Quel avenir pour le
Christianisme ? Et quel avenir pour la religion ?
Il faut le dire tout de suite, ce sont là deux questions différentes.
Il peut très bien y avoir un avenir pour la religion sans quil
y en ait un pour le christianisme.
Il ny a pas si longtemps, on parlait de la mort du Christianisme,
des Eglises chrétiennes et Dieu lui-même.Mais maintenant,
on parle du retour du religieux ! Ces deux thèses
sont-elles incompatibles ? je ne le pense pas.Essayons de dire pourquoi.
Mais dabord, quest-ce que ce religieux que
lon dit être de retour ? Le religieux, cest
la religion naturelle, la religiosité, le sentiment
religieux, et aussi la spiritualité.Ce nest pas à
proprement parler une confession de foi, cest-à-dire un
credo sinscrivant dans des normes traditionnelles.Cest
plutôt une quête et une pulsion vers le sacré, le
surnaturel et le mystère.Cette religiosité sexprime
souvent sous forme de superstitions et de craintes, par un goût
de fantastique, de lirrationnel, du sacrifice et de lexaltation.Mais
elle sexprime aussi par des recherches ésotériques,
cabalistiques, astrologiques, initiatiques héritées de
vieilles traditions païennes.Cest ce religieux
qui sexprime par le New Age, lastrologie, lésotérisme
et aussi par lattirance que suscitent les religions orientales.Et
cest aussi lui qui sexprime dans les mouvements charismatiques
et aussi quelquefois dans les courants intégristes.
On dira que nous mettons dans le même sac des phénomènes
très différents ! Certes, mais ils ont cependant tous
en commun dêtre des manifestations post-modernes
cest-à-dire revendiquant une forme dirrationalité
et contestant ce que lon a appelé la pensée
des Lumières déiste, tolérante et rationnelle.
1 - La désaffection vis-à-vis du christianisme, ce nest
pas la faute à Voltaire, cest la faute aux clercs ! Pourquoi
le retour du religieux se manifeste-t-il en dehors des Eglises
chrétiennes officielles ?A mon avis, parce que celles-ci ont
cherché à exclure ce religieux et la religiosité
naturelle.Certes, le Christianisme est une religion, mais
il est une religion dans laquelle le religieux a été
rééduqué et peut-être même mâté
par des catéchismes et des rituels réglés pas les
Eglises.Et ce religieux, parce quil a été
contrecarré par les Eglises, sexprime maintenant hors des
Eglises.
On conçoit donc quil puisse y avoir une désaffection
vis-à-vis du Christianisme officiel et corollairement un retour
du religieux hors de ces Eglises.En effet, maintenant, lorsque lon
se sent animé daspirations religieuses, on ne va plus dans
les Eglises traditionnelles, on achète des livres désotérisme
et on suit des séminaires avec les lamas tibétains.
Ce déni du religieux par les Eglises officielles
existe depuis fort longtemps. Déjà, il y a près
de trente siècles, le Judaïsme biblique sest employé
à canaliser et à mater la religion naturelle
de ses fidèles.En effet, dès ses origines, le Judaïsme
a interdit lastrologie, la sorcellerie et la divination.Il a récusé
les manifestations plus ou moins extatiques du paganisme.Certes, il
est vrai que les fêtes juives et les sacrifices ordonnés
par le Judaïsme ont constitué lhéritage des
fêtes et des sacrifices païens, mais le Judaïsme les
a repris en les dénaturant et en les purifiant. Pour le Judaïsme,
les rites et lobéissance à la Loi ont pris le relais
de la magie.
Le Christianisme, tout au long de son histoire, a poursuivi ce travail
déducation et de purification.En effet, à lépoque
de lapparition du Christianisme, le religieux avait
repris du poil de la bête.Il y avait, au premier siècle
de notre ère, beaucoup plus de magie, de démons et de
craintes superstitieuses que dans le Judaïsme ancien.Mais le Christianisme
a contenu ce retour du religieux par son dogmatisme théologique,
par la force de ses institutions et de son magistère, et aussi
par limportance donnée aux sacrements qui, tout en satisfaisant
la demande de magie, en constituait cependant une forme dépurement.Ainsi,
jusquau XXème siècle, le Christianisme a pu satisfaire
les demandes de la religion naturelle des fidèles
tout en les éduquant et en les épurant.Ce travail de sortie
de la religion opéré par le Judaïsme et le
Christianisme était, à mon avis, utile et souhaitable.Et
il a réussi.
Mais, depuis le milieu du vingtième siècle, les
Eglises institutionnelles ont peut-être un peu trop forcé
la dose des antibiotiques et des anti-inflammatoires à lencontre
du religieux, et celui-ci, du coup, sest lassé
dêtre contenu et rééduqué par les Eglises
officielles. Et il sest échappé, de manière
explosive, hors des Eglises.
