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N° 170 - Octobre 2003

( sommaire )

Cahier :

Dans ce cahier :

  • La Bible, parole de Dieu ?, par André Gounelle
  • Pas d'Esséniens, pas de Cathares : même combat ?, par Michel Jas

Introduction

En France, un certain nombres d'Eglises et d'associations ont lancé un mouvement de proclamation « l'année de la Bible ». Des manifestations diverses (expositions, séries de réunions, stands, etc.) ont été organisées ces temps derniers. Très souvent dans des publications, des liturgies, des conférences, des prédications, on confond « Bible » et « Parole de Dieu », termes que l'on considère comme interchangeables. S'agit-il d'un abus de langage, d'une confusion ou d'une prise de position théologique ? Il y a quelques années, nous avons mené une enquête sur cette question : « La Bible est-elle la Parole de Dieu ? ». Une dizaine de personnalités ont répondu à cette question. A la demande de lecteurs intéressés, nous reprenons cette question avec une étude du professeur André Gounelle, bien connu de nos lecteurs habituels. L'émerveillement d'une inspiration reconnue dans les textes « sacrés » ne doit pas conduire à une idolâtrie. La tentation est toujours forte de « matérialiser » la présence, la grâce et la révélation de Dieu.
Christian Mazel

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La Bible est-elle Parole de Dieu ?

Venant d'un protestant, et d'un réformé, cette question peut à première vue surprendre, voire choquer. En effet, les Confessions qui expriment la foi réformée sont très nettes sur ce point. Ainsi celle de la Rochelle (1571) déclare dans ses deuxième et cinquième articles que la Parole de Dieu se trouve dans les Écritures qui la contiennent. La Confession helvétique postérieure (1566) commence par un chapitre qui a pour titre : « De l'Ecriture sainte, vraie parole de Dieu ».

On a souvent interprété ces affirmations en leur sens le plus fort. Au cours de l'histoire, quantité de gens ont estimé que la Bible est une parole de Dieu parmi d'autres, à côté d'autres. Ils pensent que Dieu s'exprime certes dans la Bible, mais qu'il parle aussi par les traditions et les autorités de l'Église, ou bien par la nature et les spectacles qu'elle nous offre, ou bien, encore, dans la pensée et la conscience des êtres humains. D'autres ont voulu discerner également une parole de Dieu dans l'histoire, parfois dans les diverses religions du monde.

A des opinions de ce genre. on a opposé le sola scriptura (par l'Ecriture seule) de la Réforme qui affirmerait, dit-on, un exclusivisme. Il signifierait que la Bible n'est pas une mais la parole de Dieu, la seule, l'unique. Il impliquerait que Dieu ne parle, ou plus exactement que nous ne l'entendons nulle part ailleurs. En fait. Lorsqu'on étudie les textes de la Réforme, et aussi ceux de la réflexion théologique postérieure, on s'aperçoit qu'ils ne vont pas aussi loin, et que cette interprétation radicale ou extrême force et fausse la position du protestantisme.

Cette série d'articles me donne l'occasion de préciser, à propos de quatre points, ce qui empêche de dire aussi massivement et radicalement que la Bible est parole de Dieu.

Parole et écriture

Le premier point part d'une constatation toute simple et un peu bête. La Bible ne se présente pas à nous sous la forme d'une parole mais d'un écrit (ou plus exactement d'un recueil d'écrits divers).

J`éprouve toujours une certaine perplexité lorsque j'entends dire au cours d'un culte : « Maintenant, nous allons lire la Parole de Dieu ». Normalement, une parole ne se lit pas ; elle s'écoute. Bien sûr, il ne faut pas établir des oppositions trop tranchées, ni se complaire dans les antinomies ou des incompatibilités insurmontables. Il arrive que l'on dise et que l'on écrive exactement les mêmes mots, les mêmes phrases, les mêmes idées. On peut lire un discours imprimé, ou écouter la lecture d'un texte sans que le contenu en soit modifié ni que le sens en soit changé. Pourtant, nous le sentons et l'expérimentons constamment, en général, la parole et l'écrit nous touchent de manière différente et n'établissent pas la même relation entre deux êtres. Lire le texte de quelqu'un ne revient pas au même que l'écouter parler. L'écrit suppose une distance, un écart et éloignement. Chacun reste de son côté. On n'a pas directement affaire à une personne, mais à quelque chose qui provient d'elle. Au contraire, la parole implique une présence vivante, une rencontre personnelle, une proximité et un contact.

Dans son article 2, la Confession de La Rochelle indique que la parole de Dieu a été « au commencement révélée par oracles » (c'est à dire, au sens étymologique, par « ce qui sort de la bouche », nous dirions aujourd'hui « de manière orale »), et qu'elle « a été puis après rédigée par écrit es livres que nous appelons Ecriture Sainte ». Nous savons bien que la plupart des livres de la Bible sont nés de prédications ou de harangues (celles des prophètes, des évangélistes, des apôtres, et surtout, évidemment, celles de Jésus). On y trouve des discours qui ont d'abord été parlés, et ensuite couchés sur le papier. Dans les Écritures, nous avons de la parole mise en conserve, ou congelée. Quand on veut manger des conserves, ou consommer des aliments surgelés, il faut les réchauffer pour qu'ils deviennent mangeables, assimilables, pour qu'ils nourrissent.. De même, il faut que le texte retrouve vigueur et chaleur pour qu'il nous atteigne comme une parole. Ricoeur écrit que la tâche du prédicateur consiste « à restituer en parole ce qui est donné en texte ».

Dans cette optique, le protestantisme a souligné l'importance de la prédication. La Parole de Dieu nous parvient et nous interpelle à travers elle. « Toute la vie et la substance de l'Église, affirme Luther, sont dans la parole de Dieu... je ne parle pas de la parole écrite, mais de la parole vocale » (c'est-à-dire prêchée). A l'époque du Désert, donc d'une vie d'Eglise clandestine, les protestants français ont tenu à avoir des assemblées, des prédications, malgré les avis des sages, des prudents, qui depuis la Suisse ou la Hollande conseillaient de renoncer à ces assemblées tellement dangereuses. La foi vient de ce que l'on entend (Rom.10/17), pas de ce qu'on lit; elle se nourrit de la prédication de l'évangile, non de la seule lecture personnelle et individuelle de la Bible. Toutefois, une prédication n'est vraiment évangélique que si elle se fonde sur le texte, lui reste fidèle, et se donne pour mission de le rendre vivant et actuel. Les Ecritures fournissent le fondement, la substance et la norme qui lui sont nécessaires. On ne peut annoncer l'évangile que parce qu'on se réfère aux écrits qui le transmettent.

