Il marrive de me demander
si le vieillissement de mes neurones ne subit une accélération
rare, dont je peux dire quelle est, pour reprendre la formule
liturgique en vigueur, entièrement indépendante de ma
volonté.
Foncièrement, je le confesse ici, je ne comprends rien au
texte du Symbole des apôtres. Je ne vois pas ce quil peut
dire dimportant. Je nentrevois pas même ce quil
pourrait avoir de significatif pour lexpression de la foi chrétienne.
Pire, je ne ne parviens pas à y trouver le moindre élément
symbolique ; et je demeure, malgré tous mes efforts, incapable
dimaginer de quels apôtres il a pu être le symbole.
Cela dit, je le confesse également, je naurais pas
risqué le bûcher pour une chose aussi secondaire.
Je laurais publiquement prononcée, avec la ferveur que
je revendique, lorsque dans lassistance je me dois de chanter
quelque cantique sanguinolent et larmoyant du Louange et Prière
. Je pourrais même, le cas échéant, le prononcer
avec la conviction de faire plaisir à tel ou tel, de la même
façon que je peux dire le Notre Père, moi qui pourtant
ne crois pas que Dieu se trouve au ciel, qui ne crois pas que je sais
pardonner à ceux qui mont offensé, qui ne crois
pas que Dieu puisse nous soumettre à la tentation
Ce
serait cependant une prouesse plus grande : dire le Notre Père
nest pas exprimer comment je perçois Dieu ; cest
plutôt lui parler. Tandis que dire le Symbole des apôtres
vise à définir la foi. Or, le Dieu dont il y est question
ne ressemble en rien à celui que jai croisé sur
ma route. Il ne sapproche pas non plus de celui que je découvre
en lisant lévangile.
Malgré tout, je laffirme, je pourrais déclamer
le Symbole des apôtres, si cela faisait plaisir à tel
ou tel, ou encore sous la contrainte, comme tant de générations
lont fait, car je sais que le Dieu auquel je madresse
pardonne limperfection de ce que nous disons de lui.
Mais tout, dans ce Symbole dit des apôtres, reste pour moi
profondément problématique. Tout dabord, de quels
apôtres sagit-il? Des Douze, même si parmi eux daucuns
ne furent guère recommandables ? Mais alors, que ne lont-ils
signé eux-mêmes ? Cela nous aurait tant simplifié
la tâche
Nous naurions pas à nous demander
si cette expression de la foi leur est fidèle, peu ou prou,
ou si elle est un cinglant démenti apporté à
leur témoignage. Nous naurions pas à nous interroger
sur ce que peut penser le Christ lui-même, en entendant les
foules - raréfiées il est vrai marmonner en son
nom des choses aussi étranges. Car telle est bien la question
que je me pose : en quoi réciter de telles formules correspond-il
au désir du Christ lui-même ?
Plus simplement, quen auraient dit ses disciples ? Et combien
eussent-ils été à le signer, si daventure
le texte leur eût été soumis? Cest à
mes yeux une évidence : aucun des évangélistes
na développé une telle compréhension de
la venue de Christ. Certes, ce symbole est fondé sur des éléments
prélevés ça et là. On peut dire que tous
ces éléments sont vrais : il est né, il a souffert,
il est mort. Cela ne constitue pas un parcours rarissime. Je nattache
pas une importance décisive à la descente aux enfers.
Reste laffirmation de la résurrection, mais comprise
comme le prélude au jugement, cest-à-dire comme
linverse de la bonne nouvelle que lon trouve, par exemple,
chez Jean. Les évangiles sont inutiles si ce texte résume
la foi chrétienne : dans le Symbole des apôtres, rien
nest dit de la vie de Jésus, pas un mot naborde
son enseignement, un silence absolu règne sur ses actes ou
ses signes. Le symbole des apôtres ne résume pas lévangile.
Il en est la négation la plus radicale, car il le passe sous
silence, sous prétexte dêtre le résumé
de la foi.
Serait-ce alors le symbole de Paul ? Nous le savons, lapôtre
aborde peu la vie et lenseignement du Maître de lévangile.
Le parcours de Jésus de Nazareth ne linquiète
guère. Sa venue, sa mort et sa résurrection lui suffisent.
Mais luvre de Paul fut ainsi à lorigine de
multiples contresens. Lapôtre proclame la Résurrection,
comme signe dune existence nouvelle à laquelle chacun
est appelé. Il y va pour lui de la vocation nouvelle de lhumain.
Ôtez des épîtres de Paul la fondation par Christ
des prémisses dune résurrection collective, vous
ruinez la signification pour lui de lévangile. Or, telle
est bien la ligne suivie par les tenants du Symbole des apôtres.
La Résurrection du Christ ny change rien à la
destinée et à la vocation humaine ; elle nest
que linstitution dun nouveau Juge. Le jugement à
la fin des temps nest pas cette transformation déjà
possible de lhumain. Le Symbole des Apôtres nexprime
pas la Bonne nouvelle quannonce Paul.
Voilà bien, diront certains, luvre destructrice
de ces satanés libéraux. Ils vous feraient perdre la
foi, avec leur manie de tout remettre en cause ! Que reste-t-il de
la foi chrétienne, une fois écartés les textes
fondateurs du christianisme ? Que reste-t-il de tant de siècles
de chrétienté ?
Rien, ou si peu de choses
La conviction que lenseignement
du Maître de lévangile reste lun des piliers
de tout itinéraire de foi. La certitude que la Résurrection
du Christ nous ouvre les portes dune irréductible espérance.
Lassurance de cette parole de lévangile de Jean
: Dieu na pas envoyé son Fils dans le monde pour
quil juge le monde, mais pour que le monde, par lui, soit sauvé
.
Si ce nest pas en de telles paroles que réside le cur
de lévangile, alors les partisans du Symbole des apôtres
peuvent avoir vu juste. Mais si nous tenons que la Résurrection
de Christ na de sens, au-delà des formulations maladroites,
quà annoncer la promesse dune existence nouvelle,
alors le Symbole des apôtres a manqué lessentiel.
Dans sa volonté de dire le vrai sur ce qui se dérobe
à tout savoir, litinéraire de foi lui aura échappé.
Lhumain ny a de rôle quà entrer dans
la répétition de vieilles formules, dans lattente
dun jugement qui lui procurera, peut-être, la résurrection
de la chair . Or, je tiens que la bonne nouvelle (lévangile)
brise à la fois la nécessité de la répétition
et la triste espérance de cette fin annonciatrice de rétribution
et de condamnation. Lévénement Christ ouvre la
brèche dun tout autre horizon. Luvre de lEsprit
annonce linédit de ce quaucune formule ne pourra
contenir. Linattendu de Dieu lui-même offre des perspectives
quaucune expression humaine ne pourra davance délimiter.
Que lenseignement du Maître de lévangile
apporte ce quune vie humaine ne suffirait à méditer
; que la Résurrection amorce un mouvement que les hommes ne
parviendront jamais à décrire et quil nous reviendra
toujours dexplorer ; que Dieu lui-même reste limprévisible
qui toujours fera toutes choses nouvelles voilà ce que
le Symbole des apôtres naura pas réussi à
dire. Voilà, pour moi, lessentiel de la foi chrétienne.
Pierre-Yves
Ruff