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Protestantisme et euthanasie

 

Euthanasie et suicide assisté - Faut-il légiférer ?

par Philippe Engel

 

On parle beaucoup de l'Euthanasie. Dans les années 60 c'était l'avortement qui faisait la une des propos. Maintenant, il s'agit non pas d'une vie à naître mais d'une vie à terminer. Un pays européen vient de légiférer à ce sujet après avoir pratiqué officieusement pendant quelques années, mais avec la complicité des pouvoirs publics, l'euthanasie.

L'euthanasie, par définition, est le fait de «donner une mort douce» Le suicide est le fait de «provoquer sa mort» Entre ces deux termes qui aboutissent au même résultat, la différence qui s'exprime est l'intervention d'un tiers dans le premier cas, l'exécution personnelle, en dehors de toute aide extérieure, dans le deuxième cas.Il est convenable que le désir de mourir soit respecté. Le suicide est un acte de courage dans une situation de désespoir. Il concerne l'individu dans le cadre de son libre arbitre et il en est le seul responsable. L'euthanasie est l'intervention d'un tiers qui, par son autorité «technique», prend la place, dans la réalisation de l'acte, de celui qui veut se suicider, c'est-à-dire mourir.

A priori, on ne peut donc comparer l'un avec l'autre.

Une troisième hypothèse est le «suicide assisté». J'entends par là, la décision de mourir, possédant encore toutes, ou presque, ses capacités physiques et intellectuelles et demandant en pleine conscience l'intervention d'un tiers pour passer à l'acte.

Laissons de côté le suicide qui ne concerne que l'individu dans son intégrité et ne relève que de sa propre décision sans faire appel à qui que ce soit. Pratiquer l'euthanasie ou le suicide assisté demande l'intervention d'un autre à qui l'on remet la réalisation de l'acte. Ce n'est plus un acte solitaire mais une réalisation collective, mettant en scène plusieurs intervenants.

C'est de ces "tiers" dont il faut parler car le discours est alors trop facile si on les néglige !Donner la mort à-la demande de l'autre soulève un grand nombre de problèmes.

Il y a, avant tout, l'attitude individuelle de chacun, d'entre nous qui accepte ou refuse de participer à la mort de l'autre. Elle doit et ne peut être que respectée.

Ceci étant, s'il n'y a pas d'interdit personnel à transgresser, la demande est-elle justifiée ?

Cette question est logique puisque elle fait intervenir un tiers qui va avoir à prendre une décision. On ne peut répondre simplement à une telle exigence ! participer à la mort n'est pas une petite affaire et exige un minimum de réflexion.

Si la réponse peut-être relativement aisée en cas de souffrances insupportables, non maîtrisées par la pharmacopée actuelle et dont l'avenir est au-dessus de toutes ressources thérapeutiques, il faut néanmoins que l'expression de cette douleur soit en quelque sorte ressentie par l'intervenant et "qu'il la fasse sienne". Ressentir la douleur de l'autre c'est l'intégrer en soi, non pas la douleur même mais sa répercussion sur son ego. La douleur est-elle ou non supportable pour soi et l'autre en sachant que, éventuellement, les produits utilisés vont "déconnecter" le mourant et l'entraîner vers une mort non ressentie comme telle. C'est une attitude relativement fréquente.

Admettons que la demande soit perçue comme étant justifiée. Il faut envisager le passage à l'acte. Faut-il le faire seul ou dans le cadre d'un accord avec le demandeur de sa famille ? il me semble impossible de prendre sur soi une telle décision.

Soit la demande est clairement exprimée, à plusieurs reprises par celui qui veut mourir et un certain délai de réflexion montre que effectivement la situation s'aggrave et devient incontrôlable ; la famille fait votre siège pour que vous interveniez. Mais alors n'y a-t-il pas par derrière des intérêts cachés ? n'y a-t-il pas une demande "de liquider" une situation devenue difficile voire impossible à vivre ? De toutes façons il faut que la famille exprime une intention car, si ce n'est pas le cas, dans l'état actuel de la législation, la moindre plainte déposée devient mise en accusation d'avoir tué et le geste réalisé devient un meurtre, un crime ce qui n'est pas totalement faux.

