Comment terminer l'histoire de
la bonne nouvelle par la mort du héros en pleine force de l'âge
? Telle fut une des grandes questions de la première communauté
chrétienne. Et chaque évangéliste fait état
de ces légendes d'apparition qui disent, chacune à leur
manière, que la mort n'a pas le dernier mot. Luc, dans cet
épisode d'Emmaüs, ne déroge pas à la tradition
mais fait uvre d'originalité car il a probablement composé
lui-même une bonne partie du récit.
Il y a dans cette belle histoire un permanent quiproquo. Lorsque
Jésus apparaît aux disciples, ceux-ci ne le reconnaissent
pas et, lorsqu'ils le reconnaissent, Jésus disparaît.
Le ressuscité est donc une sorte de compagnon de route irréel
que l'on ne peut voir et connaître en même temps. Il est
absent lorsqu'il est présent et présent lorsqu'il est
absent. Il ne peut se faire connaître que dans le regret de
ne pas l'avoir reconnu. C'est ainsi que Luc exprime le paradoxe de
cet homme qui est mort mais toujours présent et beaucoup plus
présent depuis qu'il est mort.
Et voilà que les disciples, interrogés sur la route
par Jésus, se perdent dans cette histoire de tombeau, de femmes
qui n'ont pas vu le corps et puis d'autres compagnons qui sont allés
au tombeau et n'ont pas vu Jésus, comme les disciples en ce
moment, sur la route d'Emmaüs, ne voient pas Jésus qui
marche avec eux.
" Esprits sans intelligence, curs lents à croire
tout ce qu'ont déclaré les prophètes
",
interrompt Jésus, arrêtez avec vos histoires de corps
qu'on a vu ou qu'on n'a pas vu, je vais vous expliquer les Ecritures.
Le problème de la résurrection ne consiste pas à
savoir si le tombeau est vide, mais à avoir un cur et
une intelligence pour comprendre cette histoire écrite de Dieu
qui réclame, par Moïse et par les prophètes, qu'on
fasse ce qui est bien à Ses yeux et que l'on pratique la justice.
Par exemple, que l'on s'occupe de la veuve, de l'orphelin, de l'étranger
et du pauvre.
Ce n'est qu'après avoir rappelé cette lutte de Dieu
et fait le geste habituel de rupture du pain que Jésus est
reconnu. Mais aussitôt, il disparaît : le ressuscité
n'est pas celui qui a quitté le tombeau, mais c'est le disparu
qui a expliqué les Ecritures et partagé le pain (le
disparu de Pâques, comme dit Louis Simon à propos de
son récent livre " Mon Jésus ").
Alors les disciples se lèvent. Mais le verbe en grec, traduit
par "se lever" est le même que celui traduit ailleurs
par "ressusciter". La résurrection est donc contagieuse,
communicative. Lui ressuscite d'expliquer les Ecritures ; eux ressuscitent
d'avoir entendu les Ecritures. La résurrection est le partage
du pain, de la bénédiction et de cette longue route
faite ensemble, pendant laquelle on cherche à comprendre, avec
le cur et l'intelligence, la vieille sagesse d'Israël.
Elle se passe donc dans notre tête et pas dans une histoire
de corps que l'on n'aurait plus vu.
D'ailleurs, les ressuscités d'Emmaüs ne voient le ressuscité
que lorsqu'ils ne le voient plus. Parce que la résurrection,
pour reprendre le verset 32, c'est quand les curs brûlent
de se faire ouvrir les Ecritures.
Henri
Persoz