Oui au diable et au Dieu bon
Il faut de tout sur terre. Il faut des esprits évolués
et modernes. Il faut aussi des esprits primaires et archaïques.
De ce nombre-là, je suis. Je crois au diable et je crois à
Dieu.
Certes, je nai pas besoin de me les représenter. Pour
moi, Dieu nest pas un noble vieillard barbu qui siège
sur quelque nuage. Le diable nest pas davantage un personnage
cornu, armé dune fourche, qui règne sur les flammes
éternelles de la perdition.
Pour moi, Dieu est le principe du bien et de lamour. LEnnemi,
comme lappelle Jésus, est le principe du mal et de la
haine.
Voilà la dualité simple - et non simpliste, je lespère
- à laquelle je crois.
Donc, je crois quil existe une puissance supérieure
que jappelle Dieu et que dautres appelleront le Bien,
la Pureté, lAbsolu, ou de quelque autre vocable, mais
toujours avec une majuscule indicatrice dune transcendance ou
dun autre plan de lêtre.
Je crois aussi à une puissance négative, opposée
à la première. Elle divise (le diabolos), détruit,
isole et conduit au néant.
Bien entendu, je ne dispose daucun moyen totalement objectif
pour justifier de leur existence à lune et à lautre.
Toutefois, si je suis dans lincapacité à apporter
une preuve de leur présence et de leur action, je puis cependant
dire sur quoi se fonde ma conviction. Mes justificatifs se situent
sur deux plans : celui de la pensée théologique et celui
de lintuition.
Dieu, le diable, le Bien, le Mal et la théologie
Que savons-nous sur Dieu ? Que pouvons-nous avancer de certain à
son sujet ? Lui seul parle bien de lui.
Pourtant, comme le dit lEcclésiaste, nous avons en
nous la pensée de léternité. Penser au
sens de la vie, quelque nom que nous donnions à cette démarche,
est au cur de notre vocation dhomme. Ainsi, Wilfred Monod
consacre trois volumes de mille pages chacun au problème du
Bien. Le sous-titre du livre est éclairant : Essai de théodicée,
ou tentative pour parler de Dieu.
A la lecture, on est surpris, car cet ouvrage consacre bien plus
de place au principe et au problème du Mal quà
celui du Bien ou de Dieu.
Comme Wilfred Monod, je pense que présentement, il est impossible
de parler de Dieu ou du bien en taisant le problème du Mal
ou de lEnnemi.
La théologie chrétienne officielle déclare
que Dieu a créé le monde où nous sommes et ce
monde nest quexcellence. Cest lhomme, il est
vrai, tenté par un mystérieux personnage, qui est la
cause de tous les malheurs que nous connaissons. Augustin dHippone
déclare que lénorme faute du premier homme
bouleversa la nature qui produisit des ronces et des épines.
Pour moi, cette explication des choses abîme trop limage
de lhomme donc aussi, malgré les apparences, celle de
Dieu pour que jy souscrive. Elle va aussi contre le sens commun.
Cest pourquoi je me trouve bien mieux au bénéfice
de la mouvance dualiste.
Trois assertions religieuses savèrent incompatibles
:
- - Dieu est amour
- - Dieu est tout-puissant
- - Le mal existe
Ces assertions, nous pouvons les coupler deux à deux. Mais
les trois ne peuvent pas sassortir. Heinrich, dans le Diable
et le bon Dieu de Sartre, formule le syllogisme caustique : Rien
narrive sans la permission de Dieu. Dieu est la bonté
même. Donc, ce qui arrive est le meilleur.
Nous sommes obligés de récuser lune des trois
assertions ci-dessus évoquées. Pour moi, cest
la toute-puissance de Dieu qui est de trop, même si je crois
Dieu toute-puissance de persuasion et damour.
Comme mes amis dualistes, je crois que, présentement, deux
influences rivales sopposent dans le monde. Comme eux, je crois
que la fin des temps scellera la victoire de Dieu (la plupart des
cathares croyaient en un salut universel).
Contrairement à ces mêmes cathares, je ne crois pas
que ce monde-ci soit mauvais et luvre de lEnnemi
: je suis agnostique quant aux origines et je crois que le monde actuel
relève de la nature et de ses lois, pour lesquelles les notions
éthiques du bien et du mal ne sont pas appropriées.
Je rappelle encore que, pour les gnostiques chrétiens, les
lois qui régissent ce monde ne reflètent pas laction
dun Dieu bon, puisque, biologiquement, on ny vit que de
la mort des autres et que la loi de la nature contredit celle de lEvangile
en privilégiant les forts par rapport aux faibles et les espèces
par rapport aux individus.
Lintuition du Bien et du Mal, de Dieu et de lEnnemi
Daucuns diront : que vient faire lintuition dans cette
réflexion ? Je leur répondrai que, selon son propre
dire, dans toute son activité scientifique, ce qui a été
le plus utile à Einstein pour ses découvertes, ce fut
lintuition. De surcroît, où se situe la frontière
entre la foi et lintuition ? Ne sont-elles pas toutes deux cousines
germaines ?
Le vrai nest pas seulement ce qui relève de la déduction
logique.La vie, la mort, la souffrance, les sympathies et les antipathies,
lamitié, la confiance relèvent dautres critères
que ceux que la seule raison. Le cur na-t-il pas ses raisons
que la raison ne connaît pas ?
Donc, je crois à limportance et au rôle de la
conscience, cette voix intérieure qui nous incite à
reconnaître et à distinguer des valeurs opposées.
Je crois aussi quentre nous, humains, des ondes ou des énergies
transitent.Il nest pas nécessaire de croire à
la magie blanche ou noire pour transmettre du bien ou du mal, même
à distance, même à linsu de celui auquel
nous pensons.
Je crois également que lamour authentique, celui qui
reconnaît et respecte la liberté de lautre autant
quil lentoure de sollicitude, est toujours une forme dexorcisme.Je
veux dire par là quaimer, cest toujours libérer,
créer des espaces de lumière, aider à lutter
contre les forces de la nuit.
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Oui à Dieu. Oui au diable. Ainsi en est-il aujourdhui.
Hier, je ne sais pas et peu importe. Demain, comme tous les croyants,
je crois que tout ne sera que lumière.
Pierre-Jean
Ruff