La Bible n'est pas parole de Dieu comme texte. Elle ne l'est pas quand on l'enferme dans un placard, ou qu'on en fait un usage strictement littéraire. Mais lorsqu'elle suscite une prédication authentique, lorsque cette prédication transforme le texte en message vivant et actuel. alors surgit et retentit la Parole de Dieu.

La Bible et l'Esprit

Partons d'une phrase notée au cours d'une de mes lectures: La Bible est « une chose morte, sans aucune vigueur ». Cette phrase n'a pas été écrite par un incroyant ou par un adversaire du christianisme, mais. aussi étonnant que cela puisse paraître. par Calvin. Il l'a même dite en chaire : elle se trouve dans un sermon sur 2 Timothée 3/16. Il ne s'agit nullement d'un lapsus, ou d'un moment d'égarement, mais bel et bien d'un thème qui revient à plusieurs reprises sous la plume du Réformateur. Il considère qu'en elle-même la Bible est inerte et sans force. Il y voit une lettre morte, un texte qui tue, et non la parole vivante et vivifiante de Dieu.

Elle ne devient Parole divine que par l'action du saint Esprit dans le coeur et l'esprit de ceux qui la lisent ou qui écoutent la prédication qu'elle suscite. La Parole de Dieu ne se fait entendre que lorsque s'opère la rencontre entre deux discours: celui qui nous vient du dehors, celle que formule l'Ecriture, qu'annonce la prédication, et celui qui nous vient par le dedans, que nous souffle intérieurement l'esprit. Comme l'écrit Zwingli « l'Esprit qui parle dans la Bible, et l'Esprit qui parle à notre âme se confirment mutuellement ».

Au dix-neuvième siècle, on s'est beaucoup préoccupé de l'inspiration des auteurs bibliques. Ont-ils été seulement les porte-plumes de Dieu, écrivant pratiquement sous sa dictée, ou ont-ils été des interprètes qui apportaient du leur dans leur rédaction ? On a proposé diverses théories et l'on en a beaucoup discuté. Il me semble que l'inspiration des lecteurs de la Bible a autant d'importance et joue un rôle aussi décisif que celle de ses auteurs. « Il est nécessaire, écrit Calvin, que le même Esprit qui a parlé par la bouche des prophètes entre dans nos coeurs » Pour cette raison, dans les cultes réformés, la lecture de la Bible s'accompagne d'une prière qui demande à l'Esprit d'agir pour que le texte lu devienne parole vivante. Sans l'Esprit, les passages les plus beaux des Ecritures et les prédications les plus émouvantes relèvent de la littérature ou de l'art, et ne portent pas une révélation ou une parole divine.

Si le texte a besoin de l'inspiration, réciproquement, l'inspiration a besoin du texte qui la contrôle, la vérifie et l'authentifie. Les réformés le soulignent contre les « enthousiastes » ou les « illuministes » de la Réforme radicale pour qui l'effusion de l'Esprit rend superflu le Livre. Nous avons toujours tendance à confondre nos désirs, et nos passions avec la volonté de Dieu, et nous prenons facilement ce qui nous plaît pour une vérité venue d'en haut. Nous confronter avec le texte nous permet de faire le tri, toujours risqué et hasardeux, entre ce qui vient de nous et ce que Dieu nous dit : si l'Ecriture sans l'Esprit est une lettre morte, l'Esprit sans l'Ecriture n'est qu'une illusion et un tromperie.

La Parole de Dieu ne réside pas seulement dans l'Ecriture ou uniquement dans l'Esprit, mais elle jaillit de la conjonction de l'Esprit avec l'Ecriture.

La Parole faite chair

Au début de l'Évangile de Jean, nous lisons : « Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu... Tout a été fait par elle et rien n'a été fait sans elle... La Parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous pleine de grâce et de vérité ».

Ce passage très connu appelle trois observations :

Premièrement, il n'y est pas question de la Bible. Quand il parle de la Parole divine, Jean ne mentionne ni l'Ancien ni le Nouveau Testament.

Deuxièmement, il implique que la parole divine précède l'écriture ; elle existe avant tout livre, puisqu'elle se trouve là au commencement, au moment même de la création.

Troisièmement, comme l'a justement noté le théologien parisien Wilfred Monod au début du siècle passé, quand la Parole de Dieu cherche à se faire entendre des humains, lorsqu'elle veut les atteindre et habiter parmi eux, elle ne se fait pas livre, mais « chair », c'est-à-dire personne. C'est Jésus que le Nouveau Testament appelle Christ. et non un écrit, Parole de Dieu.

On a souvent prétendu que l'Islam et le christianisme avaient en commun d'être des religions du livre (même s'il ne s'agit pas du même livre). Les deux religions se ressembleraient parce que fondées, l'une et l'autre, sur une Écriture sainte, et parce que soucieuses, l'une et l'autre, de fidélité au texte inspiré. Sans nier une certaine parenté, on ne doit pas oublier qu'elle s'accompagne d'une grande différence. Pour le musulman, l'autorité suprême réside dans le Livre, dont l'original se trouve de toute éternité dans le Ciel et que Dieu dicte à son prophète. Mahomet est le serviteur du Coran, il lui est subordonné ; son rôle consiste à le transmettre aux fidèles. Dans le christianisme, l'autorité suprême réside dans le Christ, parole incarnée de Dieu. La Bible est au service du Christ, sa mission est de lui rendre témoignage. Comme l'écrit Luther, elle est la servante dont il est le Seigneur.

L'idolâtrie de la Bible menace le protestantisme, qui y succombe souvent, de même que l'idolâtrie du sacrement menace et atteint le catholicisme. Il faut souligner, avec Ebeling, que « la foi... n'est pas foi en la Bible, mais bien foi au Christ ». La valeur unique et l'importance décisive de la Bible viennent de son lien avec le Christ. Elle permet de le connaître et de le comprendre; il vient à nous et nous parle par son moyen. La Bible est Parole de Dieu dans la mesure où elle rend témoignage au Christ, conduit à lui, le fait rencontrer.

La Bible, ouvrage humain

Il faut, enfin, souligner le caractère très humain de la Bible. On aurait tort de le cacher ou de le diminuer ; il saute aux yeux, et l'ignorer conduit à méconnaître la Bible.

