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Numéro 175 - mars 2004
( sommaire )

Débattre

L’institution est-elle utile ?

Entre la face pragmatique et la face théorique de la question se glisse la fissure du rêve. Un rêve où l’utilité devient l’idéal de l’institution, forcément : que devient une institution inutile, sinon au pire un cauchemar, au mieux un poids mort ? Car, avant tout, un « oui » est dit à l’institution comme structure d’un rassemblement, organisation d’un peuple déjà là ; l’institution dont il est question ici est une Église.

Mais...

Il faut bien un « mais », sans quoi la question ne serait jamais reposée, sans quoi elle serait oubliée et le rêve aussi, et l’institution utile se métamorphoserait lentement en masse nuisible. La question de l’utilité est elle-même utile.

Mais, donc, ce « oui » est conditionné. On ne lui en voudra pas, puisqu’il n’est pas le « oui » de la grâce, seulement celui d’un parti pris délibéré de non-quiétude, d’inquiétude. Quand une institution est une Église, la satisfaction ne saurait être de mise sans inconscience, ou reniement, ou amnésie : cette institution-là est bien trop souvent en retard ou décalée par rapport à l’événement dont elle porte le nom.

Institution, elle n’est certes qu’œuvre humaine, mais aussi réponse humaine. Ce caractère second et secondaire porte en lui une double exigence d’humilité et de confiance ; l’absence de l’une comme de l’autre transforme l’institution en forteresse. Mais ni l’humilité ni la confiance ne s’inscrivent dans les caractères d’une institution ; elles sont mouvements, sans cesse repris, éprouvés : renoncement, remise, retour, abandon. C’est une quête humaine, non de principes mais d’être, quête des personnes prenant place dans l’institution, afin que celle-ci n‘évolue pas en chape compacte et suffocante.

Institution utile, habitée par des hommes et des femmes qui y maintiennent humilité et confiance.

Parce qu’elle s’est coulée dans un rêve, cette institution est légère, légèreté d’autant plus facile à mettre en oeuvre que la conviction soutenant l’institution est profonde, vivifiante et paisible. Appuyée sur cette conviction, se profile une structure dépouillée d’ornement, épurée jusqu’à l’essentiel.

Rien d’autre que l’essentiel qui suffit à découvrir une aire de dialogues, de conflits, de compréhensions et de reconnaissances.

Rien d’autre que l’essentiel afin que circulent librement les courants qu’il aura lui-même engendrés, et dans ces courants, les particules individuelles, en suspension, animées, agitées, vivantes, sans crainte d’excessive singularisation dans l’exception ou l’exclusion, mais pouvant répondre de leur rapport à l’essentiel, à l’institution.

Rien d’autre que l’essentiel qui met en quête de cohérence plutôt que de justifications, de protestations plutôt que de protections, d’imaginations plutôt que de pérennité.

Rien d’autre que l’essentiel qui suffit, et qu’il suffit à l’institution de rappeler à nouveau, expliquer encore, raconter toujours afin qu’il ne soit pas oublié.

Institution utile, avec une légèreté conjuguée d’exigence et de fidélité.

Dans le rêve, la légèreté n’est ni inconsistance ni défaillance. Au contraire, l’institution ainsi réduite à l’essentiel s’inscrit et s’observe d’autant mieux dans l’espace où elle est insérée, aisément, tranquillement, impertinemment. Elle veille d’autant mieux sur son propre espace qu’elle s’intéresse principalement aux manifestations de l’essentiel qu’elle maintient, ou à leur absence. Elle se montre d’autant plus vigilante aux espaces des marges qu’elle y reconnaît un terrain d’épreuves, et de moissons.

Marges qui bordent l’espace, marges qui apparaissent parfois à l’intérieur creusant d’autres espaces obscurs, l’expérience de ces lieux un peu étranges, à défricher, à déchiffrer. L’attention portée à ce qui y surgit ou s’y inscrit indique l’absence de crainte, la confiance et le goût du vivant.

Marges sur lesquelles foisonnent les rencontres où s’éprouvent convictions, invitations et provocations à l’innovation, questionnements étrangers et expériences fugitives.

Marges dans lesquelles chacun trouve la place d’écrire ses observations, critiques, commentaires et approbations et finalement une histoire personnelle, en lien avec d’autres histoires.

Marges où balbutient les fatigues, les plaintes, les enfances, où reposent les échecs, les déceptions et les désirs, où se déposent les soupirs de l’inexprimable.

Institution utile, par la bienveillance entretenue par les uns et les autres.

Mais l’utilité n’est pas un rêve. Mais le rêve n’est peut-être pas éloigné de la réalité. Et faire lever des rêves qui relèvent le goût pour le réel n’est pas la moindre des utilités de la question. feuille

Dominique Hernandez

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