L'union Protestante Libérale
De Strasbourg (Église Saint Guillaume, 3 Rue Calvin, F. 67000
Strasbourg ; Pasteurs H. Bauer et E. Winstein) publie un bulletin.
Nous donnons un extrait des "Annales 2000" qui fait connaître
le texte des conférences données en octobre 2000 sous
le titre "La justification par la foi". Cet ensemble de
conférences est une recherche critique du texte de la déclaration
commune luthéro-catholique qui a fait l'objet de l'actualité.
Croire en Dieu me confère une
identité et m'invite à la responsabilité
Ernest
Winstein
L'accord doctrinal sur la justification
par la foi1, signé à Augsbourg en 1999, a permis aux
catholiques et aux luthériens de se rencontrer et de travailler
ensemble - sans y associer cependant une partie importante des chrétiens,
notamment les réformés et les orthodoxes. Mais n'a-t-on
pas consacré une somme d'énergie considérable
pour arriver à un consensus sur une question qui ne se pose
plus de la même manière aujourd'hui (pour ne pas dire
qu'elle ne se pose plus !) : que faire pour être sauvé
?
L'enseignement de Paul est un enseignement en situation. Cette constatation
ne devrait-elle pas nous encourager à prendre en compte précisément
le monde d'aujourd'hui, plutôt que celui d'il y a 2000 ans,
lorsque nous parlons de la foi et des rapports entre les hommes et
Dieu ?
L'objet de ces réflexions est de montrer qu'une doctrine
liée à une situation historique précise ne peut
définitivement répondre aux questionnements des humains
qui ne restent pas les mêmes dans un monde qui change ; qu'elle
n'est donc pas immuable ! Si l'enseignement donné par l'apôtre
Paul, en tant que témoignage, reste un appel à croire
en Dieu, cet appel conduit aujourd'hui à la conscience de la
liberté et de la responsabilité plutôt qu'à
une sorte de salut opéré mécaniquement et dont
beaucoup, aujourd'hui, n'ont que faire.
1. Le contexte historique de l'émergence de l'enseignement
paulinien sur la justification par la foi.
Lorsqu'il est question de la justification par la foi constatons,
premièrement, qu'il s'agit d'un enseignement donné par
Paul à une époque et dans un contexte précis,
celui du Moyen-Orient d'il y a près de 2000 ans, dominé
par l'empire romain. Le sort d'Israël se trouve entre les mains
de Rome. Paul, le Juif d'Asie Mineure, de culture grecque, de nationalité
à la fois juive et romaine, est préoccupé du
sort des "païens", ces polythéistes au milieu
desquels il vit. Alors que, d'abord, il persécutait les "chrétiens",
il adhère maintenant au messie de Dieu qu'il a reconnu en Jésus.
2 Il ne s'interroge pas beaucoup sur la personne de ce "roi"
qui lui est apparu mystérieusement pour disparaître peu
de temps après. Paul croit que ce Christ reviendrait bientôt
pour rétablir Israël dans son indépendance. Les
peuples non-juifs vont-ils être perdus à tout jamais
si Dieu fait ainsi arriver son royaume ? Certes non, si ces païens
se soumettent à la Loi juive, pensait d'abord le Juif pharisien
qu'il était - Saul de Tarse. En même temps qu'il reconnaît
en Jésus le Christ, c'est-à-dire le roi à venir
ou qui reviendra, Paul découvre que son fanatisme avait, jusque-là,
fait obstruction à l'avancement du royaume et qu'il suffit
de croire au Christ Jésus, c'est-à-dire en la grâce
salvatrice de Dieu, pour être sauvé. Inutile de s'encombrer
de "Lois", d'autant moins que le temps presse, - elles ne
mettent en relief que l'incapacité humaine de faire oeuvre
juste (Paul a une vision assez sombre de l'homme). Dieu, par contre,
sait reconnaître ceux qui se confient en lui, et il les "justifie".
Le contenu de cet enseignement paulinien sur la justification par
la foi est donc largement tributaire du contexte historique et conditionné
par la croyance, amplement partagée du temps de Paul, que Dieu
rétablirait son royaume rapidement. D'ailleurs, cet enseignement
n'est pas, de toutes pièces, l'oeuvre de Paul.