L'humanité de la Bible a deux aspects principaux. D'abord, la Bible ne tombe pas toute faite, tout écrite du Ciel. Les différents livres qui la composent ont été écrits par des hommes. Ils ont procédé comme n'importe quel auteur. Ils ont réuni des documents et entrepris des enquêtes (Luc l'indique au début de son Évangile). Ils ont travaillé avec des collaborateurs (Paul en mentionne plusieurs). Ils ont rédigé des brouillons, et leur texte a parfois subi des remaniements (ainsi, le livre de la Genèse combine plusieurs récits, et les épîtres aux Corinthiens sont des morceaux choisis de diverses lettres de Paul). Enfin, on a regroupé en un volume les livres qui forment l'Ancien et le Nouveau Testament à la suite de discussions qui ont duré plusieurs siècles.

Notre Bible résulte de toute une histoire que l'on peut reconstituer sans faire appel à des interventions surnaturelles.

Ensuite, l'humanité de la Bible se constate dans le fait que s'y expriment des idées, des opinions et des sentiments très humains. On y trouve les croyances, les connaissances et les conceptions d'une culture et d'une époque anciennes. Ainsi, l'auteur du premier chapitre de la Genèse écrit que le soleil et la lune sont les deux plus grands astres. Nous savons bien qu'il se trompe, et nous voyons sans difficultés qu'il ne s'agit pas d'une Parole de Dieu, mais d'une science humaine aujourd'hui dépassée. La Bible contient aussi des cris de haine et de vengeance qui contredisent le commandement d'amour, ainsi, ce psaume 137 au si beau début (« Sur les bords des fleuves de Babylone, nous étions assis et nous pleurions en nous souvenant de Jérusalem ») et à la fin tellement horrible (« Heureux celui qui saisit tes enfants et les écrase sur un rocher »). Comment voir dans cette abominable béatitude une parole venant de Dieu ou inspirée par lui ?

Livre humain ou divin ? A mon sens, l'un et l'autre. Le message que Dieu nous adresse nous parvient toujours à travers des discours humains. Il ne faut pas confondre le message avec le discours qui à la fois le traduit et le trahit. La foi chrétienne ne nous oblige nullement à adopter les idées et les conceptions d'un autre temps. Néanmoins, nous ne devons pas oublier que ces discours humains transmettent un message qui les dépasse ; ils nous font entendre, dans un langage imparfait, parfois contradictoire, avec des erreurs et des ratés, ce que Dieu nous donne et ce qu'il veut que nous devenions.

L'on peut qualifier la Bible de parole de Dieu quand à travers les écrits humains qui la composent nous percevons la voix divine qui nous appelle à la conversion et nous ouvre à une vie nouvelle.

L'instrument de la Parole

On peut résumer ainsi ces quatre remarques : la Bible devient ou porte la Parole de Dieu quand elle fait surgir une prédication évangélique, quand l'action de l'Esprit la rend vivante, quand elle nous fait rencontrer le Christ, quand à travers des écrits humains, nous entendons le message qui nous vient de Dieu. Tout cela amène à voir dans la Bible la condition nécessaire l'instrument indispensable, le lieu irremplaçable pour que surgisse et s'écoute la Parole de Dieu. Par contre. j'hésite à dire qu'elle est Parole de Dieu. affirmation qui me semble prêter à malentendu et manquer de précision. Deux images éclaireront ce propos.

Luther compare la Bible au berceau de jonc qui portait Moïse sur les eaux du Nil. Le berceau n'a de valeur qu'à cause de l'enfant qui s'y trouve couché. Le berceau n'est pas l'enfant, mais sans le berceau, l'enfant se serait noyé et aurait péri. De même, la Bible n'est pas la Parole de Dieu, mais sans la Bible qui la porte, la parole divine ne nous parviendrait pas. Un de mes amis possède un disque ancien (un 78 tours) d'un concerto pour violon de Mozart joué par Jacques Thibault. Il me le fait parfois entendre. Le son n'a pas la pureté des C.D. actuels ; le disque gratte, et devient parfois un peu nasillard. Il n'empêche qu'il est précieux parce qu'à travers lui j'entends une interprétation exceptionnelle de Mozart. J'écoute la musique, non le disque, mais sans le disque cette musique aurait disparu. Comme ce disque, la Bible permet d'entendre la Parole de Dieu. Notons, en passant, qu'il faut se tourner vers le domaine esthétique et non vers celui de la science, pour trouver des analogies qui permettent de comprendre l'autorité de l'Écriture.

Ces deux images appellent une précision. Quand je dis que la Bible est la condition nécessaire, l'instrument indispensable, le lieu irremplaçable de l'écoute de la Parole, il faut avoir conscience du caractère personnel de cette affirmation. Dieu peut atteindre les êtres humains en dehors de la Bible, s'il le désire, et j'incline à croire qu'il le fait. Je ne nie pas que sa parole se fasse aussi entendre ailleurs, dans d'autres religions par exemple. Mais pour ma part, en ce qui me concerne, je n'ai pas eu et je n'ai toujours pas accès à la Parole autrement que par le moyen nécessaire mais non suffisant de la Bible. La Bible ne limite pas la liberté de Dieu, même si le chrétien ne peut pas se passer d'elle.

André Gounelle

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Pas d'esséniens, pas de cathares : même combat ?

Y-a-t-il des liens entre les parfaits de Montségur et les ascètes juifs de la mer Morte ? Que certains aient répondu par l'affirmative a de quoi nous faire sourire aujourd'hui et discrédite ce dont nous voulons traiter. Dans les années 70 ou 80, des auteurs, plus rêveurs qu'historiens, utilisaient une ombre prétendue ésotérico-essénienne ou cathare pour dévoiler des mystères impossibles (1). Ou alors, les cathares étaient aux Occitans comme les esséniens étaient aux francs-maçons. L'université pouvait rester indemne.

Aujourd'hui ce n'est plus le cas. Les manuscrits de la mer Morte sont maintenant disponibles, publiés et quasiment tous traduits (2). La presque totalité des textes et références concernant le catharisme est désormais à la portée du plus grand nombre grâce à la nouvelle édition augmentée d'Ecritures cathares de René Nelli par Anne Brenon (Monaco, éd. du Rocher, 1995) et grâce au site Internet de Jean Duvernoy.

Les années qui viennent promettent donc un renouveau nécessaire pour les études historiques et théologiques hérétiques.

Il ne devrait plus être possible de parler du Nouveau Testament ou des sources du judaïsme post-biblique sans traiter de Qumrân. Le public mieux informé protesterait. Il ne devrait plus être possible non plus de parler des spiritualités chrétiennes du Moyen-Age en ignorant, ou feignant d'ignorer, les hérésies antérieures à la Réforme (3). De même que le judaïsme moderne et le christianisme ancien furent en grande partie des réponses au vieil essénisme, le catholicisme de saint Grégoire ou de Thomas d'Aquin se construisait contre « le manichéisme » (le dualisme) des dissidents médiévaux.

