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Le Christianisme et les religions selon Tillich

Le Christianisme et les religions selon Tillich, André Gounelle.

Sept thèses tillichiennes en forme de notes.

Le Centre Protestant de l’Ouest (Celles-sur-Belle 79370, Tél. 05 49 79 80 44, Fax. 05 49 32 96 99) organise tout au long de l’année diverses activités. Lors d’une session théologique, le professeur André Gounelle a donné une étude que Jacques Chauvin a résumé avec les notes suivantes.

Paul Tillich, né en Prusse Orientale en 1886, mort en 1965 à Chicago ; guerre sur le front français (Verdun) comme aumônier militaire ; il enseigne dans diverses universités allemandes jusqu’en 1933 ; il milite dans des groupes semblables à ceux du christianisme social ; s’élève contre des humiliations imposées à des étudiants juifs : il est révoqué et il quitte l’Allemagne (à la différence de D. Bonhoeffer, il n’a pas les moyens de rester en Allemagne sans gagner sa vie), il s’installe aux USA (d’abord professeur à Boston, puis à Harvard) ; il obtient la nationalité américaine et fait partie des cent intellectuels américains désignés par Kennedy pour participer à son installation à la Maison Blanche. Il meurt à 79 ans et est l’un des trois théologiens protestants du XX° siècle.

Voyage au Japon en 1960 ; il fonde avec M. Eliade un séminaire pour l’Etude comparée des religions, c’est là qu’a lieu sa dernière intervention avant sa mort.

Première thèse :

Les religions reposent toutes sur quelque chose qui est donné à l’homme par Dieu ; nulle part Dieu n’a laissé l’humanité sans témoignage. Pour Tillich, la Bible n’a pas le monopole de la Révélation. 3 remarques :

- Tillich ne pense pas qu’il existe une révélation générale ou universelle pour tous les hommes (thèse de St Thomas d’Aquin). Dieu se révèle de manière diverse et appropriée à tous les groupes humains.

Dieu ne parle pas à la cantonade. . . ; pour TILLICH, Dieu s’adresse à des personnes précises (comme quelqu’un qui passe un coup de téléphone . . . ), en fonction de chaque culture, de chaque langue, de chaque héritage historique et géographique. Jean CALVIN : “Dieu s’accommode des gens auxquels il parle”.

Deuxième thèse :

Une religion est la manière dont un groupe humain vit et transmet l’expérience fondatrice de la Révélation ; elle est symbolique (c’est-à-dire porteuse de sens) par ses mythes, ses rites, ses dogmes et ses institutions ; elle est le témoignage spatio-temporel (à travers les époques et les lieux) rendu à la Révélation reçue et le témoignage de cette Révélation ; elle l’organise et lui donne forme ; sans elle, la Révélation ne serait qu’un phénomène passager et local. . . . .

La nécessité première est la rencontre avec Dieu, cette expérience est inscrite au cœur des hommes. Il y a dans toute religion des structures qui adaptent et organisent, mais aussi dégradent et déforment l'événement de la Révélation. POURQUOI ?

Il y a une différence entre l’être de Dieu et l’image que nous nous en faisons : DIEU DEPASSE PAR SA PAROLE CE QUE NOUS POUVONS EN COMPRENDRE. DIEU DEPASSE NOTRE PECHE.

Il échappe à tous les discours humains ; tout ce que nous en disons, ne convient qu’en partie à ce qu’il est.

Entre Lui et nous, il y a une distance ; les croyants tendent toujours à oublier (à sous-estimer) cette distance, ce qui conduit à l’absolutisation de la structure religieuse et à la confusion de la Révélation avec la manière de la traduire, d’où divinisation de ce qui vient de Dieu et n’est pas Dieu (cf l’idolâtrie “Tentation de Jésus au désert par exemple. . . ”).

Divinisation de l’Eucharistie chez les Catholiques et de la Bible chez les Protestants.

Confusion du chandelier avec la bougie qu’il porte (Apocalypse). Toute religion porte à la fois le meilleur et le pire, ses éléments sont bons et mauvais, positifs et négatifs.

Troisième thèse :

Le conflit fait partie de la vie religieuse et lui est nécessaire, il s’agit d’un combat entre le message divin et l’institution religieuse (ecclésiale) : toute religion est traversée par une bataille continue entre l’Esprit et son incarnation. La religion meurt ou perd sa vérité quand il n’y a plus de conflit (exemple des groupes spirituels américains aux propos pacifiques et bienveillants (“lénifiants”) qui disparaissent à force d’Amour, de propos apaisants et bien intentionnés. . . vacuité de l’Esprit Saint. . . ).