Certains considèrent que la mort et les moments qui la précèdent sont source de révélations qui vont faire en sorte que le mourant trouvera dans ce passage une exaltation bénéfique et qu'il n'est pas acceptable de laisser passer cette possibilité ! Cette attitude égoïste mais basée sur une foi du "tu ne tueras pas" et d'une "souffrance salvatrice" doit être admise...

Admettons que le désir de chacun n'est pas formulé de façon certaine et qu'un doute persiste sur la volonté exprimée de hâter le décès. "L'exécuteur" se retrouve seul. C'est en son for intérieur qu'il doit trouver la solution pour guider son attitude et en prendre la pleine et entière responsabilité. C'est dans le secret de ce qu'il ressent et dans le secret de son action qu'il pourra éventuellement agir. Mais il le fera à ses risques et périls !

Donc, s'il y a demande expressemet réitérée de la part du mourant, un accord, voire une demande des proches, le sentiment que la situation est hors de tout espoir d'améliorations, il est envisageable d'intervenir.

Comment passer à l'acte ? Cela doit-il être brutal, en quelques secondes ? ou faut-il laisser le temps de la mort s'approcher en accélérant sa survenue, certes, mais en respectant une certaine prise de conscience, un accompagnement des êtres aimés ? faut-il mourir dans la brutalité aveugle d'une chimie injectée ou faut-il qu'il y ait un processus rapidement progressif qui laisse à celui qui part le temps de quitter ce monde "en connaissance de cause". Comment répondre ? C'est ].a sensibilité de l'acteur et de ce qu'il sait de l'autre qui va décider s'il devient bourreau ou accompagnateur.

L'euthanasie ou le suicide assisté ne peuvent se concevoir que dans la lucidité du mourant, des accompagnateurs et de l'exécuteur. De quel droit, sous prétexte que les ponts sont coupés avec un vieillard en proie à une démence sénile, qui que ce soit s'accorderait le droit de le supprimer ? Ceci est intolérable et ne peut être envisagé car c'est la porte ouverte à tous les excès et les crimes que nous avons connus dans l'histoire.

Depuis que la médecine s'est développée dans la réanimation une certaine tendance à l'acharnement thérapeutique a vu le jour dans les années passées. Cet acharnement, il faut bien le dire, a souvent été source de découvertes ou de protocoles qui ont permis de sauver des vies sans pour autant les transformer en "plante verte". Mais il est vrai aussi que certains cas se sont révélés inhumains quant à leur pratique et leur résultat. C'est alors affaire d'homme.

Les soins palliatifs, domaine dans lequel la France a pris un énorme retard de mise en application par rapport aux pays anglo-saxons, se sont enfin imposés. Ils font néanmoins l'objet de discussions concernant les moyens utilisés et la morphine ou ses dérivés sont encore, parfois, décrétés "dangereux". Pour qui ? pour celui ou celle qui va mourir de toutes façons ? Notre vieux fond judéo-chrétien et l'aberration de la souffrance salvatrice persistent encore dans certains centres hospitaliers ou chez certains médecins. Mais là encore il s'agit d'une affaire d'homme.

Alors ? euthanasie ? oui s'il s'agit d'un acte concerté, pris en toute connaissance de cause avec le mourant et l'entourage et réalisé dans le cadre d'un accompagnement. Non s'il s'agit d'une décision arbitraire de "l'exécuteur" qui n'a aucun droit pour être porteur de mort alors que par définition il est là pour assurer la vie.

Suicide assisté ? Non. Arthur Koestler qui a fondé cette association appelée EXIT soutenait son action en disant que l'homme avait besoin d'aide pour naître et donc il était normal qu'il reçoive de l'aide pour mourir. Il s'est librement suicidé, accompagné de son épouse. Je respecte entièrement sa décision mais, à ma connaissance, il n'a pas fait appel à un tiers pour passer à l'acte. EXIT donne des recettes, des façons de faire mais je ne crois pas que ses adhérents participent de façon active à l'aide à la mort. Il en est de même pour l'association au Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD). Nous ne sommes pas des exécuteurs, encore moins des bourreaux. A chacun de prendre ses responsabilités. Alors en définitive faut-il légiférer ? Oui mais avec une extrême prudence en mettant des garde-fous impératifs et exigeants. Mais on a vu avec la Loi WEILL concernant l'avortement que ceux-ci n'étaient pas respectés.Non car cela laisse une porte entrouverte vers de possibles excès.

