Tentation de Jésus ou tentation de l'homme?
Autour de Matthieu 4,1-11
Pourquoi nous raconter
un tel épisode ? Matthieu, pas plus que Luc, nétaient
présents ce jour là, puisque Jésus était
seul. Marc mentionne lépisode, mais sans le relater: comment,
en effet laurait-il pu ? Et pourtant ce texte est là. F.
Bovon relève même que cest la première fois
que Jésus prend une initiative dans lÉvangile de
Matthieu. Jusqualors, on a parlé de et sur Jésus.
Mais au désert, dans le secret de sa solitude, Jésus devient
sujet, grammaticalement sujet des verbes, mais surtout acteur de lÉvangile.
Ce jour là, Jésus « prend la main ». Pour
nous dire quoi ?
Une remarque préalable de vocabulaire : Tenter.
En grec, le mot na pas quune connotation religieuse ou morale.
Il signifie « essayer, tester, éprouver ». Il nest
pas seulement péjoratif, puisque cest, par exemple, ce
même verbe qui est utilisé en Actes 9,26 lorsque Paul essaye
de se joindre aux disciples. Notons par ailleurs lemploi de trois
noms distincts pour désigner cette réalité hostile
à la prédication du Maître : diabolos (celui qui
divise), Satan (celui qui accuse), et tentateur, trois expressions qui
caractérisent non pas tant ce qui soppose à Dieu,
mais plutôt au Christ. Tous ces mots disent, expriment, représentent
ces réalités qui, en nous, sopposent à la
parole du Maître.
Revenons à notre récit : « Alors,
tu es fils de Dieu ? Alors tu es puissant, tu es tout-puissant ? Alors
vas-y, montre. » Une seule et même tentation, celle de la
toute-puissance, déclinée selon trois dimensions de notre
vie : matérielle ( les pierres et les pains), spirituelle ( être
porté par les anges), politique ( la souveraineté sur
les royaumes de la terre). Et si ce texte est placé en introduction
de lÉvangile, cest quil se présente
comme le mode demploi de lenseignement du Maître,
pour nous dire : Attention !
LÉvangile nest pas à entendre
comme un message magique, qui viendrait changer notre réalité
matérielle : le piège de la lecture magique. Il nest
pas non plus à entendre comme un message politique, qui viendrait
donner les clefs des pouvoirs terrestres : le piège de la lecture
théocratique. Et il nest pas non plus à entendre
comme faisant de nous des super-croyants, des anges : le piège
de la lecture angélique.
Rudolf Bultmann tient ce texte comme le mode demploi,
la clef de lecture des miracles à venir : attention de ne pas
entendre ces épisodes miraculeux, comme autant de preuves magiques,
comme lexpression dun messianisme politique, comme une fuite
de notre humanité dans une pseudo-réalité angélique.
Si je fais mienne cette opinion, jajouterai que
ce récit nous livre aussi une clef de lecture de notre humanité.
Car quest-ce quêtre fils dAdam, sinon renoncer
à nos fantasmes de toute puissance ? Pourtant, qui dentre
nous na jamais rêvé dun tel pouvoir ? Pour
changer la réalité de la maladie, pour lutter contre les
fléaux sociaux, pour vaincre le doute ? Mais Jésus se
révèle fils de Dieu en étant fils dAdam.
Il nous montre le chemin de notre hominisation, en refusant la toute-puissance
; « Jésus, fils dAdam, est conduit là. Affronté
à sa condition, limitée par la faim, le temps, la mort
: homme, seulement, qui, pour espérer vivre, aimer, découvrir
doit consentir aux interdépendances. Cest lhomme
mortel qui est vivant, non le surhomme. » (Véronique Margron,
La Vie, 14/2/2002).
Voilà le mode demploi : lÉvangile
nest pas à entendre comme un moyen de devenir un surhomme,
ni même un super-croyant, mais un homme, une femme, tout simplement.
Et ce faisant, il nous livre une ultime clef : comment
résister ? Par la parole. Une parole qui se fonde sur lÉcriture.
Par trois fois Jésus va répondre : « il est écrit
». Cest là que nous fondons notre foi, notre capacité
à résister au malheur, à la souffrance, à
la mort, à tous nos fantasmes de puissance.
Mais attention ! Ultime piège ! Le diable aussi
dit « il est écrit » ! Et là réside
lultime mise en garde. Car il ne suffit pas de lire les Écritures.
Le diable le fait aussi. La remarque est dimportance. Elle est
même déterminante. Elle représente lultime
piège. Car lécriture doit être interprétée,
à laune même de ce récit. Pour devenir véritablement
Parole vivante.
par Jean-François
Breyne