Mais paradoxalement - est-ce un signe des temps ? -, au moment où le renouveau pour les études hérétiques s'annonce, le grand livre des recherches à venir s'ouvre curieusement par la révision, jusqu'à la suspicion, quelque fois la négation, en tout cas l'hypercritique !

Hypercritique que nous croyons pour les deux dissidences dualistes exagérée.

Premier oubli des Esséniens

La recherche qumrânienne, il faut le reconnaître, fut, depuis la découverte des manuscrits, assez largement boudée par les universitaires. « Matière théologique ! » : donc trop confessionnelle pour les universités laïques. Recherche inclassable, car trop aux frontières des disciplines vétéro et néotestamentaires pour les facultés de théologie : chacun des enseignants se renvoyant la balle (4) !... Mais surtout parce que les textes les plus curieux et objets de débats : 550 manuscrits araméens (en 15 000 fragments) de la grotte 4, près du site de Khirbet Qumrân, - textes à connotation spéculative et polémique - ne furent publiés en totalité qu'avec près de 50 ans de retard (5) ! Scandale de la recherche historique ? Certes, mais beaucoup s'en étaient accommodés ! Les rouleaux et manuscrits de la grotte 1 - textes essentiellement bibliques - furent, eux, publiés et étudiés quasiment dès leurs découvertes (6). Ceux de la grotte 4 - extraits de commentaires, textes messianiques, apocalypses, documents de spiritualités - plus problématiques pour l'exégèse ancienne, demandaient à être situés historiquement ainsi que débattus théologiquement. Ils sont aussi moins bien conservés (plus petits fragments). Le retard pris par les premiers chercheurs, pères de l'Ecole biblique et archéologique de Jérusalem - côté jordanien -, qui avaient la responsabilité de l'édition des manuscrits de ce lot, fut dénoncé : des problèmes personnels doublés de quelque arrogance ou inconscience (esprit d'infaillibilité ?) (7)... Défaillance regrettable qui servit sans doute d'alibi aux autres savants : on oublia les esséniens ! Il n'en reste pas moins au crédit des premiers découvreurs une somme considérable d'études très précises, d'éditions consciencieuses, d'hypothèses soigneusement argumentées, de parallèles linguistiques, paléographiques et thématiques qu'on aurait tort maintenant d'ignorer. Plusieurs revues internationales, particulièrement La Revue de Qumrân, avaient rendu compte régulièrement de leurs travaux. L'archéologie des ruines du village de Khirbet Qumrân avança. La paléographie aussi, permettant le classement et la datation des manuscrits. Quelques débats permirent des précisions ; comme la polémique entre A. Dupont-Sommer et J. Carmignac au sujet du Maître de justice (fondateur de la secte ?) au début trop messianisé. D'autres questions restèrent en suspens comme celle de l'identification des esséniens avec les hérodiens des Évangiles.

Deuxième oubli, ou négation

Mais, au moment où le voile autour du retard dans l'édition des manuscrits allait être levé (8), où la publication de fragments inconnus de la grotte 4 était rendue effective ou annoncée, une autre critique accompagna la prise de position de quelques chercheurs (9).Critique qui demandait d'abandonner l'identification des gens de Qumrân, ou rédacteurs des manuscrits, avec les esséniens ! Le groupe juif révélé par les textes de la mer Morte ne serait pas pré-chrétien, mais post-chrétien, judéo-chrétien, ou zélote, et n'aurait peut être même pas existé : pas constitué de groupe à part ! Une secte juive à tendance monastique n'aurait pas vécu dans l'attente du Messie, selon Esaïe 40/ 3, « au Désert », près de la mer Morte à proximité des grottes où ils auraient caché, et nous découvert, les manuscrits ! Les premiers chercheurs, pionniers et spécialistes des manuscrits de la mer Morte, qui avaient quasi unanimement identifié les gens de Qumrân (habitations + réfectoire + bassins pour les ablutions + scriptorium) et les possesseurs des rouleaux (mêmes jarres dans les grottes et dans le village) avec le troisième groupe juif distinct des Pharisiens et des Sadducéens : les essènoï ou essaïoï de Pline, Philon et Josèphe, dont la présence est décrite entre Engueddi et Jéricho, se seraient involontairement trompés. Inconsciemment les premiers qumrânologues auraient projeté sur les juifs de l'Antiquité leur expérience de moines catholiques de l'Ecole biblique de Jérusalem.

Sévère, la critique avait quelque chose d'éloquent (à l'époque qui ne critiquait pas les pères de l'Ecole biblique de Jérusalem pour leur parcimonie dans la diffusion et l'édition des manuscrits ?) et quelque chose de séduisant (l'histoire n'est pas neutre, elle fonctionne par reconstructions successives).

Certains crurent que la voie de l'hypercritique était celle de la nouvelle génération donc porteuse d'avenir ! De jeunes théologiens me disaient même que la recherche essénienne était « minée », incertaine, donc inutile !

Plus de peur que de mal

En fait, et heureusement, les études récentes viennent de désamorcer les dégâts de l'hypercritique (10).

D'abord les successives datations au carbone 14 confirment et viennent de confirmer (11) les chronologies qui avaient été proposées par la première équipe éditoriale (paléographie à partir des manuscrits + archéologie de Khirbet Qumrân) !... Ensuite, la reprise de quelques théories anciennes par exemple au sujet du quartier essénien devenu quartier de l'Eglise de Jacques à Jérusalem (la communauté de « Pentecôte » ?), ou la reprise de l'hypothèse esséno-hérodienne par Yadin, recrédibilise les premiers travaux (12) !

La proximité évidente entre d'une part les grottes à manuscrits et les vestiges au dessus de la terrasse marneuse au nord du Wâdî Qumrân (ruines - « Khirbet » - qui correspondent à un village avec des caractéristiques qui ne trompent pas - village de scribes, centre de vie communautaire ? - et non pas à quelque riche villa ou quelque fortin romain) et d'autre part la vie essénienne décrite précisément à cet endroit par Pline l'Ancien, réifient totalement le débat !

Resterait à savoir ce que le discrédit laissé par l'hypercritique provoquera chez les chercheurs comme second retard dans l'intérêt pour les manuscrits et le milieu qui les a porté !