L’exemple le plus caractéristique de ce type religieux est sans doute actuellement le Shintoïsme une religion vidée dans le rite, d’esprit critique et d’opposition. Une religion vivante ne se caractérise t-elle pas particulièrement par la paix et l’harmonie ?

Confrontation dans la Bible entre les Prêtres et les Prophètes.

Actuellement confrontation dans l’Eglise entre les Catholiques et les Protestants, et au sein du Protestantisme entre les Libéraux et les Orthodoxes.

LA CRITIQUE S’OPPOSE A L’ABSOLUTISATION DES RITES ET DES DOGMES.

L’obstacle fondamentaliste, mystique, éthique est malgré tout bénéfique à l’Eglise (cf. l’attitude de CASTELLION contre J. CALVIN lors de l’exécution de Michel SERVET). Il est essentiel pour une critique théologique qui veut fuir l’enfermement, de maintenir les structures, mais en les relativisant : donner aux structures, à l’organisation une juste place, éviter de les détruire.

TILLICH : les attaques de l’athéisme ont rendu des services à la religion : examen, réflexion et vigilance : une religion a besoin de critiques pour vivre et évoluer.

Quatrième thèse :

2 conditions :

- Le dialogue ne peut s’établir qu’entre deux interlocuteurs persuadés d’avoir raison : reconnaissance mutuelle qui accepte que l’Autre soit porteur d’un message, apôtre d’une vérité venant de Dieu lui-même.

- Le dialogue ne peut s’établir quand on cède tout à l’interlocuteur. (Cf. la critique de GARAUDY sur le dialogue entre Chrétiens et Marxistes dans les années soixante et soixante-dix où les interlocuteurs chrétiens ratifiaient sans débat tout ce que prétendaient les interlocuteurs marxistes). C’est actuellement le cas dans le dialogue Chrétiens-Bouddhistes où on ne sait plus très bien ce qui est à accepter ou à refuser (lien avec ce qui pourrait apparaître comme syncrétisme à un Chrétien chez les Bouddhistes et ne l’est en fait probablement pas. . . ). LE DIALOGUE NE PEUT SE NOUER QUE SI L’ON ADMET QUE TOUTES LES REVELATIONS SONT JUSTES (SANS POUR AUTANT ETRE VRAIES. . . ).

Cinquième thèse :

Il faut faire l’autocritique interne de chaque religion à partir de ses visées et de ses buts ; 2 objectifs possibles sont à rejeter :

- Ecarter tout projet syncrétiste ; celui que souhaitent les Universalistes aux USA (héritage du philosophe anglais de l’histoire au XIX°, TOYNBEE, repris par l’Américain contemporain John HICK).

TILLICH se démarque de ce projet : si on ne respecte pas l’originalité de chaque religion, on la vide de son contenu. Ce ne sont pas les points d’accord et les similitudes (apparentes) qui intéressent TILLICH, mais la mise en valeur des différences ; ce sont ces différences qui représentent des lieux de dialogue (dans le dialogue œcuménique entre autres).

- Le dialogue ne doit pas avoir pour but la conversion de l’Autre ; le dialogue se dévoie, et même se fourvoie quand sa visée est la conversion ; la MISSION N’A PAS RENDU UN BON SERVICE AU CHRISTIANISME (c’est particulièrement le cas en Asie).

Il faut renoncer à tout prosélytisme. . . . Mais alors ; que faut-il attendre du dialogue inter-religieux ?

TROELTSCH : une fécondation réciproque ; chacun est appelé à réfléchir sur sa propre religion (poids et capacité des élargissements) et la confrontation doit favoriser une attitude critique envers soi-même.

Le jugement que les Chrétiens doivent porter sur eux-mêmes à la lumière de la rencontre avec les autres religions ; Exemple : les Chrétiens doivent prendre au sérieux ce que les Juifs et les Musulmans disent du dogme trinitaire et y trouver des réponses pertinentes. . .

Sixième thèse :

La Bible présente à la fois un aspect très religieux et très anti-religieux ; elle fonde plusieurs religions et se trouve à l’origine de liturgies diverses ; elle polémique contre les structures religieuses (importance du Prophétisme).

Le Premier Testament : Dieu est bien le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, mais il n’est pas pour autant un Dieu tribal, et on finit même par comprendre qu’Il n’est non plus le Dieu d’un seul peuple. . .

Dieu s’attache à un peuple, mais Il n’oublie pas les autres. . .

