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Une apocalypse est-elle croyable ?

Jean Blanchet

Une apocalypse c'est, selon le grec, une révélation.

Or, pour qu'il y ait "révélation" il faut qu'un sujet révèle des choses qu'il connaît à des interlocuteurs qui les ignorent.Dans la Bible, on rencontre souvent cette notion et elle évoque, parfois implicitement d'ailleurs, un sujet mystérieux, immatériel, qu'elle nomme dieu ou esprit (parfois au pluriel).

Les apocalypses bibliques, qui sont un genre particulier de prophéties, ont été généralement écrites pour réconforter les croyants, en des périodes où ils connaissent épreuves ou persécussions.Elles développent les thèmes de délivrance et de gloire future, en utilisant des formules mythiques, souvent empruntés à diverses traditions religieuses, même étrangères à Israël.

Dans quelle mesure les apocalypses sont-elles croyables ?

La raison ne peut se prononcer sur la réalité exprimée par les notions de dieu, ou d'esprit. Pas plus que sur celle de révélation.Elles ne sont pas démontrables.On peut seulement les penser à l'origine de certains effets, mais la raison n'a aucun argument solide pour affirmer ou nier leur réalité, qui est, par conséquent, croyable.Par contre, le contenu d'une révélation, qui fait le plus souvent référence à des mythes, et ce qu'elle évoque, peuvent et doivent être critiqués par la raison. Certaines révélations nous paraissent alors incroyables.

Rappelons la définition du mythe.Le Littré nous dit : "Récit relatif à des temps ou à des faits que l'histoire n'éclaire pas et contenant, soit un fait réel transformé en notion religieuse, soit l'invention d'un fait à l'aide d'une idée".

Il n'est pas exclu qu'une apocalypse évoque des choses croyables pour nous, aujourd'hui, en fonction de notre culture, que l'écrivain ou ses contemporains n'auraient pas même imaginées. En effet, s'il y a "révélation de Dieu" elle véhicule nécessairement un sens, lequel doit être découvert et précisé à chaque époque. il faut sans cesse réinterpréter. Ce n'est pas toujours facile et la raison devra se méfier des à priori que véhicule toute culture, la nôtre autant que les anciennes et qui peuvent fausser une tentative nouvelle d'interprétation.

Lorsqu'elle critique les apocalypses, comme d'ailleurs tout récit comportant des thèmes mythiques, la raison utilise parfois des arguments pseudo-scientifiques, en essayant de justifier ses propres à priori. Nous essayerons d'éviter ce travers.

Marc, dans son chapitre 13, nous propose une apocalypse.

Parmi de nombreuses hypothèses, aucune ne s'impose, concernant la date de rédaction de ce texte, ni par conséquent les événements historiques qui peuvent l'avoir motivée.

Mais puisque Matthieu (24) et Luc (21) ont repris des récits semblables, c'est que l'espérance de la venue prochaine du messie était encore très vive au cours de la deuxième et de la troisième génération chrétienne, comme en témoigne encore quelques compléments dans les chapitres 10, 13 et 25 de Matthieu, 17 et 19 de Luc. De plus, le parallélisme de nos trois apocalypses suggère qu'un entretien avec Jésus sur ce sujet, à la sortie du temple, avait beaucoup frappé certains auditeurs.

Qu'est-ce donc qui va finir ?

Seul Matthieu le précise, en rapportant la question des disciples, qui pensent à la fin de l'ère présente (24.3). On traduit souvent la fin du monde. Mais si c'était la pensée des Evangélistes, comme Marc le laisse entendre (13.31), ce ne peut être la nôtre aujourd'hui. Le monde ne peut pas soudain disparaître.

Les Evangélistes le pensaient-ils vraiment ?Dans Luc, l'ange Gabriel annonce à Marie que le règne de son fils n'aura pas de fin.Un tel règne n'était concevable que s'exerçant sur des humains. La fin de toute vie humaine était donc à exclure. Imaginait-on que la création, sauf la race humaine, allait disparaître ?Non, pour qu'il y ait vie, il faut qu'elle ait un lieu. Il ne pouvait s'agir pour nos Evangélistes de la fin du monde, qui impliquait autant la disparition du ciel que celle de la terre, les deux faces de la création. D'ailleurs, le règne du Christ a, lui aussi, besoin d'un lieu pour advenir : un ciel ou une terre ! Ou bien pensaient-ils, comme l'Apocalypse le dira quelques décennies plus tard, que de nouveaux cieux et une nouvelle terre remplaceraient la création actuelle ?