Alors que faire ? se taire et que la mort se passe dans le secret de l'échange entre celui qui veut partir et celui qui pourra l'aider.? Pourquoi pas ?

Il faut trouver un biais qui accepte cette situation ; une tolérance. Mais, pour être reconnue, celle-ci doit passer par la loi ! Alors ? La Hollande a-t-elle raison ? On peut le penser.

Philippe Enge

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La portée de l'euthnasie volontaire et la loi aux pays-bas

par Robert Hensen

"C'est également chrétien, me semble-t-il, de ne pas vouloir qu'on fasse des dépenses énormes pour prolonger une vie qui en fait est déjà vécue. En 1949, j'ai assisté le professeur Lambert van Holk (théologien libéral à Leiden) a réunir des faits divers pour ses cours Délibérations Morales. A ce temps là, j'ai entendu pour la première fois un de ses arguments pour l'euthanasie soulignant l'extravagance des frais pour prolonger une vie atteinte de sénilité ou accrochée aux appareils. En fait, Etienne Rioux et Lambert van Holk renvoient à une solidarité entre les générations, fruit d'une sagesse de pouvoir faire la place aux autres. On n'est pas loin du mot de Paul, nul de nous ne vit pour lui-même, nul ne meurt pour lui-même. Cet acte de faire la place est loin, vraiment , du commentaire éditorial (Le Monde, 13 Avril, p.16) où l'utilitarisme a été suggéré comme fonds de l'euthanasie : "le message implicitement utilisé par l'ensemble marchand. Au contraire, dans les mots ci-dessus mentionnes s'exprime une dimension trop négligée dans le monde actuel. Savoir qu'il y aura un soir après lequel un autre jour de souffrance est indésirable, savoir qu'il y a un moment où on peut déposer le fardeau. Pourquoi accepter une prolongation de la vie dans le ghetto de l'assistance médicale ? Certainement c'est un objet de notre fierté d'avoir une batterie des techniques et des découvertes qui reculent les bornes de nos possibilités. Mais ce ghetto est aussi signe de notre identification minimale avec les patients (nous veut dire la société en général). Et là, dans ce ghetto, la priorité est toujours donnée aux jugements des médecins, chacun dans sa spécialité, pas au voeu de l'individu qui ne veut pas continuer sa vie. Il y a des exceptions, mais en général le patient n'a pas le dernier mot à dire. La décision du médecin n'est pas qu'une constatation scientifique. Elle est impliquée dans un jugement de valeur et c'est là que le bât blesse. Le refus de l'euthanasie s'accompagne d'un plaidoyer pour des soins palliatifs. Hélas, la contrainte budgétaire restera un obstacle insurmontable, en France, aux Pays-Bas et ailleurs... De plus, un traitement antidouleur n'est pas toujours une réponse adéquate au désir profond d'un malade.

Parce que l'état d'urgence est devenu un problème structurel, le code pénal néerlandais a été changé et certains actes médicaux sont maintenant à l'abri d'une poursuite judiciaire, sous des réserves très strictes. A cause d'une situation structurelle l'officialisation était nécessaire. Le juge ne peut pas adapter et changer les règles parce qu'il n'est pas élu en vertu d'un vote démocratique. Le législateur doit agir et pour lui, il s'agit de la recherche d'un compromis entre une action en justice et l'impunité. Le problème est le principe du " ne tenetur"' : personne n'est obligé de contribuer à sa propre peine. Néanmoins, l'exercice de balancement fait par la législation néerlandaise n'exclut pas une poursuite d"un médecin,, qui fait mention d'un acte d'euthanasie. Nul n'est définitivement à l'abri de la justice et c'est pourquoi une démythification des critiques à l'étranger est nécessaire.

L'élargissement de la loi aux Pays-Bas suscite un problème encore plus important et va au-delà des délibérations médicales, au-delà d'un certain déséquilibre entre le jugement du médecin et le jugement de valeur d'un individu qui est en train de subir le démantèlement de son corps et (ou) de son esprit et veut mourir en dignité.

