L'étranger est celui qui met en question ma manière
de vivre et de penser, ou qui du moins les relativise, qui me déstabilise
dans mes certitudes culturelles et dans mes valeurs quotidiennes,
celui qui dit ce qu'il ne faut pas dire, qui met ses pas là
où il ne faut pas marcher, dont le comportement étonne,
dérange ou fait rire.
C'est notre rôle à nous chrétiens d'être
des étrangers, de fragiliser, de décaler, de déstabiliser
les valeurs de ce monde. Et peut-être l'humour est-il une
de nos armes ?
Car si on se plonge dans l'Évangile, si on y plonge son
esprit, sa raison, son coeur, sa vie, on ne peut éviter de
prendre ses distances par rapport à ce monde pour le comprendre
d'une autre façon que celle dont il se comprend lui-même,
à partir d'une Parole qui lui est extérieure et qui
le met radicalement en question.
Jésus est cet étranger inintégrable, qui
finit sa vie rejeté par tous, vaincu, humilié, ridicule.
Le Dieu dont il parle, dont il nous montre le visage, est et doit
rester l'inconnu, l'étranger, qui fait de nous des étrangers,
citoyens d'un monde parallèle "aux frontières
du réel" ou de ce que chaque homme croît être
le réel et qui est le regard d'une culture sur des personnes,
des objets et des évènements dont la vérité
profonde nous échappe ("la vérité est
ailleurs").
Et parce que notre rôle de chrétien est d'être
des étrangers, nous ne pouvons qu'être proches de tous
les étrangers, ceux qui viennent d'un autre pays, ceux qui
ont une autre couleur, une autre religion, d'autres moeurs, d'autres
références culturelles, mais aussi ceux qui sont étrangers
parce que "pas dans la norme", ceux que notre société
a isolés ou marginalisés dans des ghettos (prisons,
hôpitaux, maisons de retraite, asiles, internats, etc...),
et également ceux qui sont décalés par rapport
à une image sociale de référence plus rigide
et bornée qu'il ne paraît, par exemple les mous, les
gros, les laids, les lents, tout simplement différents, quelle
que soit leur différence.
Parce que notre rôle à nous est d'être différents,
tous les différents sont nos proches, nos frères et
nos soeurs.
Je pense pour ma part que notre christianisme est encore le meilleur
(ou le pire) facteur d'étrangeté et d'inadaptation
aux valeurs principales de ce monde, celles qui restent les plus
naturelles et fondamentales, celles du droit du plus fort, du plus
riche, du plus malin, celles des rejets de ce qui n'est pas conforme
aux normes de la masse.
Si on a la folie de suivre -ou d'essayer- le chemin tracé
par le Christ, dont le critère unique est l'amour, on ne
peut être qu'"étranger et voyageur sur terre..."