Aujourd'hui, personne n'imaginerait que le système solaire soit remplacé par un autre, qu'une nouvelle planète puisse apparaître ou encore qu'une planète, d'un autre soleil, et qui serait habitable, serait choisie pour que tous les humains y soient soudain transportés !

Dans sa réponse aux disciples, Jésus évoque aussi une fin, mais sans préciser laquelle. Matthieu, lui seul (24.3), par la formule qu'il attribue aux disciples : "suvteleia tou aionos", (formule qu'il avait déjà mise dans la bouche de Jésus, en 13.39) laisse entendre qu'il s'agit de l'achèvement de l'ère présente, comme traduit Daniel LYS (1), ce qui est tout à fait croyable aujourd'hui. En effet, de même que l'apparition de l'homme, à la fin du quaternaire, a été la cause d'un renouvellement complet de la face de la terre ; de même on peut concevoir que les décennies ou les siècles prochains connaissent une transformation de notre biosphère suffisamment importante pour qu'on parle d'une ère nouvelle.

L'extraordinaire et rapide développement des techniques, en particulier dans le domaine des communications, et la prodigieuse accélération de l'histoire que nous connaissons, poussent plusieurs de nos futurologues à l'envisager.

Quand et comment cela finira-t-il ?

Dans nos textes, Jésus ne le dit pas.Mais il prévient ses disciples, les met en garde, puis les rassure, les encourage et les exhorte à veiller, parce qu'il annonce la venue du Fils de l'Homme, comme imminente.

Auparavant, de faux Christs, de faux prophètes égareront bien des gens, il y aura des persécutions, des catastrophes naturelles, et d'autres signes que les lecteurs initiés devraient comprendre, puis le Fils de l'Homme viendra. (Remarquons que Matthieu (en 24.3, puis 22 et 37) ne fait pas de distinction entre Jésus, le Messie et le Fils de l'Homme).Il viendra sur les nuées du ciel (Mt 24.30), dans des nuées (Mc 13.26), ou dans une nuée (Lc 21.27).

Le prophète Daniel, auquel Marc fait allusion, avait eu, lui aussi, la vision d'un fils d'homme, venant avec les nuées du ciel - sans préciser s'il descendait ou s'il montait pour se présenter devant l'Ancien des Jours et pour recevoir une royauté qui ne passera pas (Dn 7.13-14).

L'Apocalypse, de son côté, fait état de plusieurs visions différentes. Jean raconte qu'étant dans l'île de Patmos, donc sur la terre, il voit derrière lui comme un fils d'homme (1.10), puis dans le ciel, où il a été invité à monter, un agneau qui se trouve au milieu d'un trône (5.6).Ensuite il voit cet agneau debout sur la montagne de Sion (14.1), mais il ne semble pas l'avoir vu venir. A la fin du livre, le Messie symbolisé par un cheval blanc apparaissant dans le ciel, est victorieux à la suite de terribles combats qui semblent se passer sur la terre et où participent les armées du ciel.

Le Symbole des Apôtres proclame que le Christ ressuscité viendra du ciel, où, pour le moment, il siège à la droite de Dieu.

Quand et comment viendra ce Messie, ce Fils de l'Homme ce Christ ressuscité ?A ces questions, aucune réponse précise ne nous est proposée. Au contraire.Il semble que le secret soit nécessaire puisque personne ne sait quand il doit venir (Marc 13.32).

Nous n'avons aucune raison valable pour nier la réalité d'une dimension "spirituelle" de la création, ces "choses invisibles" dont parle le Symbole de Nicée, ni le fait qu'elles puissent se manifester dans le monde visible, voire l'influencer.De nombreux phénomènes observés obligent à garder cette hypothèse et, sur le plan scientifique, quelques savants de haut niveau parlent aujourd'hui d'"attracteurs étranges" ou de "potentiel organisateur" de la matière.

Mais nous ne pouvons pas nous représenter ce que veut dire concrètement "venir du ciel", ou "sur les nuées", bien que la télévision y incite nos enfants !

Aujourd'hui, on pressent que bien des choses vont changer dans la marche du monde. l'histoire contemporaine nous a présenté bien des "signes" semblables à ceux dont parlent nos textes.Mais nous ne sommes pas beaucoup plus avancés, puisque nous ne savons pas de quoi sera faite l'ère prochaine, sauf que le monde entier pourrait connaître un renouvellement profond. Qui, bien sûr, ne serait pas instantané, cela est inconcevable.D'ailleurs, on passe toujours d'une ère à la suivante par un recouvrement semblable à l'aurore, où le jour remplace peu à peu la nuit.Le Christ ressuscité y jouerait-il un rôle ?Et Israël, qui reste le peuple "élu" ? Ce n'est pas "incroyable" ! Méfions-nous pourtant de notre imagination.