Les mandements de la loi visent les médecins. Mais ensuite se pose le problème d'une aide active à mourir par l'intervention d'une personne hors de la profession médicale, par un proche à la demande explicite du patient. Qui tient bon dans la démolition de son corps fait preuve de force d'âme autant qu'un individu qui veut décider de son propre sort. L'un et l'autre sont les expressions d'une autodétermination.

Robert Hensen

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Les drames des personnes âgées

par Jean-Louis Richard

Ce que je voudrais ici c'est entamer la réflexion sous un autre aspect, bien évidemment inséparable pour nous de toute "lecture" biblique : celui de la société sécularisée dans laquelle nous vivons. Le thème y a été beaucoup abordé ces dernières semaines dans les médias. Avant même la récente législation des Pays-Bas, "Le Monde des Livres" avait rendu compte en janvier dernier de l'excellent livre de Catherine LEGUAY "Mourir dans la Dignité" (Ed. R. Laffont), livre qui constitue l'exposé de faits sociaux, dépassionné par rapport aux excès soulevés parfois par le terme "euthanasie" dont on oublie trop facilement le sens "accorder une mort douce".

Il est un fait dans notre société, trop souvent occulté : le nombre important de suicides de personnes âgées, qui ne sont pas encore grabataires, ni même trop fortement diminuées physiquement et psychiquement, et qui choisissent, comme les stoïciens d'autrefois, de "tirer leur révérence" dignement quand elles estiment en conscience que le bilan devient trop négatif entre ce en quoi elles peuvent encore peut-être un peu être utiles, et ce en quoi elles sont manifestement de plus en plus une lourde charge, matérielle et affective, pour leurs proches, la société... et ... elles-mêmes.

Là encore, qui n'a pas connu dans son propre entourage et, pour nous pasteurs, dans notre ministère ? (Quant à moi, c'était il y a bien des années, et je mesure maintenant combien, étant jeune alors, j'étais loin de comprendre ce qui se passait).

Du point de vue social - et par conséquent je pense qu'il faut dire, au bon sens du terme, politique - ce que je souhaite donc et réclame c'est selon les fondements même de notre démocratie républicaine :

LIBERTÉ... qui doit pouvoir être celle de tous les êtres humains" qui naissent libres et égaux en droits"... de "décider en conscience des modalités et du moment de leur mort"... les moins dommageables pour eux et pour leur entourage.

EGALITÉ... On sait que certains ont trouvé la liberté d'exercer ce choix, et le choix des moyens pour une mort digne et douce. Catherine Laguay dans son livre donne des exemples de gens connus, qui ont eu le privilège d'avoir parmi leurs proches médecin ou pharmacien fraternellement et humainement compréhensifs et ayant la possibilité" d'en dégager et d'en fournir les moyens adéquats. Où est l'égalité pour ceux qui n'ont d'autres ressources que les moyens , sauvages" et brutaux à leur portée ? - pendaison, noyade défenestration , s'ouvrir les veines, armes à feu, sac de plastique (Bruno Bettesleim, Bernard Buffet) plantes vénéneuses, accident volontaire, etc... avant leur cortège de souffrances inconnaissables, pour eux et leur proches.

FRATERNITÉ ... Il est brutal de dire que c'est un des plus grands déficits de notre société (sans parler parfois des Églises ... ). La législation actuelle qualifie de crise (passible des assises) l’assistance au suicide" alors que les exemples cités par Catherine Leguay montrent qu'il s'agit de compassion fraternelle (ou filiale, ou dans le couple ... ) Dans notre État, dit laïc, les Eglises, ou toute association "dans le cadre de la loi" sont libres de prêcher et enseigner à leurs adhérents telles doctrines ou prescriptions orales, et d'établir les moyens qu'elles jugent disciplinairement utiles pour les faire respecter par ces adhérents, mais aucune n'est en droit d'imposer ses propres positions à l'ensemble des citoyens et habitants du pays . Cela s'est vu et se voit encore, et pas seulement de la part du catholicisme. Maintenir cette façon de vouloir imposer en toutes choses sa morale à l'ensemble de la société ce serait justifier tous les extrémistes, dont les islamistes...

Jean-Louis Richard

Evangile et Liberté – n° l45


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