempteur

Quelques considérations sur un Drame Sacré – le parcours initiatique de Parsifal

 

Illustration pour Parsifal

Illustration pour Parsifal extraite de 15 Bilder zu R.Wagner’s Bühnenweihfestspiel von Franz Stassen, B. Behr’s Verlag, Berlin-Leipzig

Voici Pâques, voici le printemps de retour. La nature s’était endormie sous le froid et dans la nuit d’hiver. Elle s’éveille dans sa magnificence. Et notre année liturgique évoque cet enfouissement et ce surgissement en célébrant la mort et la résurrection de Jésus au moment de Pâques.

Cette mort, cette résurrection constituent dans le christianisme des thèmes spirituels d’une infinie signification, d’une grande richesse théologique. Nombre d’artistes ont évoqué la mort, la résurrection de Jésus. Ainsi, voici 120 ans, Richard Wagner créa une vision complexe et puissante du thème de Pâques à partir du mythe du Graal et de la rédemption.

Je me propose d’évoquer ici quelques aspects de cette oeuvre admirable, en indiquant qu’il s’agit d’un ouvrage fort complexe, dont je laisserai de côté nombre de thèmes.

De la légende du Graal à Parsifal

Wagner s’est inspiré des légendes celtiques du cycle de la Table Ronde, mais il les a complètement remodelées, leur conférant un poids spirituel puissant. Le Saint Graal, dans la légende, était le vase sacré où Joseph d’Arimathée avait recueilli le sang du Christ. Wagner relate le parcours initiatique et spirituel d’un innocent, sans racine, ni filiation, Parsifal, qui découvre le mystère du Saint Graal, dont le sang qu’il contient constitue la nourriture spirituelle des chevaliers qui le gardent. Il découvre ce mystère et sa vocation le jour du Vendredi Saint, jour béni, admirablement évoqué.

Le sang du Graal, nourriture sacrée des chevaliers, est présenté, distribué aux chevaliers qu’il régénère, par leur chef, et cette cérémonie évoque beaucoup la Sainte Cène : « Prenez mon sang, prenez mon corps, en mémoire de moi. Prenez ce vin, transmutez le avec audace, en sang ardent de vie… Bienheureux dans la foi, bienheureux dans l’amour. » N’est-ce pas étonnant ? D’ailleurs Wagner ne considérait pas Parsifal, sa dernière oeuvre, comme un opéra, mais comme un « drame sacré », en allemand : ein Bühnenweihfestspiel, ce qui signifie, mot à mot : un festival scénique sacré. Et la tradition, voulue par le maître, prévoit encore aujourd’hui qu’on n’applaudisse pas à la fin de l’évocation de la célébration du Graal, à la fin de la cérémonie. Comme lors d’une célébration religieuse.

Tout homme peut devenir rédempteur

Le héros, Parsifal, parcourt le monde en décomposition et ses épreuves. Le sang du monde est corrompu et ne donne plus la vie. C’est, selon une expression qui pourrait être paulinienne, un monde de mort. Aussi le rôle du noble héros consiste à communier et à faire communier au sang du Christ, pour transmettre la vie. C’est dans cette optique que se situe cette parole étonnante que j’ai citée en tête de cet article : « Rédemption au Rédempteur » qui conclut l’ouvrage. Étonnante, confondante parole. Ces mots peuvent paraître énigmatiques. Parsifal montre ainsi que la régénération de l’homme est une lutte de tous les instants. Chaque homme peut devenir rédempteur, se sauvant ainsi lui-même, dès lors qu’il accomplit la loi d’amour. Le Christ est certes la figure la plus belle et la plus achevée du rédempteur, en quelque sorte l’image référentielle. Mais il n’est pas interdit de penser que d’autres doivent venir après lui. On ne peut identifier le Christ avec Parsifal. Parsifal lui-même est devenu rédempteur dans le sillage du Christ parce que toute rédemption se situe dans le temps et que la régénération du temps est continuelle.

Il me semble qu’on peut trouver dans cette conception de la rédemption continue une prémonition des « phénomènes christiques » de la Process Theology.

Une vision sereine du christianisme

Mais n’allons pas déformer la pensée de Wagner à ce sujet. Ce compositeur ne se rattachait pas à une Église spécifique. Ce n’était pas un théologien ni un philosophe, mais un artiste très sensitif, qui utilisait les matériaux du christianisme, mais pouvait les transformer profondément. Pour lui, art et religion étaient étroitement liés, comme expression de notre essence profonde.