Depuis lapparition du protestantisme libéral (au sein
du protestantisme) et depuis Vatican II (au sein du catholicisme), les
Eglises, bien plus que lagnosticisme et lathéisme,
ont été les maîtres duvre de la désacralisation
du monde et de la dédivination de Dieu. Elles ont été
les premières à pourfendre le sentiment religieux, cest
à dire les demandes de salut, les demandes de sacré, lexpérience
de la culpabilité et la crainte dun jugement divin. Aujourdhui,
le Christianisme des Eglises historiques est devenu le lieu du désenchantement
du monde et de la sécularisation du religieux.En
prêchant que Dieu sest fait homme, le Christianisme
a plus ou moins adopté, avec deux siècles de retard, lesprit
des Lumières, son rationnalisme et son demi-agnosticisme.
Et ce qui a été catastrophique, en termes détude
de marché, cest que le tournant du Christianisme vers ce
que lon peut appeler lesprit de la modernité
(qui est en fait lhéritage de la Renaissance, de la Réforme
et des Lumières) sest effectué au moment même
où les mentalités, de leur côté, opéraient
leur sortie de lére des Lumières pour
rentrer dans la post-modernité. En effet, aujourdhui,
les scientifiques, les philosophes et bien dautres retrouvent
le goût de lirrationnel, de limaginaire et du sacré.Dans
la société civile, cest le retour de Dionysios et
du spiritisme, des médecines douces et de lastrologie,
du communautarisme et des sectes millénaristes. Et pendant ce
temps, les Eglises, de leur côté, prêchent, devant
des auditoires de plus en plus maigres, le refus de la foi du charbonnier,
la chasse à tout ce qui pourrait rapprocher la foi dune
consolation ou dun opium, la méfiance vis-à-vis
des miracles et même vis-à-vis de lefficacité
pratique de la prière.
Ce qui explique aussi le fait que le retour du religieux se soit effectué
hors des Eglises, cest leffondrement de la culture religieuse
et théologique du peuple chrétien.Et du coup les fidèles
des Eglises traditionnelles sont devenus, eux aussi, tout à fait
perméables au fantastique et à lirrationnel.
Ajoutons encore que, aujourdhui, lindividualisme est devenu
un fait de société fondamental.Et en conséquence,
les démarches spirituelles et religieuses des uns et des autres
seffectuent maintenant individuellement et même solitairement,
hors du cadre des Eglises constituées, et échappent donc
à leur contrôle et à leur pouvoir de régulation.
Un point encore.Aujourdhui, la vérité professée
par le Christianisme nest plus considérée comme
la seule forme daccès à Dieu.Elle est devenue une
forme religieuse parmi les autres.Et ce qui faisait la force du Christianisme,
à savoir le fait quil était une tradition quasiment
immuable, est devenu, maintenant, un handicap.Le public préfère
exprimer sa soif de spiritualité dans des formes religieuses
moins connues et usées par le conformisme et lhabitude.
Que se passe-t-il maintenant ?
Dune part, le Christianisme officiel est devenu laïc, rationnel,
démocratique, intelligent et tolérant. Hélas et
Alléluia tout à la fois.Les chrétiens des Eglises
officielles ne sont plus superstitieux, ils nont plus peur de
lenfer, ils nont plus une conception magique des sacrements.
Beaucoup sont, en fait, de vagues déistes et des humanistes bon
ton.
Et dautre part, le religieux sexprime maintenant
hors des Eglises traditionnelles, dans les courants charismatiques,
les sectes, lésotérisme, lintégrisme...
Certes, ce phénomène du retour du religieux
et le fait quil se fasse en dehors des Eglises traditionnelles
inquiète et surprend ces Eglises.Mais il faut reconnaître
quelles ont bien cherché ce qui leur arrive !
Il est cependant exact que, depuis peu, les Eglises essaient, un peu
tardivement, de réparer les pots cassés en tentant de
faire une place à la religion et à la religiosité.Elles
tentent de faire un travail de récupération.On
joue de la guitare dans les offices, on pratique de nouveau des pèlerinages
à la Vierge et les exorcistes de lEglise catholique sont
de nouveau en fonction. Mais, bien souvent les clercs nacceptent
quà contrecur de faire ce travail de réconciliation
avec le religieux.En fait, ils écartent bien souvent
les nouveaux religieux. Et les Eglises laissent à
la société civile le soin dendiguer lastrologie,
les sectes et les déviations religieuses. Le Christianisme officiel
doit battre sa coulpe.Il a trop prêché que lhomme
était adulte, libre et majeur.Il a trop insisté sur le
fait que la foi nétait ni une thérapie ni une école
de bonheur alors que le besoin dêtre guéri a presque
toujours été à lorigine des démarches
et des conversions religieuses.Il a trop sécularisé et
désacralisé son clergé alors que beaucoup ont besoin
de lexemple de saints, de prophètes et de maîtres
spirituels.
2 - Le Christianisme est-il vraiment inconciliable avec la religiosité
naturelle ? Mais, une fois faite cette analyse sociologique, la question
de fond, cest quand même celle-ci : les nouvelles formes
de la religion sont-elles vraiment incompatibles avec la prédication
évangélique ? Faut-il vraiment accepter comme irrévocable
le divorce entre le Christianisme et la religion populaire ?