Zapping sur les cathares

Par une étrange similitude d'attitude, l'université française bouda aussi les hérétiques du Moyen Age. Il est par exemple, surprenant de réaliser la quasi absence des cathares dans la pourtant très savante et passionnante revue : les Annales du Midi ! Dans les facultés de théologie aussi : gêne chez les catholiques ? oubli chez les protestants ? Le XXe siècle, siècle des orthodoxies matérialistes ou incarnationistes, regardait ailleurs ! Seuls quelques curieux, orientalistes avant guerre, adeptes du new-age aujourd'hui, s'interrogeaient au sujet des non-conformistes-vaincus-de-l'histoire... Du coup, le catharisme était récupéré à l'image des sectes (13) ! L'abandon des cathares dans l'historiographie protestante française, lui, est antérieur. Il date, avant Napoléon Peyrat, de l'orthodoxie protestante et de Charles Schmidt au milieu du XIXe siècle (14).

La connaissance du catharisme et des cathares fit d'énormes progrès, donc malgré les courants majoritaires et les modes de l'époque : grâce à la ténacité de deux découvreurs indépendants dont le courage personnel rivalise avec la compétence, deux savants aussi différents que le père Antoine Dondaine puis Jean Duvernoy. Le premier, dominicain français travaillant à Rome, découvre à Florence dans les manuscrits conservés par son ordre le Liber de duobus principiis (Biblio. Nat. fonds du couvent Saint Marc), seul livre en entier connu de théologie cathare, comprenant plusieurs traités et suivi d'un fragment de rituel, qu'il publie en 1939. La même année, il établit la liste de plusieurs manuscrits médiévaux dénonçant l'hérésie, particulièrement l'oeuvre de Raynier Sacconi (parfait cathare italien ayant abjuré pour devenir frère dominicain et inquisiteur). Après guerre et avant de se consacrer aux éditions de Thomas d'Aquin, il publie les sources rassemblées dans « La hiérarchie cathare en Italie » (Archivum Fratrum Praedicatorum, n°19, 1949), et l'oeuvre de controverse anti-cathare (Manuscrit Bibl. N. de Paris) qu'il attribue au vaudois Durand d'Huesca (Archivum Fratrum Praedicatorum, n°29, 1959). Dondaine avait aussi repéré et comparé les manuscrits Manisfestatio haeresis de Prague et de Reims. Et avait même trouvé une des copies de La cène secrète (apocryphe d'origine Bogomile connu des cathares) d'après le manuscrit de Dôle, version non éditée.

Le deuxième renouveau vint de l'inclassable Jean Duvernoy (15). Juriste de profession, originaire du pays de Montbéliard vivant à Toulouse, son apport fut aussi conséquent, mais d'un autre type, et complémentaire. La transcription, puis l'édition (Toulouse, Privat, 3vol., 1965), puis la traduction et les annotations (Paris, La Haye, Mouton, 3 vol., 1977-1978) de l'énorme Registre d'Inquisition de Jacques Fournier Evêque de Pamiers (Bibliothèque du Vatican, Ms n° 4030 Vat. Latin), permit de mettre en situation, de rendre vivants donc plus compréhensibles les hérétiques pourchassés en haute Ariège au début du XIVe siècle. Montaillou village occitan d'Emmanuel Le Roy Ladurie, (Paris, Gallimard, 1975) au succès immense fut rendu possible grâce à cette trouvaille. Puis, par deux ouvrages de référence Le catharisme, la Religion des cathares (Toulouse, Privat, 1976) puis Le catharisme, l'histoire des cathares (Toulouse, Privat, 1979), Jean Duvernoy fit le point avec beaucoup de perspicacité, de recul aussi, sur toutes les recherches érudites ; en offrant et classant les références, le plus souvent de façon synoptique pour faciliter l'étude des futurs chercheurs... Jean Duvernoy est le premier à affirmer, comme le relève Anne Brenon, que la compréhension dualiste n'est pas constitutive du catharisme, mais aboutissement déduit d'une grille de lecture scripturaire... même patristique (16).

Déconstruction annoncée (17)

Isolées, les revues françaises qui abordaient le catharisme étaient les Cahiers d'Etudes cathares, dirigés par Déodat Roché (1877-1978) fondateur de la société du souvenir cathare et qui érigea la stèle de Montségur, publication à connotation néo-cathare, un peu maçonnique, en tout cas anthroposophe, et à l'opposé les Cahiers de Fanjeaux, dirigés par le Père Marie-Humbert Vicaire (1906-1993), quelques universitaires catholiques soucieux d'une réhabilitation romaine et les responsables de l'ordre dominicain... Indépendant et reconnu par tous, Jean Duvernoy participait aux deux revues !

La création de Centre d'études cathares par René Nelli, Jean Duvernoy, Michel Roquebert et Anne Brenon depuis 1982 et le lancement de la revue Heresis décrispa et décloisonna la recherche.

Mais les cathares à peine reconsidérés comme chrétiens allaient perdre leur substance.

Le colloque catharisme : l'édifice imaginaire (Centre René Nelli 1994, éd. 1998) décléricalisa et déésotérisa l'étude sur la dissidence médiévale. L'image moderne des hérétiques étant déconstruite, que pouvait-on dire de celle qu'on leur prêtait au Moyen Age ? Monique Zerner de l'Université de Nice publia Inventer l'Hérésie ? (Centre d'Etudes médiévales, Nice Sophia-Antipolis, 1998) fruit d'un séminaire tenu depuis 1993, nourri de questions nouvelles et stimulantes. Désormais la question de l'albigéisme, essentiellement considérée comme fantasme / point de fixation de l'Eglise romaine, était remise au coeur du Moyen Age. Certes, l'étude prenait la perspective de la religion persécutrice et de la société hiérarchique mais avec un recul dynamique. L'heure n'est plus à l'historiographie catholique classique, un peu sur la défensive, ni à la simpliste réhabilitation cathare. Renouveau annoncé : les professeurs font travailler les étudiants sur ces « hérétiques » redevenus ombres, pour nous désenchantés (créations littéraires ?), dont le Moyen Age se servit comme projections diabolisées... Donc pour les universitaires : dé-diabolisés !

Anne Brenon saluant l'aspect novateur et encore positif de la nouvelle historiographie mettait pourtant en garde : « encore faut-il prendre soin de ne pas raser définitivement la maison au prétexte de la nettoyer » (18) .

