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Réciter le “credo”? – je préfère me taire

“Pour confesser la foi de l’Église universelle, nous dirons ensemble le Symbole des Apôtres.”

Jamais dans mon enfance ni au catéchisme je n’avais entendu parler de ce texte. Il n’apparaissait jamais, si je m’en souviens bien, dans la liturgie de la paroisse sur le territoire de laquelle nous habitions. Mais plus le temps passe et plus je découvre combien ce texte tend à redevenir habituel, d’une habitude quasi obligatoire, dans de nombreuses paroisses réformées de France et de Suisse romande. En général, les conseillers presbytéraux n’y sont pour rien: leur avis n’a même pas été sollicité. Les pasteurs imposent d’autorité la lecture ou la récitation de ce texte au cours du culte, voire de chaque culte.

Quand c’est le cas, je préfère fermer mon recueil de cantiques et me taire, discrètement.

Devrais-je le faire plus ostensiblement, par solidarité avec celles et ceux qui partagent mes réticences? D’abord je ne vois pas la nécessité d’inclure quelque confession de foi que ce soit dans un culte; le fait de participer à un culte est déjà par lui-même une manière de confesser sa foi, mais sans prétendre la figer dans une formule trop brève pour n’être pas contestable. Ensuite je proteste silencieusement contre l’obligation qu’on me fait de souscrire implicitement à une confession dans laquelle je ne me reconnais pas nécessairement (les autres “confessions” qu’on substitue parfois au Symbole dit des Apôtres sont souvent tout aussi sujettes à caution que lui). Enfin le culte est par excellence un lieu où doit prévaloir l’honnêteté: celle de l’intelligence comme celle du coeur; je refuse de considérer ce texte-là comme évangélique quand il l’est si insuffisamment, et surtout comme “apostolique” et “universel” alors qu’il ne l’est pas du tout.

Évangélique, il ne l’est que très peu. Il attire l’attention sur quelques aspects secondaires et mythologisants de la foi chrétienne (la vierge Marie, la descente aux enfers, l’universalité de l’Église), mais passe sous silence les pages les plus importantes du Nouveau Testament (l’amour du prochain, le pardon, la réconciliation, le Royaume de Dieu et son attente, tout ce qui a trait à l’enseignement et à l’action de Jésus). Le Notre Père ou les Béatitudes en disent beaucoup plus, et de manière plus marquante que lui.

Apostolique, il ne l’est pas du tout. Ce texte est apparu vers le quatrième siècle de notre ère, vraisemblablement à Rome, en partie pour combattre des “hérésies” dont les apôtres, de leur vivant, n’auraient même pas eu l’idée. Il n’aurait pas eu force de loi dans l’Église occidentale si Charlemagne n’en avait imposé l’emploi sur toutes les terres de son empire, par souci d’unité politique autant que religieuse. Le libellé de ce texte reste d’ailleurs étroitement tributaire de la mentalité, des préoccupations et des circonstances qui ont présidé à sa rédaction.

Universel, il ne l’est pas non plus. Les Églises de tradition orientale ne l’utilisent jamais; elles lui préfèrent le symbole de Nicée-Constantinople, plus théologique, plus complexe et plus nuancé que celui de Rome – mais dans un libellé qui le rend incompréhensible pour la plupart des fidèles. Les formulations apparemment plus simples du symbole occidental ne suffisent toutefois pas à élargir son audience ni à garantir sa crédibilité. Plusieurs Églises de la mouvance protestante en ont abandonné l’usage, généralement dans le courant du XIXe siècle, et ne semblent pas près de le reprendre. Dernier démenti à sa prétendue universalité: les nombreux chrétiens, fidèles de nos Églises, qui sont plus ou moins sourdement conscients de tout ce qui le rend contestable et qui ne peuvent y reconnaître une expression adéquate de la foi à laquelle ils souscrivent. À quoi s’ajoute le fait que la version figurant dans bien des recueils de cantiques a parfois été modifiée sans crier gare (elle parle par exemple de résurrection “des morts” là où le texte original dit “de la chair”).

À la fin du siècle dernier et au début de notre siècle a eu lieu tout un débat, parfois très dur, à propos de ce symbole pseudo-apostolique: les pasteurs étaient-ils tenus de le prononcer en chaire? Quelques courageux n’hésitèrent pas à s’y refuser – avec raison: comment imposer dans une Église protestante, qui est par définition une Église de libres croyants, la lecture d’un texte peut-être vénérable, mais aussi contestable dans sa forme et dans son contenu? C’était une question de conscience. Les autorités de plusieurs Églises protestantes de la francophonie eurent à l’époque la sagesse de considérer que l’usage de ce texte, comme celui d’autres confessions de foi, était à bien plaire. Ce faisant, elles reconnaissaient son caractère somme toute très secondaire et, se refusant à en interdire l’emploi, évitaient de blesser la conscience des pasteurs ou des chrétiens qui tenaient malgré tout à le reprendre à leur compte.

À ma connaissance, aucun des synodes ou conseils ecclésiastiques qui firent alors preuve de cette sagesse-là n’est revenu sur cette décision de principe, qui était la conséquence logique et nécessaire de l’abandon du caractère obligatoire de toute confession de foi. Elle n’interdit pas aux pasteurs qui le souhaitent, probablement parce qu’ils sont mal informés de l’histoire du symbole pseudo-apostolique et des problèmes qu’il pose, de réintroduire parfois ce texte dans le déroulement du culte. Ils satisfont ainsi les fidèles qui tiennent malgré tout à lui et ont le droit de n’en être pas complètement privés.

Mais de grâce, qu’ils ne nous l’imposent pas avec la régularité qui semble être devenue de mise dans certaines paroisses. Et si nos autorités ecclésiastiques veulent respecter la liberté doctrinale qui caractérise nos Églises réformées actuelles, elles devraient aussi éviter que ce texte-là, si peu apostolique et si mal universel, ne réapparaisse lors de cultes engageant ces Églises dans leur entier, par exemple lors de cultes à caractère synodal.

Bernard Reymond

 

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