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Numéro 173 - janvier 2004
( sommaire )

Débattre

Le « point aveugle » de la laïcité

Dans la langue classique, « libéral » signifie d’abord « généreux ». Ce mot ne qualifie pas des idées ou des opinions, mais des attitudes et des comportements. Le libéral, selon La Mothe Le Vayer (au dix-septième siècle), n’est ni avare ni prodigue. Il ne dilapide pas son argent, ses efforts et son temps, il ne les rationne pas non plus. Il ne s’en sert pas à son seul profit, il les dépense à bon escient pour aider efficacement les autres.

L’histoire humaine s’est trouvée sans cesse mêlée à la question religieuse. Personne n’a pu se « passer d’un poème, d’un grand récit, d’un songe collectif, d’une étincelle d’ailleurs » (R. DEBRAY, Dieu, un itinéraire, Paris, Odile Jacob, 2003, p. 296), pour véritablement vivre et pas seulement subsister. Les récits religieux touchent donc toujours les hommes profondément car ils expriment des questions vitales et indiquent les voies de leur résolution. Et nul ne saurait ignorer ou pire, éradiquer le culte d’un lieu ou d’un peuple, sans risquer de blesser la culture où il s’enracine.

Naissance de la laïcité

L’histoire de notre pays a dû assumer cette réalité. Parmi les étapes récentes qui ont conduit à la situation actuelle, il en est deux décisives : la première est ce grand mouvement d’idées issu des Lumières, dont les marqueurs historiques sont la Révolution de 1789, et le Concordat de 1801. L’autre est un débat national qui commence dans les années 1880 et aboutira à la promulgation de la loi de 1905. Ainsi, de l’instauration de la République laïque à la séparation des Églises et de l’État, la société française a su franchir deux « seuils » de laïcité sans mettre en péril ni son unité ni ses principes.

Rappeler ici l’attachement du protestantisme à la laïcité, que nul ne peut mettre sérieusement en doute, permet de redire d’autant plus librement combien la conception française des rapports Églises-État exprimée dans la loi de 1905 comporte une idée restrictive de l’exercice de la religion, et combien elle mérite quelques adaptations.

Le « point aveugle »

Il s’agit alors, dans la réflexion, de ne pas être dogmatique, ni d’un côté ni de l’autre, que l’on se réclame d’une religion ou que l’on se dise athée ou agnostique. J’aimerais évoquer, comme dans un dialogue respectueux, ce que je crois être le point aveugle dans le regard du défenseur d’une laïcité idéale. D’une part, celui qui pense que les deux étapes évoquées ici – 1789/1801-1905 – sont les seules importantes car elles auront permis d’écrire les principes universels de la République… comme s’il n’y avait rien à « voir » en arrière d’elles… ou en avant ! D’autre part, celui qui pense aussi que la meilleure façon de défendre les valeurs auxquelles il est attaché – liberté, égalité, fraternité, liberté de conscience… – consiste à s’abstraire de toute culture, à dénier l’histoire, et à en rester à un universalisme théorique. Comme si, pour accéder à cet universel dont l’origine serait une sorte d’immaculée conception sans aucun lien avec un « avant » (la torah, les évangiles, ou l’histoire complexe de tous ceux qui ont fait l’Europe, juifs, chrétiens, musulmans, hétérodoxes, athées et agnostiques) il fallait croire que c’est uniquement « à l’idéal des Lumières, précédé et préparé par l’humanisme rationaliste de toute la tradition philosophique, que revient d’avoir construit le modèle politique et juridique de l’égalité et des droits de l’homme » (H. PENA-RUIZ, Qu’est-ce que la laï-cité ?, Paris, Gallimard, 2003, p. 123, et aussi p. 251-252). Comme si, pour comprendre et vivre cela, le musulman devait se dépouiller de l’islam, le juif du judaïsme, le chrétien du christianisme… Or n’est-ce pas précisément de l’intérieur même de sa tradition que, depuis longtemps et de mille manières, chacun a pu inventer, recomposer, construire patiemment, promouvoir et s’approprier ces valeurs universelles de liberté, d’égalité, de fraternité, de liberté de conscience, de laïcité ? N’est-ce pas plutôt de l’intérieur de sa tradition mais aussi dans l’espace d’une société, c’est-à-dire en respectant les options de ses membres que chacun se trouve appelé à prendre sa part dans le débat concernant les valeurs de la vie, les choix à effectuer demain devant les défis de ce monde – pauvreté, exclusion, questions éthiques, choix économiques… – valeurs qu’il faut sans cesse reformuler pour en vérifier ensemble la pertinence ?

Générer du lien social avec confiance

Ne revient-il donc pas désormais à ce défenseur de la laïcité de porter un regard critique sur sa propre quête, de reconnaître la possibilité de prononcer une parole sur la religion autrement qu’en terme menaçant, la soupçonnant « d’emprise sur la sphère publique », au moment où les sociologues évoquent, en parlant du christianisme, la religion de la « sortie de la religion » ? N’est-ce pas à lui et à chaque citoyen, de faire cohabiter par le débat les rêves de chacun, pour le service de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, et par conséquent de générer avec confiance du lien social, par l’écoute, la rencontre et l’entraide, plutôt que de distiller la méfiance, de durcir le ton par la loi, et de ne pas tout faire contre l’exclusion sociale et culturelle ? L’intégration possible d’un islam français sera à ce prix là, ainsi que la pérennité de la laïcité qui saura assumer tranquillement son point aveugle, mais qui osera aussi porter ses regards sur les évolutions nécessaires. feuille

François Clavairoly

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