Jean Louis Biget, professeur émérite à l'Ecole Normale supérieure de Fontenay Saint-Cloud, par ses recherches comparatives et sociologiques dédramatisait le passé cathare : l'hérésie avait beaucoup été exagérée par les clercs de l'époque - et les ésotériques et occitanistes d'aujourd'hui - ! La contestation religieuse n'avait concerné qu'une élite cultivée et minoritaire (19). Dans Le Pays cathare (Le Seuil, Points-Histoire, 2000) il annonçait pourtant : « il convient de ne pas sombrer dans l'hypercritique » (p. 23)

Travers que nous pouvons discerner maintenant chez quelques uns de ses élèves, chez ceux des professeurs R. Moore de l'Université de Newcastel ou de P.Biller de l'Université de York (R.U.) (20). On parle de « construction de l'hérésie » et de « déconstruction du discours » : jusque là nous sommes d'accord (21)... La critique historique doit tenir compte des enjeux de chacune des époques, des questions de pays et de régions (parler des hérétiques au nord ou au sud de l'Europe - certains historiens ont tendance à l'oublier ! - ne soulève pas les mêmes passions(22) et des mises en récits inévitables de la subjectivité. Mais l'hypercritique que nous dénonçons, c'est lorsque le système d'analyse prend le pas sur la réalité et que la remise en cause, devenant dogmatique, perd la recherche comme objectif. L'exemple le plus flagrant se trouve dans le second livre collectif du reste passionnant de Monique Zerner, L'histoire du catharisme en discussion, le « concile » de Saint-Félix (1167) (Centre d'Etudes Médiévales, Nice Sophia-Antipolis, 2001, livre qui rend compte et qui poursuit les études du colloque de Nice : « Revisiter l'hérésie méridionale ? Le supposé concile cathare de Saint-Félix 1167 », début 1999 ). Les critiques s'évertuent à y défendre l'a priori de la non historicité du document étudié (23) - il révèle la structure épiscopale du catharisme refusée par les auteurs, quitte à changer d'argumentation au cours et à la fin du débat - , alors que les spécialistes de l'IRHT - Institut de Recherche d'Histoire des Textes, laboratoire du CNRS -, dont Jacques Dalarun son directeur, curieusement convoqués par les organisateurs du colloque, concluent (« la charte de Niquita, analyse formelle ») en faveur de l'authenticité du texte. Mais Monique Zerner revient sur son hypothèse.

Présupposés rêvés et imposés

Peut-être est-ce une affaire de mode, mal comprise ou poussée à l'excès ? Il me souvient qu'Albert Schweitzer (24), lui le libéral, lui l'historico-critique, était choqué par l'attitude toute dogmatique et radicale de la théologie dialectique qui se construisait dans le bultmanisme selon lui par une négation de principe !

« Il n'y a pas de faits, il n'y a que des interprétations » aurait dit Nietzche ; mais ceci aussi est une interprétation !... Il nous faut déconstruire bien sûr les projections, les tautologies, les anachronismes, les mythes positivistes, mais aussi les fraudes conscientes ou d'auto aveuglement de certains de nos modernes-post-modernes !... A partir d'une parodie publiée dans la revue Social Text, les physiciens Alan Sokal et Jean Bricmont dans Impostures intellectuelles (Paris, Odile Jacob, 1997 ) l'ont dans un autre contexte fortement souligné. La mise en garde est amusante quand il s'agit d'un canular philosophico-mathématique ; elle est grave si elle dénonce quelque mépris d'histoires humaines, urgente si elle vise le négationnisme de la Shoah ! La sociologie constructiviste, celle de Peter Berger et Thomas Luckmann par exemple, apporte beaucoup. La philosophie de Foucault, déconstrutiviste, renouvelle aussi nos approches. Il ne faut pourtant pas que les méthodes fonctionnent pour elles même, faisant fi des repères chronologiques ou géographiques... Ou en cherchant à les faire plier !... C'est à une nouvelle querelle des universaux que j'en appelle, ou aux nuances d'un Ricoeur qui développe tout autant « la rigueur du regard distancié » que le devoir de mémoire (25)...

Réapparition ou deuxième mort des vaincus

« Le christianisme est un essénisme qui a réussi » affirmait Renan. Il est trop facile de lui apporter contradiction après les découvertes ! Il y a un statut de vis à vis du discours historique qu'il ne faut pas négliger. Les faits ne sont pas bruts ; inversement la fiction n'est pas systématique ! La découverte des esséniens par les manuscrits de la mer Morte dans les années 1947 à 1963, comme la redécouverte des cathares depuis Ecritures cathares de Nelli en 1959, et La religion des cathares de Duvernoy en 1978, participent à l'historiographie moderne. S'il y a immanquablement problème de succession, ou d'école, souhaitons que la jeune génération prenne un peu de recul sur ses propres lectures et rende justice aux vaincus (26). Le problème est qu'aujourd'hui nous sommes submergés par l'information, même en science, et sommes de plus en plus sensibles aux phénomènes de manipulation. La désinformation n'est-elle pas plus facile que l'information ? Attention, la naïveté épistémologique n'est pas que dans un sens. Sur le strict registre de la communication il est plus facile aujourd'hui à un clerc, pour se faire entendre, de parler contre Dieu que pour Dieu ; il est plus facile à un historien de l'Antiquité aujourd'hui de « revisiter / réviser » Qumrân que d'expliquer l'exégèse subtile des esséniens, ou à un médiéviste de faire miroiter la toute certaine notion de fantasme plutôt que de décliner les sources souvent fragiles et toujours fragmentaires d'un passé enfoui !

Est-ce un signe de santé que de pouvoir nier, avec risque de repli sur soi ? D'où la possibilité que les négateurs n'« existent » pas !... Etudiant en théologie, je m'étais passionné et senti dérangé par les adeptes, dont on ne parle plus, de la non historicité de Jésus (27) ; puis par la réponse rassurante d'André Gounelle aux théologies de la mort de Dieu (28).

Dommage, si quelques savants veulent briller contre les esséniens, « pauvres en esprit » dans le désert, dont on aurait / aura à travailler encore les contours, ou contre les cathares-Albigeois ou bons-hommes ; un peu comme ce grand négateur-séducteur qu'était Louis XIV que l'on présentait après la Révocation de l'Edit de Nantes, heureux de sa victoire, le pied sur l'hérésie !

Michel Jas

Notes

(1) Sur cette période historiographique confer : Jean-Louis Biget « Mythographie du catharisme (1870-1960) » p. 271- 342 dans Cahiers de Fanjeaux n° 14, « Historiographie du catharisme » Toulouse, 1979 ; Philippe Martel « Les cathares et leurs historiens », Les cathares en Occitanie, Paris, Fayard, 1982, p. 403-477 ; Jean-Louis Biget « Les cathares, mise à mort d'une légende » L'Histoire n° 94, Nov. 1986, p. 10-21, du même « L'Histoire vraie des cathares » L'Histoire n° 183, Déc. 1994, p. 40-56 ; ainsi que : catharisme : l'édifice Imaginaire, Carcassonne, Heresis, 1998, particulièrement les communications d'Anne Brenon, L. Albaret, J.-J. Bedu et N. Gouzy.

