Entre la face pragmatique
et la face théorique de la question se glisse la fissure du rêve.
Un rêve où lutilité devient lidéal
de linstitution, forcément : que devient une institution
inutile, sinon au pire un cauchemar, au mieux un poids mort ? Car, avant
tout, un « oui » est dit à linstitution comme
structure dun rassemblement, organisation dun peuple déjà
là ; linstitution dont il est question ici est une Église.
Mais...
Il faut bien un « mais », sans quoi la question
ne serait jamais reposée, sans quoi elle serait oubliée
et le rêve aussi, et linstitution utile se métamorphoserait
lentement en masse nuisible. La question de lutilité est
elle-même utile.
Mais, donc, ce « oui » est conditionné.
On ne lui en voudra pas, puisquil nest pas le « oui
» de la grâce, seulement celui dun parti pris délibéré
de non-quiétude, dinquiétude. Quand une institution
est une Église, la satisfaction ne saurait être de mise
sans inconscience, ou reniement, ou amnésie : cette institution-là
est bien trop souvent en retard ou décalée par rapport
à lévénement dont elle porte le nom.
Institution, elle nest certes quuvre
humaine, mais aussi réponse humaine. Ce caractère second
et secondaire porte en lui une double exigence dhumilité
et de confiance ; labsence de lune comme de lautre
transforme linstitution en forteresse. Mais ni lhumilité
ni la confiance ne sinscrivent dans les caractères dune
institution ; elles sont mouvements, sans cesse repris, éprouvés
: renoncement, remise, retour, abandon. Cest une quête humaine,
non de principes mais dêtre, quête des personnes prenant
place dans linstitution, afin que celle-ci névolue
pas en chape compacte et suffocante.
Institution utile, habitée par des hommes et des
femmes qui y maintiennent humilité et confiance.
Parce quelle sest coulée dans un rêve,
cette institution est légère, légèreté
dautant plus facile à mettre en oeuvre que la conviction
soutenant linstitution est profonde, vivifiante et paisible. Appuyée
sur cette conviction, se profile une structure dépouillée
dornement, épurée jusquà lessentiel.
Rien dautre que lessentiel qui suffit à
découvrir une aire de dialogues, de conflits, de compréhensions
et de reconnaissances.
Rien dautre que lessentiel afin que circulent
librement les courants quil aura lui-même engendrés,
et dans ces courants, les particules individuelles, en suspension, animées,
agitées, vivantes, sans crainte dexcessive singularisation
dans lexception ou lexclusion, mais pouvant répondre
de leur rapport à lessentiel, à linstitution.
Rien dautre que lessentiel qui met en quête
de cohérence plutôt que de justifications, de protestations
plutôt que de protections, dimaginations plutôt que
de pérennité.
Rien dautre que lessentiel qui suffit, et
quil suffit à linstitution de rappeler à nouveau,
expliquer encore, raconter toujours afin quil ne soit pas oublié.
Institution utile, avec une légèreté
conjuguée dexigence et de fidélité.
Dans le rêve, la légèreté
nest ni inconsistance ni défaillance. Au contraire, linstitution
ainsi réduite à lessentiel sinscrit et sobserve
dautant mieux dans lespace où elle est insérée,
aisément, tranquillement, impertinemment. Elle veille dautant
mieux sur son propre espace quelle sintéresse principalement
aux manifestations de lessentiel quelle maintient, ou à
leur absence. Elle se montre dautant plus vigilante aux espaces
des marges quelle y reconnaît un terrain dépreuves,
et de moissons.
Marges qui bordent lespace, marges qui apparaissent
parfois à lintérieur creusant dautres espaces
obscurs, lexpérience de ces lieux un peu étranges,
à défricher, à déchiffrer. Lattention
portée à ce qui y surgit ou sy inscrit indique labsence
de crainte, la confiance et le goût du vivant.
Marges sur lesquelles foisonnent les rencontres où
séprouvent convictions, invitations et provocations à
linnovation, questionnements étrangers et expériences
fugitives.
Marges dans lesquelles chacun trouve la place décrire
ses observations, critiques, commentaires et approbations et finalement
une histoire personnelle, en lien avec dautres histoires.
Marges où balbutient les fatigues, les plaintes,
les enfances, où reposent les échecs, les déceptions
et les désirs, où se déposent les soupirs de linexprimable.
Institution utile, par la bienveillance entretenue par
les uns et les autres.
Mais lutilité nest pas un rêve.
Mais le rêve nest peut-être pas éloigné
de la réalité. Et faire lever des rêves qui relèvent
le goût pour le réel nest pas la moindre des utilités
de la question.
Dominique
Hernandez