Wagner nous dévoile la divinité sur le fond tragique du monde. Il dégage d’une conception tragique de l’être une vision sereine du christianisme. L’homme incomplet, dégénéré, garde cependant l’espoir du salut. La faute originelle elle-même est en quelque sorte un événement heureux dans la mesure où elle promet la rédemption, la venue, pour la laver, du fils de Dieu. On ne manquera pas de penser au felix culpa (« heureuse faute ») de Saint Augustin

Je voudrais terminer cette évocation de Parsifal par le passage qui est peut-être le plus émouvant : Parsifal reçoit la révélation de sa mission le jour du Vendredi Saint, à midi au milieu des fleurs qui éclosent. Et c’est « l’enchantement du Vendredi Saint » dont voici un passage :

« Du pécheur repentant ce sont les larmes qui, en ce jour, humectent prés et bois, et les font reverdir. Toute la création se réjouit et suit la trace aimée du Sauveur, lui vouant ses prières. Le Crucifié, elle ne peut le voir, elle regarde alors les hommes rachetés, libérés de l’effroi du fardeau des péchés. Purifiée, sauvée, par l’amour d’un Dieu qui s’immole… La nature, sauvée de tout péché, acquiert ainsi son jour d’innocence. »

C’est Pâques, c’est la joie de Pâques pour tout homme sauvé. feuille

Jean-Robert Charles

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Pâques, première fête chrétienne

 

Descente aux limbes

Descente aux limbes. Fresque de l’abside du paraecclesion de l’église du Christ-Sauveur-in-Chora à Constantinople (Istanbul)

Le calendrier des fêtes chrétiennes, appelé “ année liturgique ”, commence avec l’Avent. L’institution de ce temps (période de quatre dimanches précédant Noël) n’est bien établie qu’au VIe-VIIe siècles en Occident (Rome). Une question se pose alors : l’Avent est-il un bon choix pour illustrer le début de l’année liturgique et le dimanche de Pâques ne serait-il pas préférable ? Quatre arguments militent pour la fête de Pâques.

Argument historique

La première et seule fête chrétienne pendant deux siècles a été celle de Pâques. Contrairement à ce que laisse supposer l’Avent, c’est donc à partir de Pâques que l’on a développé, et, surtout, compris, un calendrier chrétien et non à partir de Noël, fête tardive, d’ailleurs définitivement fixée au 25 décembre au VIe siècle seulement. Pâques jouit ainsi d’une précédence et par là déjà d’une priorité.

Argument biblique

Les récits de la naissance et de l’enfance de Jésus, généralement reconnus comme fortement légendaires, ne se trouvent que chez Matthieu et Luc. En revanche, les quatre évangélistes et Paul accordent une place centrale à la Croix. L’Avent occupe donc une place seconde et même secondaire dans le Nouveau Testament. Sous prétexte que les récits de Noël ne figurent pas chez Marc ou Jean, pourrait-on prétendre qu’ils ont écrit un évangile incomplet ? D’ailleurs, même les pages relatives à l’enfance de Jésus sont déjà orientées vers la Passion ; la Crèche et la Croix étant ainsi finalement taillées dans le même bois. De toute façon, si on n’avait pas, d’abord, cru à la résurrection de Jésus (quelles qu’en soient les modalités), rien n’aurait été écrit sur lui et, dans un certain sens, spirituel (à bien des égards le plus important), Pâques précède ainsi la naissance, la vie et la mort de Jésus.

Argument de la foi

Pâques représente une vérité inaugurale et centrale pour la foi chrétienne, oriente les textes tels qu’ils ont été rédigés dans le Nouveau Testament. Ce caractère capital de la foi au Ressuscité, cette conviction que Jésus est vivant et n’est pas simplement, pour nous, un grand mort, nous oblige à ne pas confondre avec Pâques ce qui appartient à la vie de Jésus, qui commence avec l’Avent (le temps de sa conception) et se termine à sa mort. Pâques est d’un autre ordre ; c’est le sens de la Croix, c’est un appel à un “ je crois ” et non pas à un seul “ je sais ”.

Argument pédagogique

On reconnaît aujourd’hui que les évangiles sont des témoignages de foi et non des biographies, terriblement lacunaires et incomplètes, de Jésus. Commencer l’année liturgique avec l’Avent nous fait cheminer, dans une chronologie douteuse, de la naissance à la mort de Jésus et nous fait prendre l’Evangile pour ce qu’il n’est pas et ne veut pas être, à savoir une histoire et une vie de Jésus. L’année liturgique devrait commencer à Pâques. Tout se joue là. Tout s’arrête-t-il en effet à la mort de Jésus ? Non, l’histoire du christianisme et de la foi au Christ vivant commence bel et bien un matin de Pâques. Le temps de l’Avent, comme introduction à l’année liturgique, a pour lui l’appui d’une institution établie et d’une longue tradition, certes. Mais rien n’empêche, dans notre esprit et notre cœur, de considérer que toutes les fêtes chrétiennes gravitent autour de Pâques, comme la Terre tourne en un an autour du soleil. feuille

Laurent Gagnebin

Voir aussi : L. Gagnebin, Pour un christianisme en fêtes, Éd. Église réformée de la Bastille, 1996. 15,24 € (distr. Van Dieren).