(2) cf. - pour l'édition officielle : Collection Discoveries in the Judaean Desert (DJD), vol. I, Oxford, 1953-55, à vol. XXXIX, Oxford, 2002. (Pour le site Internet chercher à « Orion Center-Dead Sea Scrolls »).

- et pour l'édition « piratée » : A Facsimile Edition of the Dead Sea Scrolls (Eisenman, Robinson, Shanks), 2 Vol. Washington, Biblical Archaeology Society, 1991.

- en français, l'édition La Bible, écrits intertestamentaires, La Pléiade-Gallimard, 1987, est incomplète mais fiable. Les textes (à problèmes !) de la grotte 4 sont régulièrement publiés par A. Caquot ou M. Philonenko dans la RHPR, revue de la faculté de théologie de Strasbourg.

(3) Les spécialistes du Moyen Age théologique ou philosophique (parmi lesquels, en premier : Alain de Liberia La philosophie médiévale, PUF, Paris, 1993) devraient désormais intégrer les sources utilisées par Dominique Iogna-Prat Ordonner et exclure, Cluny et la société chrétienne face à l'hérésie, au judaïsme et à l'islam 1000-1150, Paris, Aubier, 1998 ou par Roland Poupin La papauté, les Cathares et Thomas d'Aquin, Toulouse, Loubatières, 2000.

(4) Saluons pourtant l'article de Christian Grappe : « L'apport de l'essénisme à la compréhension du christianisme naissant » dans ETR, Montpellier, 2002 n° 4, p. 517 à 536.

(5) Deux volumes seulement de Discoveries in the Judaean Desert consacrés à la grotte 4 jusqu'à la polémique ; par contre : 14 volumes depuis !

(6) Découverte de la caverne par les bédouins qui en retirent 7 longs manuscrits bien conservés, été 1947. Premières études et publications par Sukenik, Brownlee et Burrows en 1948. Fouille systématique en 1949, découverte de 600 petits fragments. Publication du vol. 1 de Discoveries in Judaean Desert en 1955.

(7) Sur toute cette question, cf. l'article « Le Vatican occulte-t-il les manuscrits de la mer Morte ? » par Hershel Shanks (directeur de Biblical Archaeology Review) dans L'aventure des manuscrits de la Mer Morte (sous la dir. de H. Shanks) Paris, Seuil 1996. A compléter par « Y a-t-il un scandale dans l'édition des manuscrits de la mer Morte ? » par E.-M. Laperrousaz dans Qoumrân et les manuscrits de la mer Morte, un cinquantenaire, Paris, le Cerf, 1997 ; par le § « la publication des manuscrits et ses turbulences » par André Paul dans Les manuscrits de la mer Morte La voix des Esséniens retrouvés, Paris Bayard, Centurion, 1997 ; par « Les grandes batailles de Qumrân » par F. Garcia Martinez et « des fragments par milliers » par André Caquot dans Cinquante ans après, Qumrân quelles réponses ?, Le monde de la Bible n°107, 1997 ; par la préface par Emile Puech à Les manuscrits de la mer Morte par Farah Mébarki et E. Puech, Rodez, ed. du Rouergue, 2002 ; ainsi que par le § « un scandale pour des manuscrits » par Lawrence H. Schiffman dans Les manuscrits de la mer Morte et le Judaïsme, Québec, Fides, 2003 .

(8) cf. les critiques exprimées par J. Fitzmyer dans Biblical Archaeology Review en 1990. Robert Eisenman date, lui, sa lutte pour l'accès aux manuscrits de 1986.

(9) Norman Golb de l'Université de Chicago, depuis un article de 1989, lance l'hypothèse dissociant la présence des manuscrits (qui proviendraient de la Bibliothèque du Temple de Jérusalem) et les ruines de Qumrân (qui seraient les restes d'une forteresse romaine). A partir de l'étude d'un texte de la grotte 4 (4QMMT) non publié en 1989, L.-H. Schiffman de l'Université de New York postule pour une origine sadducéenne des gens de Qumrân et non essénienne. Chef de fille de la contestation contre l'équipe éditoriale de l'école biblique de Jérusalem, Robert Eisenman, de l'Université de Long Beach-Californie - depuis Maccabees, Zadokites, Christians and Qumran, Leyde, Brill, 1983, jusqu'à Les manuscrits de la mer Morte révélés, Paris, Trad., Fayard , 1995, tente de discréditer la « théorie essénienne », et la datation des manuscrits (même par le Carbone 14) pour présenter les sectaires de la mer Morte comme de curieux judéo-chrétiens (juifs messianiques dirigés par « le Maître de justice » - qui serait, lui, en fait, Jacques-frère-du-Seigneur -, opposés à la tendance du « prêtre impie » - Paul -, internationaliste et pacifiste). Une théorie encore plus hardie et encore moins partagée est développée par Barbara Thiering. Après son Redating the Teacher of Righteousness (Sydney, 1979) et The Qumran Origins of the Christian Church (Sydney, 1983) et plusieurs articles dans New Testament Studies, à raison d'un titre par an depuis 1992, elle va jusqu'à faire du Maître de justice : Jean-Baptiste, de Jésus : un natif de Qumrân, marié à Marie-Madeleine et réfugié près de la mer Morte après la croix !.

(10) cf les études citées note 7, auquel il convient d'ajouter les articles sur la question depuis 1992 par Geza Vermès (Université d'Oxford ) dans la revue qu'il dirige : Journal of Jewish Studies, les réponses dans la Revue de Qumrân, soit directes (par exemple la recension très critique en 1998 contre la thèse de Léna Cansdale, doctorante australienne qui cherchait à dissocier Qumrân des Esséniens) soit indirectes (par la continuation des études qumrano-esséniennes comme si aucune critique n'avait été émise ; ou bien l'hommage à J.-T. Milik en 1996). Pour une lecture rapide des mises au point et précisions actuelles cf. l'excellent dossier « Les manuscrits de la mer Morte, dernières découvertes », Le Monde de la Bible n° 151, juin 2003.

(11) Datations effectués dans des laboratoires de Zurich et de Tel Aviv en 1989-1991, et par l'AMS de Tucson en Arizona en 1994. La théorie d'Eisenman demandant une date plus récente (post-chrétienne) pour 1Q pesh.Hab est désormais devenue impossible...

(12) Yigaël Yadin par son étude sur 11QT, le Rouleau du Temple (cf H. Shanks L'aventure... op.cit. p. 127-150), reprend et actualise l'hypothèse de Constantin Daniel présentée en 1967 et 1979 dans la Revue de Qumrân. Cf. J. H. Charlesworth Jesus and the Dead Sea Scrolls New York, 1992, p. 75-78.