La venue du Fils de l'Homme en gloire (Matthieu 24.30-32, Marc 13.26-27, Luc 21.27).

A ce sujet, l'imaginaire moderne rejoint souvent celui de nos Evangélistes ou de Saint Paul. Certaines personnes n'ont pas résisté à la tentation de se présenter les choses avec des images virtuelles, dont nos films télévisés sont si friands. Mais, à l'inverse, qui pourrait affirmer et démontrer que, parce qu'on ne peut pas raisonnablement le décrire, l'événement ne se produira pas ? Personne n'avait prévu ni imaginé la naissance d'un enfant à Bethléhem.Et s'il est question ici d'une venue, qui semble exclure une naissance, cela ne change rien à l'affaire.

L'accompagnement du Fils de l'Homme par des messagers et surtout le rôle de ces derniers, c'est-à-dire le rassemblement des élus, s'ils nous éloignent souvent du "croyable possible", c'est quant à la forme, d'ailleurs bien imprécise, sous laquelle ils nous sont présentés.

Par contre, quant au fond, on peut tenter une apocalypse croyable. Mais il faut d'abord, sans trahir les textes, abandonner le vieux mythe du jugement dernier suivi du séjour paradisiaque des élus, opposé à l'horrible fournaise réservée aux damnés, que véhiculent, comme une évidence, la plupart des versions et certaines études faites sur le sujet.Un jugement dernier qui n'est qu'un tri provisoire.(Matthieu 25.31-46).

Comment ne pas rapprocher de nos apocalypses la fin du chapitre 25 de Matthieu, qui évoque justement la venue du Fils de l'Homme, dans sa gloire, accompagné de ses anges ?

Or, dans ce texte, il n'est pas question d'un jugement, ce qui exigerait un verdict particulier pour chacun, mais d'un simple tri : d'un côté ceux qui ont manifesté leur capacité à aimer comme le Christ, de l'autre ceux qui s'en sont montrés incapables. Ce tri n'est pas non plus dernier puisqu'il sera suivi d'une période caractérisée par le règne dont vont hériter les élus (v.34).

Un châtiment éternel qui pourrait avoir un sens bien différent.

On traduit habituellement, dans Matthieu 25.46, "eiz kolasin aiwnion" par "un châtiment éternel".Il faut pourtant remarquer que kolasiz a pour sens premier l'action d'élaguer, ce qui n'a pour but que d'améliorer le métabolisme d'une plante. Que aiwnion signifie relatif à l'aiwn, à l'ère dont on parle, et qu'il n'est pas absurde de voir dans cette expression l'évocation, durant l'ère prochaine, d'une épreuve, certes très douloureuse pour les uns, les handicapés de l'amour, dont le but serait de leur donner une chance nouvelle, tandis que les autres exerceraient une responsabilité dont ils se sont montrés capables.

Si la terre ne s'arrête pas de tourner au moment de cette parousie, dont on ne peut pas se représenter l'aspect formel, on peut raisonnablement penser que le Fils de l'Homme, pendant ce règne, auquel il associerait les élus, ces héritiers du règne, n'aurait pas d'autre but que de restaurer sur la terre l'harmonie perdue. Ce qui ne pourrait qu'entraîner de nombreuses et difficiles épreuves.

Il est vrai qu'on a bien souvent occulté le thème du règne des élus avec le Christ, pourtant mentionné, avec plus ou moins de précision ou d'insistance, 26 fois dans les synoptiques, 2 fois dans Jean, 1 fois dans les Actes, 11 fois chez Paul, 1 fois dans l'épître aux Hébreux, 1 fois dans l'épître de Jacques et 6 fois dans l'Apocalypse.Autrement dit 48 fois dans le Nouveau Testament et par les diverses écoles rédactionnelles.Loin de promettre aux élus un séjour paradisiaque, il est plutôt question, en les faisant participer à la restauration du monde, de leur confier une lourde responsabilité.Ce qui est conforme, après tout, au principe même de l'élection !

Conclusion

Il est parfaitement croyable, aujourd'hui, que dans un avenir relativement proche, des changements profonds et étonnants se manifestent dans les conditions de vie des humains. Qu'après des crises politiques et des catastrophes écologiques, des mutations matérielles et spirituelles se produisent et ouvrent une ère où l'amour peu à peu triomphe et où les êtres "nés d'en haut" jouent un rôle prépondérant. Les apocalypses nous disent-elles autre chose ? Ce n'est peut-être qu'un rêve. La Bible nous le présente pourtant comme une révélation.

Jean Blanchet

(1) Des ères du Nouveau Testament ETR (1997/4)

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