2. La foi d'un peuple et le salut du monde.
En effet, l'appel de Paul aux païens à faire confiance
à Dieu se situe dans le droit fil de l'appel aux peuples à
confesser le Dieu unique pour êre "sauvés".
Une formule typique résumant bien la théorie de la justification
se trouve dans l'épître aux Galates, chapitre 3, v. 11
: "Celui qui est juste par la foi vivra". Elle montre bien
que Paul utilise sa connaissance des "Ecritures", que nous
appelons maintenant "Ancien testament", pour forger sa théorie
(Gal 3,11 est précisément une citation vétéro-testamentaire
extraite de Ha 2,4). Il suffit de rappeler Es 45,22 : "Tournez-vous
vers moi et soyez sauvés, vous tous les confins de la terre,
car c'est moi qui suis Dieu. Il n'y en a pas d'autre". L'idée
du salut des peuples qui confessent le Dieu unique d'Israël était
alors largement répandue dans le Judaïsme.
3. Une opportunité pour les réformateurs
Au fil des siècles on avait un peu oublié cet enseignement
paulinien, - non pas la grâce, mais la systématisation
paulinienne. La Scolatique avait, au Moyen Age, fait oeuvre moderne
en amenant à la rescousse l'anthropologie grecque - représentation
de l'humain en deux parties (en réalité deux "substances"),
corps et âme, permettant au moins de concevoir l'immortalité
sans que les angoisses existentielles n'envahissent le croyant.
Le moine Luther, si tracassé et s'auto-flagellant, trouva
un chemin de liberté au moyen de l'enseignement paulinien.
Celui-ci vint à propos pour l'aider à contrer aussi
la pratique devenue courante dans son Eglise (la catholique) consistant
à administrer le salut des âmes à coup de mérites
- et surtout de monnaie sonnante.
Depuis le temps de Paul, le monde avait changé. Le rétablissement
du royaume d'Israël dans sa dignité n'était pas
la première préoccupation de Luther et de ses contemporains.
L'image de l'enfer, par contre, pesait d'un poids lourd dans la conscience
des gens du milieu du 2è millénaire, très préoccupés
d'en être sauvés. L'exploitation qui fut faite de ce
thème, notamment pour soumettre les sujets des royaumes et
de l'Eglise, montre la place qu'il tenait dans les esprits. Quel bonheur,
alors, d'être sauvé de l'enfer - et gratuitement ! -
en vertu de la foi !
4. Aujourd'hui : La foi comme source d'identité et de liberté
d'action
Aujourd'hui, la question du salut n'intéresse plus guère.
. . De quoi, d'ailleurs, peut-on être sauvé ? D'un "enfer"
qui a disparu de la représentation du monde à l'époque
moderne - hormis pour quelques angoissés ?3 Si la question
de la perdition des païens (au temps de Paul) et celle de la
menace de l'enfer (au moyen Âge) paraissent aujourd'hui hors
sujet n'est-il pas, alors, anachronique de poser la question de la
justification par la foi ?
Nous avons conscience de la globalité du monde et de son
devenir. Dans cet ensemble complexe, mais très interdépendant,
un seul peuple - quel qu'il fut - pourrait-il prétendre constituer
la clé du salut des autres ? Le devenir de l'humanité,
s'il est soumis à des contingences extérieures (par
exemple : les ressources de la terre, le devenir de la planète
dans le système solaire et dans l'univers), et bien que l'équipage
du navire terre ne soit pas très homogène, la raison
et la volonté doivent l'emporter afin que l'avenir lui soit
ouvert.
Je garde de l'enseignement de Paul l'idée que - pour reprendre
un vocabulaire contemporain - croire en Dieu me donne une sorte de
statut, la conscience d'avoir une place dans le monde, que cette place
est unique et qu'elle fait partie d'un tout : la terre, le cosmos.
En somme, ma foi en Dieu, en me mettant dans cette position de vis-à-vis
de Dieu, me donne, - faut-il dire : par voie de grâce en retour
? ! - une "identité". Dans cet ensemble, chaque être
humain est unique et a un rôle à jouer pour que le monde
ait un avenir.