Pour plus de prudence : cf. W. Braun " Were the N.T. Herodians Essenes ? A Critique of an Hypothesis « Revue de Qumrân », 1989, 1, p. 75- 88.

(13) cf. la bibliographie indiquée en note 1.

(14) cf. ma communication « L'orthodoxie protestante, le rêve albigeois, Schmidt et Peyrat » dans Catharisme : l'édifice imaginaire (op.cit.)

(15) cf. l'interview par Philippe Terrancle « Jean Duvernoy un révélateur » dans n° spécial : « Cathares, les martyrs de l'inquisition » Pyrénées Magazine, été 2003.

(16) cf. J. Duvernoy « Origène et le berger » dans Autour de Montaillou un village occitan (sous la dir. d'E. Le Roy Ladurie), Castelnau-la-Chapelle, l'Hydre, 2001, p. 335-344.

(17) Une mise en garde par Anne Brenon a été déjà publié dans Evangile & Liberté : « La reconstruction du catharisme un nouvel enjeu historiographique » n° 191 ; avril 1999 p. 4.

(18) « Le catharisme. Nouvelles perspectives historiques » dans l'excellent recueil d'articles d'A. Brenon préfacé par Jean Duvernoy : Les archipels cathares. Dissidence chrétienne dans l'Europe médiévale, Cahors, Dire, 2000, p. 13-16.

(19) Les études de Biget demandent à être complétées à partir de M. Roquebert : Les Cathares. De la chute de Montségur aux derniers bûchers (1244-1329), Paris, Perrin, 1998 ; sans oublier l'amicale et pertinente recension par J. Duvernoy dans Heresis n° 33, Déc. 2000 p.104-107 (ce que dit Duvernoy des cathares de Verdun-Lauragais s'applique très bien à une réponse qu'on pourrait faire aux thèses de Biget).

(20) cf. Laurent Albaret qui participe à la nouvelle ligne éditoriale de la revue Heresis ne laisse aucun doute sur les objectifs du colloque tenu à York en mai 2000 (Heresis, n° 32, p.124-126).

(21) avec toutefois l'envie de « déconstruire la déconstruction » quand par ex. nous trouvons Patrick Boucheron surprenant au sujet de Jacques Fournier, Pierre Maury et du colloque d'Août 2000 à Montaillou - qu'il ne cite pas -, dans « le dossier Montaillou » (L'Histoire n° 259, Nov. 2001) !

(22) « Aucune des accusations stupides ou dégoûtantes qui précèdent (J.D. venait de citer les textes de controverses habituels) ne figure dans la littérature de controverse relative aux Albigeois, ou dans les registres de l'Inquisition méridionale. Cela est dû naturellement au fait que tout le monde (dans le Midi) connaissait, et était d'ailleurs censé connaître le contenu du catharisme et le comportement des adeptes » J. Duvernoy, « L'air de la calomnie » Catharisme : l'édifice Imaginaire, Carcassonne, Heresis, 1998, p.34.

(23) Optant pour un faux du XVII° (J.-L. Biget aussi après avoir soutenu l'hypothèse d'un faux du XIII° - J. Chiffoleau élargit lui la critique jusqu'à vouloir étudier pour contester l'historicité de toutes les autres rencontres d'hérétiques : Bergame 1218, Pieuse 1226, Montségur 1232 ou Chanforan 1532 - ) puis du XVI°, Monique Zerner renvoie à trop d'imprécisions autour du système presbytérien-synodal protestant qui aurait servi de modèle au document cathare, ou concernant l'ancienne historiographie du catharisme, ses enjeux et ses sources. Cf. les sources cathares connu des protestants que j'avais indiquées dans : "Cathares et protestants le colloque de Montréal" Heresis n° 26-27, Carcassonne, 1996, p. 23-42 (mais Monique Zerner tient pour des faux la / les sources protestantes du colloque de Montréal !..).

Les critiques s'évertuent à y défendre l'a priori de la non historicité du document étudié (23) - il révèle la structure épiscopale du catharisme refusée par les auteurs, quitte à changer d'argumentation au cours et à la fin du débat -, alors que les spécialistes de l'IRHT -Institut de Recherche d'Histoire des Textes, laboratoire du CNRS -, dont Jacques Dalarun son directeur, curieusement (volontairement ?) convoqués par les organisateurs du colloque, concluent (« la charte de Niquinta, analyse formelle ») en faveur de l'authenticité du texte. Mais Monique Zerner revient sur son hypothèse.

Présupposés rêvés et imposés

Peut-être est-ce une affaire de mode, mal comprise ou poussée à l'excès ? Il me souvient qu'Albert Schweitzer (24), lui le libéral, lui l'historico-critique, était choqué par l'attitude toute dogmatique et radicale de la théologie dialectique qui se construisait dans le bultmanisme selon lui.

(24) « Lettre inédite (à M. Carrez) » ETR, Montpellier,1985, n°2, p. 161 à 164.

(25) cf. La Mémoire, l'Histoire, l'Oubli, Paris, le Seuil, 2000 ; particulièrement les p. 429 à 441.

(26) Les nouveaux censeurs ne sont pas automatiquement novateurs parce qu'hypercritiques. Ils reprennent quelquefois d'anciennes théories : pour l'essénisme, les positions d'H.-E. del Medico (Le Mythe des Esséniens, Paris, 1958 : les témoignages de Josèphe ou de Philon sont des ajouts ou des transpositions etc...) ; pour le catharisme, les orientations sociologiques de R. Morghen (Rome, 1944, 1951 et après les critiques de Dondaine : études de 1954 et 1957).

(27) Quoique certains auteurs parmi les déconstructivistes des Esseniens renouvellent - sans que cela soit affirmé directement - la négation de Jésus. Il faut relire R. Eisenman (op.cit.) avec cette question, ou lire ses débats sur les sites internet. Les présupposés qui guident ses hypothèses, sur les souffrances du Messie, le rôle de Paul ou les pré ou judéo-chrétiens, s'éclairent avec cette perspective. Curieusement Jean Duvernoy, après Dando en 1967, s'était exprimé dans la revue (Cahiers du cercle Ernest-Renan, n° 120, 1981 et n° 138, 1985), dont une des caractéristiques était d'opter pour la non-historicité de Jésus, sans pour cela prendre à son compte les théories « mythologistes » de la revue.

(28) cf. André Gounelle Après la mort de Dieu, coll. Alethina, Lausanne, L'Age d'Homme, 1974, nouvelle édition avec postface « vingt-cinq ans après », Paris, Van Dieren Editeur, 1999.

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