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Le surgissement d’une vie autre

Après sa résurrection, Jésus ne revient pas à son existence passée. Il apparaît et disparaît, il se manifeste et s’éloigne de manière toujours mystérieuse. Certes, les évangiles insistent fortement sur la réalité de la résurrection. Le ressuscité n’est pas un fantôme inconsistant ; son apparition ne relève pas d’une illusion ou d’une hallucination qu’expliquerait quelque phénomène psychique. Il parle, il mange et boit. On peut le voir, s’approcher de lui ; on trouve son tombeau vide. Historiques ou non, ces indications entendent souligner qu’il ne s’agit pas d’un mirage. Toutefois, les évangiles mettent encore plus l’accent sur la transformation intervenue. Ses disciples ont de la peine à reconnaître Jésus. Marie-Madeleine dans le jardin le prend d’abord pour le jardinier. Les voyageurs d’Emmaüs qui cheminent et mangent avec lui ne découvrent qu’après-coup qui était leur compagnon. Les disciples qui pêchent dans la mer de Galilée ne voient pas tout de suite à qui ils ont affaire. Dans ces trois cas, c’est par la parole, quand il se met à parler, qu’on identifie le Christ : d’où l’idée que le ressuscité se manifeste par et dans la prédication. Le ressuscité échappe aux lois et aux limitations humaines : il entre dans une pièce dont les portes sont fermées. Il n’aura plus à mourir. Après sa résurrection, sa personne change de statut et sa présence a un caractère différent.

André Gounelle, Parler du Christ, Éd. van Dieren, p. 69-70

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Une humanité nouvelle

La résurrection du Christ ne constitue pas seulement une guérison qui permet le retour à la vie physique habituelle. […] Elle représente quelque chose de très différent : le surgissement dans notre monde d’une forme de vie nouvelle et originale qui vient de Dieu et qui dépasse nos possibilités naturelles. […] Cette vie ressuscitée est ouverte et offerte à ses disciples qui, dans la foi, commencent à y entrer ; elle fait d’eux des êtres nouveaux. […] Elle ne supprime ni ne supplante l’humanité telle qu’elle existait sous une forme déficiente ; elle la modifie, la métamorphose ou, plus exactement, met en route un processus de transformation créatrice. […] Pâques marque un commencement, inaugure une deuxième genèse, met en route une création neuve. Comme la première genèse a transformé un chaos en cosmos, la nouvelle création fait passer l’être humain du désordre et de la dislocation à l’harmonie ; elle le conduit de l’aliénation qui l’empêche d’être lui-même à l’authenticité où il émerge à sa vérité.

André Gounelle, ibid.

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Ressusciter, un événement permanent

On peut dire que Jésus ressuscite bien avant le matin de Pâques, non pas seulement à la fin de sa vie terrestre, mais au commencement de son ministère. Il ressuscite quand il se met à prêcher, à guérir et à proclamer l’Évangile. Il s’est éveillé à la vérité, nous ne savons ni quand ni comment et peu nous importe. Il se lève pour la répandre et permettre à d’autres d’y accéder. La résurrection ne se borne pas à un moment particulier de son parcours. Elle ne se réduit pas à un fait ponctuel. […] Pâques manifeste ou exprime dans un moment unique ce qui caractérise l’ensemble de son activité. De même pour le croyant, la résurrection ne se produit pas après son décès, mais commence dès maintenant. Nous ressuscitons, au sens littéral, chaque matin quand nous sortons de notre lit. Nous ressuscitons, au sens fort, chaque fois que nous nous éveillons à la vérité et que nous nous dressons pour mener une vie authentiquement humaine. La résurrection s’expérimente ou plutôt elle opère ici-bas et dans le présent. Ce qui n’exclut évidemment pas qu’elle concerne également l’au-delà et notre sort final. On retrouve la dualité du quotidien (la résurrection se vit tous les jours) et du spécifique (elle est un événement hors du commun).

André Gounelle, ibid.

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L’effectivité de la résurrection

Pour éviter un spiritualisme déviant vers l’évanescence, point n’est besoin d’affirmer la réalité physique de la résurrection du Christ. Cette question ne me paraît pas aussi décisive que certains le pensent. Elle ne le devient que si on est imprégné, en général à son insu, de ce positivisme plat et pauvre pour qui seul ce qu’on touche est vrai et digne de foi. L’Évangile de Jean suggère, au contraire, de dissocier le vrai du palpable. « Ne me touche pas », dit le Christ ressuscité à Marie Madeleine (20,17) et […] sans condamner le désir, bien normal et naturel, de Thomas, l’Évangile de Jean entend indiquer que la foi ne dépend pas de ce que les sens constatent (20,24-29). […] L’effectivité de la résurrection n’équivaut pas à sa matérialité. Elle se situe à un autre niveau. La résurrection de Jésus est historique en ce qu’elle change et continue à changer l’histoire. Elle est réelle non pas parce qu’elle est tangible, mais dans la mesure où elle agit sur la réalité et la modifie en faisant naître en nous une nouvelle créature et en implantant dans notre monde une nouvelle création. […] Les récits bibliques, s’ils insistent sur la signification et les conséquences de Pâques, ne permettent pas, en revanche, de se faire une idée de ce qui s’est passé. Cela vaut sans doute mieux. Comme l’écrit M. Bouttier, il ne s’agit pas de « croire en arrière » en scrutant les origines et en essayant de déterrer les racines, mais de « croire en avant » en s’attachant aux fruits, et en se laissant emporter par le dynamisme créateur de la vie nouvelle.

André Gounelle, ibid.

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