Dans le vis-à-vis avec Dieu, nous prenons conscience à
la fois de la potentialité extraordinaire de notre vie et de
la capacité organisatrice humaine, mais aussi de la relativité
de notre oeuvre et du danger de failles que comportent nos choix,
nos projets, nos engagements, donc la conscience de nos limites.
Le seul questionnement qui semble revenir avec constance tout au
long de l'histoire de l'humanité est celui du sens de l'existence.
Etre justifié par Dieu en vertu de ma foi signifie donc être
reconnu par lui dans mes capacités de gérer mon existence
et d'apprécier la beauté de la vie, en même temps
que je reconnais la nécessité d'être rétabli,
réconforté, re-dynamisé, réhabilité.
Ainsi ma foi et le regard de Dieu sur moi m'aident à reprendre
conscience de ma place dans l'univers ; à comprendre que cet
univers, je ne peux ni m'abstraire, ni m'extraire. Qu'au contraire,
je ne peux vivre qu'en relation avec ce monde, avec ces autres humains
que moi.
Le besoin d'être justifié peut alors être défini
comme le besoin de savoir que j'ai une place dans cet univers : ma
place, le besoin de savoir que je suis à la bonne place, de
savoir que j'ai un rôle à jouer, - un rôle important,
aussi mineur qu'il paraisse tout d'abord, de le savoir toujours à
nouveau.
Conclusion : La raison d'être de la religion : aider à
vivre.
Qu'il serait prétentieux et faux de penser que ces propos
viseraient à remplacer un "dogme" existant !Mais,
dans la mesure où le dogme est synonyme d'enseignement et qu'un
tel dogme n'est donc pas immuable, ils se veulent des pistes, des
impulsions pour une réflexion qui fait évoluer cet enseignement
et permet à chacun de vivre sa foi. En effet, tout enseignement
qui tient compte du contexte vital de ceux auxquels il s'adresse,
évolue - fut-ce de manière peu spectaculaire - au rythme
du changement de leur vision du monde.
Ainsi la raison d'être de la religion n'est plus, aujourd'hui,
de "sauver" des individus afin qu'ils soient béatement
admis dans un royaume qui tomberait du ciel, mais de les encourager
à une foi positive, une foi qui met en route - au quotidien
et quant au devenir du monde, et constitue la force dont nous avons
besoin pour prendre à bras le corps la gestion de ce monde.
Une conception mécanique de la foi qui opérerait une
sorte de salut-récompense priverait l'individu de liberté
: Celui qui aurait pris conscience de son état de perdition,
n'aurait d'autre choix que de saisir la planche de salut et la foi
ne serait plus la confiance librement consentie, mais une nécessité.
Faut-il transcrire à tout prix le mot "sauver"
?C'est alors par le verbe "libérer" qu'il faut le
rendre. La conscience d'être vis-à-vis de Dieu - enfants
de Dieu justifiés par la grâce, dirait Paul - libère
pour agir, pour vivre, et pour être, autant que faire se peut,.
. . heureux !
Et puis, ce Dieu si mystérieux n'a-t-il pas pour nous des
projets que nous ne connaissons pas ?
Ernest
Winstein
1 On peut résumer ainsi l'enseignement de Paul en la matière
: La foi seule nous permet de bénéficier de la grâce
de Dieu et de prendre part au royaume annoncé.
2 Qui étaient ces chrétiens persécutés
? Probablement des prosélytes, païens en voie d'intégration
au judaïsme, mais qui, plus sensibles à ce judaïsme
coloré des adeptes de Jésus, allaient rejoindre le
mouvement mis en route par le maître de Nazareth.
3 L'enfer n'est plus ce lieu de déchéance où
notre vie risque d'aboutir mais, comme disait Jean-Paul Sartre,
il est plutôt du côté des "autres",
et de notre vie avec eux. On pourrait ajouter qu'il est le produit
du désir humain - faut-il dire : de la tentation ? - d'être
des petits dieux tout-puissants !