Pour Lui c’est la justice qui donne son contenu à l’Alliance. Il libère Israël de l’Egypte, mais inversement ne libère-t-il pas l’Egypte d’Israël ?

BULTMANN : “Jésus a été Juif, et en aucun cas Chrétien. ” c’est-à-dire qu’Il ne se laisse en aucun cas enfermer dans un cadre religieux, Il subordonne toute forme religieuse à sa critique polémique.

Le christianisme a eu la plupart du temps tendance à oublier cette polémique ; il a développé les éléments sacerdotaux et sacramentels, sans jamais réussir complètement à les imposer (rôle constant du Prophétisme et de l’Iconoclasme).

Le divin transcende les symboles finis par lesquels il s’exprime.

DIEU EST TOUJOURS AU-DESSUS DE DIEU, c’est-à-dire que Dieu est au-dessus de ce que nous pouvons dire de Lui. A la différence de D. BONHOEFFER, TILLICH ne préconise pas un Christianisme non-religieux qui ferait disparaître la tension interne de ce Christianisme. Pour lui, le Christianisme doit regarder les deux constantes à la fois être religieux et aussi anti-religieux. Le christianisme se définit à la fois par des attestations (témoignage) et une contestation (celle qui conduit à la Croix) ; c’est cette tension qui l’empêche de s’enfermer dans l’Idolâtrie. La religion chrétienne se sait et se veut porteuse d’un message avec lequel elle ne se confond pas : une vérité qu’elle annonce et qui aussi la juge.

Septième thèse :

Le centre et la norme de toutes les religions se trouvent dans le Christ et non dans le Christianisme ; confusion entre le Christ et le Christianisme ; le Christianisme une religion comme les autres.

(Cf. ma discussion avec Henri BLOCHER à propos de sa Christologie dans “Le mal et la Croix” : l’assimilation du Christ et du Christianisme est une assimilation qui frise l’idolâtrie : le Christ ne se confond pas avec le groupe (L’Eglise) qui se fonde en Lui.

Le Christianisme n’a pas à se prêcher lui-même, il a à prêcher le Christ. Le Christ est le centre de toutes les religions : dans cette formulation, il faut entendre par Christ le Logos et non Jésus de Nazareth.

Même si le Logos s’incarne dans Jésus de Nazareth, il ne se confond avec Lui (Deux natures distinctes).

Différences entre la Foi biblique et les autres religions. Dans la Bible : accueil d’un reçu venu d’autres religions et transformé : le Logos johannique par rapport au Logos des Stoïciens (il y a peu, on faisait des efforts terribles pour les distinguer et rechercher d’autres origines au Logos johannique, pour prouver qu’il n’avait rien à faire avec le Logos des Stoïciens, aujourd’hui, on est revenu...)

De même, on sait les relations entre la religion des Israëlites et les religions du Moyen-Orient Ancien ; le Nouveau Testament et les influences hellénistiques (au niveau littéraire, il est indéniable que les Evangiles s’inspirent plus des récits des héros grecs que des modèles de l’Ancien Testament, sans parler évidemment des textes “apocryphes”).

Quel est le centre de toute Christologie, et aussi le critère normatif qui permet de reconnaître le Christ ? : LA CROIX et LA RESURRECTION.

Cette norme fait apparaître le Positif et le Négatif.

LA RESURRECTION a pour caractère normatif le surgissement de la Vie.

Nouvelle à laquelle nous sommes appelés ?

Naissance et développement de l’Etre nouveau : une existence conforme à la volonté de Dieu. . ? C’est elle qui opère, elle permet d’identifier LA CROIX.

LA CROIX : son caractère normatif est d’apporter le salut ; le Christ ne s’absolutise pas par lui-même ; Il accepte l’échec de la mort ; Il n’a pas d’ambition pour son individualité historique ; Il établit toujours une distance entre le Dieu qu’Il révèle et Celui qui le révèle (Lui-même en l’occurence). Dans les Evangiles, le titre de Christ donné à Jésus est toujours en relation avec l’annonce de sa mort.

CONCLUSION

Quel est l’apport de TILLICH au dialogue inter-religieux ? Il n’abandonne pas les caractères aigus de ce dialogue, voire ses aspects d’affrontement et de crise, sans pour autant donner une chance à la rupture ni abandonner, ni estomper les problèmes qui se posent. Il vise plutôt la mise en route d’une dynamique : appel à toujours nous réformer, toujours à avancer, à vivre les religions selon des voies, des “véhicules” différents vers le Salut : cheminement, pélerinage de la Vie vers l’Etre Nouveau.

D’après des notes prises par Jacques CHAUVIN
CPO juin 01

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