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Ethnismes et pluralisme naturels en Afrique

Fabien Ouamba Théologien de N’Doungué. Diplomé de la Faculté de Théologie de Montpellier, il vient de publier 2 importantes études très approfondies et documentées sur “De la culture de violence à une culture de paix par la non-violence en Afrique” et “Ethnies, confessions religieuses et mission chrétienne en Afrique aujourd’hui”. Nous donnerons des extraits de cet important travail qu’on peut demander au savant théologien camerounais et qui sera publié ultérieurement si possible.

Voici le premier extrait tiré de la deuxième étude.

C. M.

 

On constate (…) qu’en dépit ou à côté d’une volonté d’unité, il se développe aussi et de plus en plus en Afrique des pluralismes ethniques et dénominationalistes qui risquent de mettre en péril la dynamique unitaire. Ils peuvent être naturels, historiques ou révélateurs des insuffisances de l’unité de l’Eglise et de l’Afrique.

Hubert Deschamps semble être le premier à avoir utilisé le mot ethnisme pour désigner le patriotisme en situation africaine tout en s’excusant d’ailleurs de ce devoir de créer un mot nouveau. Selon lui, l’ethnisme serait le sentiment particulariste qui permet de vivre en unité tous ceux qui conservent une origine commune et le même territoire. Deschamps aurait bien voulu donner le nom de peuple à ce qu’il appelle ethnie en Afrique à cause du nombre et de l’espace trop réduit pour certains de ces peuples. “Certains peuples se limitent à quelques centaines d’individus et à 2 ou 3 villages”. Il pense que les mots race, tribu sont des équivalents d’ethnie parce qu’étant un type de groupe social ayant un type d’organisation politique et économique.

Une ethnie se reconnaît par son nom, sa langue, son territoire, son organisation politique, sa culture, ses pratiques religieuses, ses mythes d’origine, “et surtout le sentiment qu’ont ses membres d’appartenir à un même ensemble, ce qui les amène à entretenir entre eux des rapports plus intimes qu’avec les étrangers”.

L’ethnisme peut ainsi se comprendre comme esprit de conservation pour un petit peuple qui refuse de se dissoudre, de perdre son identité et son histoire dans un grand ensemble. L’unité historique serait alors à l’origine des ethnismes. C’est quand certains peuples ont voulu conquérir d’autres et établir sur eux leurs hégémonies guerrières, culturelles, économiques ou religieuses que ceux-ci, refusant la soumission ou l’abdication se sont réfugiés dans l’ethnisme comme repli sur eux-mêmes, sur leur histoire, origine, tradition, culture et religion pour puiser la force de résistance et de survie.

Dans une Afrique des diversités naturelles, des espaces, des peuples et des cultures, l’ethnisme peut provenir du manque d’information sur les autres ou d’absence de rencontre avec eux. Il est alors une phobie de l’autre dû au manque de contacts et de communication. Les frontières coloniales, l’accession à l’indépendance ou la création de l’organisation de l’unité africaine (OUA), ne suffisent pas pour faire d’un seul coup d’une mosaïque de peuples dispersés ou juxtaposés un ensemble cohérent, un peuple ou une nation.

Dans l’Afrique moderne, l’ethnisme se révèle comme l’enfant bâtard ou un monstre de la protonation, pure création de l’impérialisme. ZIEGLER qui est le créateur de ce concept dit que “la conscience protonationale est investie d’une tendance puissante à l’imitation, à la reproduction des habitudes de consommation, des schèmes de pensée impérialiste”.

L’ethnisme devient alors le refus du mimétisme et la recherche de l’authenticité, quitte à payer le prix ou à réfléchir sur cet avertissement de Axelle KABOU : “ainsi, les Africains vont peut-être avoir enfin l’occasion d’apprendre à leurs dépens que le droit au tribalisme érigé en principe de développement au moment des indépendances par pur anti-colonialisme n’est pas le signe d’un raffinement culturel, mais le produit d’une lâcheté historique, gratifiante pour quelques-uns à court terme, mais suicidaire, pour tous, à long terme”. L’ethnisme, refus du mimétisme ou lâcheté historique, nous constatons que dans tous les cas, il devient une négation de l’unité et effacement voire une mort de soi en face, à côté, au milieu ou en présence des autres. Il est malheureusement vrai que cette mort de l’être au monde de l’Africain ne naît pas seulement au moment des indépendances comme le suggère KABOU. Toutes les théories de l’esclavage et de la colonisation ont consisté à empêcher l’Africain d’être lui-même ou d’être avec les autres pour constituer une force en présence des autres forces négrières, coloniales, néocoloniales, impérialistes ou multinationales d’aujourd’hui. C’est évident que l’ethnisme restera aussi longtemps que possible l’arme la plus efficace de la désorganisation sociale, économique, politique et même religieuse. Il s’affaiblira par contre là où chaque ethnie, devenue consciente de son ethnicité comme atout mais aussi limite, développera avec les autres, dans une culture démocratique, des identités participatives et communautaires. C’est à ce prix que l’ethnisme des protonations ou des ethno-Etats pourra faire place à l’ethnicité participative des nations, des Etats et des peuples sur une base démocratique et d’intégration dans une unité plurielle, prélude et préparation à notre participation à la mondialisation et à la globalisation.

En effet, nous nous rendons compte que chaque groupe qui prend conscience de ne pas exister seulement pour lui-même, apprend à reconnaître et à établir des rapports avec les autres. Il s’initie ainsi à l’école de dialogue, de négociation et de recherche de ce qui est commun à tous ou alors de défendre ses intérêts en respectant ceux des autres. Nous comprenons pourquoi l’ethnisme ne peut être que l’avorton des dérives autoritaires de nos gouvernements et, dans la plupart des cas, des ratés démocratiques et surtout des jeux truqués des élections.

A l’heure de la globalisation et de la mondialisation, il peut aussi être le signe révélateur d’une non préparation ou désintérêt des groupes et peuples qui n’ont été ni invités ni équipés pour aller au carrefour mondial ou à la production et à la consommation des technologies ainsi qu’à la circulation des biens sans frontières. L’ethnisme devient alors le limon qui fait vivre les inadaptés des technologies modernes et les rejetés, les hors-monde de la mondialisation.

Aussi constatons-nous que l’ethnie qui existe naturellement comme une entité sociale, politique, économique et religieuse, peut devenir ethnisme lorsqu’elle se replie sur elle-même, par résistance, phobie de l’autre ou rejet de celui-ci.

La religion fait naturellement partie de l’ethnie en Afrique. Chaque ethnie a sa religion et n’a besoin ni de l’exporter ni d’importer celle des autres. Ses dieux et sa manière de connaître et de vivre sa relation avec Dieu font partie de son histoire et de sa culture. Il existe donc une multiplicité d’expressions religieuses dues à la diversité ethnique. Une religion qui s’enracine, grandit et prend forme dans la culture d’une ethnie peut devenir et faire partie de l‘expression et de l’affirmation culturelle de cette ethnie. Il peut aussi exister des liens entre l’ethnisme et un type de religion donnée, qui se veut particulière par rapport, en fonction ou par opposition à d’autres. Nous le verrons en ce qui concerne les dénominations chrétiennes avec le pluralisme historique en Afrique.

Fabien Ouamba
Aumônerie Universitaire de Bandjoun

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