Si lon veut tenter de répondre à cette question,
il faut se demander quel est lobjectif fondamental de cette prédication
évangélique, cest-à-dire, en fait, quelle
est lessence du Christianisme ? Cest ainsi que lon
pourra voir si le Christianisme est vraiment incompatible avec la religiosité
daujourdhui.
A mon sens, le propre du Christianisme, cest la prédication
de la libération de tous les faux dieux, de tous les esclavages,
de toutes les superstitions.Et certes, les nouvelles religiosités
peuvent être souvent considérées comme des formes
daliénation librement consenties.Mais cela ne peut quêtre
un argument favorable à laccueil des nouveaux religieux
au sein de lEglise puisque la prédication chrétienne
a justement pour objectif de prêcher la liberté à
tous ceux qui sont les esclaves de leurs hantises et de leurs superstitions.
On peut aussi considérer que le propre du Christianisme, cest
la mise en exergue de notre dépendance (cf. le sentiment
de dépendance 1 de Schleiermacher) vis-à-vis dun
Père de mystère et damour et du fait que nous sommes
tous au bénéfice de sa grâce.Sil en est ainsi,
le Christianisme, bien loin dexcommunier les nouveaux religieux,
devrait les accueillir.En effet, les nouvelles religiosités expriment
fort bien ce sentiment de dépendance et cet appel
de la grâce, et ce de façon souvent bien plus convaincante
que le Christianisme officiel où, à force dinsister
sur la liberté adulte de lhomme, on a oublié que
la foi était dabord de lordre de lesprit denfance.
Ainsi, si lon sen tient à cette rapide analyse
de ce qui constitue lessence du Christianisme et de la prédication
chrétienne, on peut constater quil ny a aucune raison
de considérer quelle na rien à dire aux nouveaux
religieux daujourdhui et quil doit les rejeter.
Mais, en fait, je ne pense pas que le divorce entre Christianisme
et nouvelle spiritualité se pose dabord en
termes théologiques. Ce ne sont pas les convictions sous-jacentes
au retour du religieux qui sont récusées par
les Eglises officielles.Il me semble au contraire que nos Eglises pourraient
saccommoder assez facilement de toutes ces croyances fantasmatiques
et ésotériques daujourdhui.Les Eglises sont
en effet très tolérantes et même laxistes pour ce
qui est de la consistance du credo à confesser !
Le problème nest pas dans le champ des doctrines.Il est
plutôt au niveau des rituels.Les Eglises officielles sont sans
doute quelquefois prêtes à introduire dans leurs offices
des guitares et même des danses liturgiques, mais elles ne sont
pas prêtes à renouveler le sacrement de leucharistie
par des symboles New Age ni à introduire dans la liturgie de
Pâques un rituel de communication avec les morts.
La véritable question est donc celle-ci : jusquoù
les Eglises peuvent-elles et doivent-elles aller, dans la transformation
de leurs rituels, pour pouvoir accueillir en leur sein les nouveaux
religieux, si tant est que ceux-ci aient le désir de réintégrer
le giron ecclésial ?
Au premier siècle de notre ère, les Eglises chrétiennes,
qui restaient fidèles aux rituels du Judaïsme (circoncision,
règles alimentaires), ont, pour pouvoir accueillir des pagano-chrétiens,
renoncé à exiger deux quils se plient à
ses rituels traditionnels.Elles ont accepté une forme de paganisation
de leurs usages et de leurs règles liturgiques pour mieux accueillir
et convertir les païens. Les Eglises daujourdhui devraient-elles
faire de même ? Devrions-nous accueillir les nouveaux religieux
tels qui sont et même transformer nos usages et nos confessions
de foi pour quils leur conviennent ?Cest une question que
lon peut se poser.
Mais il faut cependant être conscient des enjeux.
Nous sommes à la fin des temps modernes, cest-à-dire
à la fin de lère des Lumières, des droits
de lhomme, de la laïcité, de luniversalisme
et de la tolérance.Certes, les religions traditionnelles ne sont
entrées dans les temps modernes que très récemment,
avec deux siècles de retard, mais, maintenant, ce sont elles,
plus peut-être que ce quil reste de la Libre Pensée,
qui sont responsables de cet héritage.
Mais si les religions monothéistes sont peu à peu conquises
par les intégristes, les charismatiques et les superstitieux,
cela sonnera le glas non seulement de la prédication de lEvangile
libérateur et universaliste, mais aussi de cette vocation des
Eglises daujourdhui à défendre lesprit
des Lumières, de lintelligence et dune certaine forme
de rationalité.Et cela handicapera aussi la vocation des Eglises
à être un lieu de formation et déducation
à la réflexion, au partage, à la conscience individuelle
et à limplication responsable dans la vie civique.Et, de
plus, cela sonnera le glas dune certaine conception de Dieu, celle
dun Dieu totalement transcendant, étranger aux superstitions,
aux astres et aux électrons pensants, celle dun
Dieu qui est linstaurateur et le garant du principe de légalité
de tous les hommes devant la vie et la mort, devant le péché
et la grâce, devant la justice et la liberté.
Alain
Houziaux