La spéculation
sur la fin du monde est de retour. Elle va de pair avec la montée
des courants fondamentalistes qui demandent aux fidèles une soumission
absolue aux « vérités révélées
». La parole de Jésus en Mc 10,45 sinscrit en faux
contre cette vision de la religion.
Cette parole de Jésus conclut la scène
concernant une demande eschatologique. Les disciples Jacques et Jean
(leur mère chez Mt), demandent, dans lattente de la fin
prochaine du monde, une place dhonneur à la table du festin
eschatologique. Jadis, comme aujourdhui, on aimait spéculer
sur la fin du monde. À lépoque de Jésus,
on imaginait cette fin à la manière dun grand tribunal
au sein duquel le Messie devait apparaître comme roi et juge.
Il aurait condamné les méchants et permis aux élus
de siéger à sa table. Cette idée fait encore recette
aujourdhui. Aux États-Unis, il existe depuis quatre ans
maintenant une série de livres qui sintitule « Left
Behind ». Il sagit de romans écrits par deux auteurs
fondamentalistes qui imaginent la fin du monde après lenlèvement
des vrais chrétiens par Dieu. Une dizaine de livres sont déjà
parus et ont battu tous les records de vente. On y apprend (la lecture
dun seul ouvrage suffit largement) que finalement le Christ vaincra
le Malin, ce dernier provenant dun pays de lEst de lEurope,
et que tous les peuples, y compris les Juifs, le serviront.
Lidée que les hommes sont nés pour
servir les dieux ou les messies de toutes sortes est aussi ancienne
que la religion elle-même. Prenons un exemple au Proche-Orient
ancien. Selon lépopée dAtra-Hasis qui était
largement répandue, les dieux, avant lapparition des humains,
devaient subvenir eux-mêmes à leurs besoins en travaillant
de leurs mains. Les dieux inférieurs, chargés de cette
corvée, firent alors la grève. Cest ainsi que le
conseil des dieux décida de créer lhumanité
pour quelle les serve par le culte et les offrandes dans le temple.
Lhomme est ainsi considéré comme esclave et serviteur
du divin. En analysant de tels textes, on ne peut que donner raison
aux critiques de la religion, comme celles de Feuerbach, Engels et autres,
qui ont montré comment les systèmes religieux reflétaient
la distribution du pouvoir dans les systèmes politiques concrets.
Si lhomme est appelé à servir les dieux, il doit
aussi servir ceux que lon considère comme leurs représentants
sur terre. On trouve cette même conception dans certaines franges
du christianisme. Le lecteur de la série des « Left Behind
» apprend quil faut se soumettre à lidéologie
de droite du christianisme fondamentaliste américain, puisque
celle-ci est le porte-parole autorisé de la volonté divine.
Comme au deuxième millénaire avant J.-C., lhomme
semble toujours, à laube du troisième millénaire
après J.-C., être appelé à servir et à
se soumettre.
Pourtant, la réponse de Jésus aux attentes
eschatologiques prend exactement le contre-pied de ces idées.
Jésus, reconnu par les siens comme étant le Messie, et
devant par conséquent régner dans une gloire absolue et
triomphante, dit être venu pour servir. Cest le retournement
complet de lidée que lon se faisait, et que lon
se fait encore, dune religion. Le règne de Dieu qui est
annoncé par cette parole nest pas la transposition des
hiérarchies et des systèmes de pouvoir existants. Le Dieu
de ce règne nest ni un Dieu sectaire ni un Dieu dont la
raison dêtre serait lhumiliation et lexploitation
de lhomme.
La parole de Jésus, transmise par Marc et Matthieu,
met en garde contre lautoritarisme religieux qui sincarne
aujourdhui, entre autres, par la montée des intégrismes
de toutes sortes. Ceux-ci se caractérisent justement par la tentative
de vouloir soumettre les croyants à tout un catalogue dexigences
divines et dexclure les autres de la grâce de Dieu. Linterprétation
de la fonction messianique que Jésus donne selon Mc 10,45 soppose
à toute dérive totalitaire. Ce nest pas ladoration
et la soumission que veut ce Messie, mais le bonheur, la liberté
et lépanouissement de tous les hommes.
Thomas
Römer