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Vengeance, justice, pardon

“J’ai trop souffert et depuis six ans... Pensez, Monsieur le Juge - ou Messieurs et Mesdames les jurés - à tout ce qui encombre et obscurcit ma mémoire, à tout ce qui a démoli ma vie à cause de cet homme, de ces hommes qui sont responsables de ...” Et le plaignant d’évoquer son malheur ou bien telle personne pour laquelle il agit, proche, frère, fils et fille, parents, victimes d’un attentat ou simplement d’une catastrophe à causes diffuses dont la société peine à identifier les responsables, ou encore victimes de secours trop tardivement apportés qui sont la raison de ... Et de décrire l’horreur : mort, mutilation, blessures irrémédiables dans la chair ou dans l’esprit.Vies gâchées pour longtemps et toujours.

“Justice, justice, entend-on clamer à la télévision, je veux enfin identifier et voir ceux par qui j’ai tant souffert et leur crier mon dégoût et ma haine.Justice, car il faut qu’ils souffrent ce que j’ai souffert et qu’ils entendent en outre mon mépris. Justice, et leur punition ne sera que peu de choses en face de ce que j’ai connu depuis si longtemps...”

N’avons-nous pas entendu bien souvent ces cris exprimant un trop-plein de douleur devant les journalistes, un trop-plein qui est d’autant plus débordant que les lenteurs de la justice l’ont fait supporter plus longtemps ?

Justice. Ne faut-il pas en fait entendre vengeance ? Sans bien le comprendre, c’est ce que beaucoup réclament.

Vengeance. Certes, il est bon, peut-être, que ces paroles qui font mal à ceux qui, comme moi, sont à l’extérieur du drame, que ces paroles fassent connaître cette souffrance afin qu’un jour elle puisse, tel un deuil, s’évacuer lentement, s’apaiser, devenir autre, tout en restant constitutive de l’être endolori.Mais l’idée de vengeance va plus loin que le cri premier de toute douleur.Elle demande la punition la plus sévère pour le responsable présumé, elle vise à “faire payer”, c’est l’expression qui vient sur les lèvres des victimes.Et c’est demandé comme un dû.

Attention me diront ici certains lecteurs.Vous êtes en train de juger ces malheureux.Et de quel droit le faites-vous ? En réalité, devant ces très fréquentes manifestations médiatiques, je ne parle pas tant pour un jugement de ceux qui s’expriment, que pour dire mon émotion viscérale, première, devant l’impasse où ces gens s’engagent.

Car il s’agit bien d’impasse.Notre société en est-elle encore là, à cette sorte de loi du talion dont l’application est exigée des magistrats ?

Il est évident - et c’est triste peut-être - qu’une peine lourde satisfait les victimes, apaise, adoucit les rancœurs accumulées.Les plaignants le disent après un jugement sévère ; il est probable que le travail de l’oubli ou, à tout le moins, le dépassement du mal souffert, se fait mieux ainsi.En tout cas, beaucoup le pensent, les journalistes souvent les premiers.

Notre justice, cependant, n’est pas mue par un tel processus que, faute de mieux, je viens d’appeler celui du talion.Elle existe dans un but d’ordre dans la société.Elle est le fait de tiers au drame décrit, de tiers commis pour faire cesser le trouble créé et désireux qu’il ne se reproduise pas.De là découle la punition infligée aux fautifs afin d’empêcher qu’ils ne récidivent, afin d’aboutir à une indemnisation - si difficile ! - des victimes, afin de décourager d’autres de commettre les mêmes fautes. On énumère ainsi toutes sortes de motifs que les juges doivent avoir à l’esprit.

Toute peine décidée par un juge peut toutefois - on le sait trop bien - être contreproductive. Elle satisfait rarement les victimes dont la souffrance s’accroît d’avoir été si mal comprises. Elle aigrit les fautifs, les isole et engendre aussi chez eux un sentiment d’incompréhension et un désir de vengeance contre la société qui a ainsi décidé contre eux.Cercle infernal ! Et comment dire l’absurdité ou l’horreur de ces longues peines de prison que notre code édicte et que notre justice applique...

Le rôle de la justice - est-ce une utopie ? - devrait être de rétablir les victimes dans leur dignité sans attenter à celle des autres.Elle permet - les comptes rendus de procès le montrent parfois - un dialogue, une communication entre victime et coupable où chacun dépasse le rôle qu’il s’est mis à jouer au début de l’audience.Le processus de dépassement de la souffrance des victimes passe par ce dialogue. Reconnaître la faute, l’erreur, demander pardon, cela ouvre des perspectives, cela permet d’échapper à cette revendication latente de vengeance et d’écrasement de l’autre, de sortir de ce personnage où chacun s’enferme dans une fausse dignité.

Combien plus digne et utile est l’attitude de ceux qui raisonnent les victimes et s’interposent devant leur soif de se venger elles-mêmes, pour éviter qu’elles ne basculent dans la violence irraisonnée et que, de victimes, elles deviennent agresseurs.Il faut beaucoup de sang-froid et de lucidité quelquefois pour parler à ceux qui se disent victimes et que révolte la non-reconnaissance immédiate de leur douleur et de leur droit à l’exprimer violemment.

Dans le désir de faire souffrir ceux qui les ont atteints, de faire expier, les exemples en retour de meurtres, de blessures ou simplement d’accidents que la société aurait pu peut-être prévoir et éviter sont très fréquents et l’attitude des uns et des autres, est à mes yeux, souvent choquante : le fait de souffrir n’excuse pas toute démesure.De plus les journalistes trouvent-ils leur rôle dans cette peinture complaisante d’une société inconsciemment mue par l’idée de vengeance ? Les lecteurs apprécient-ils ?Les limites de notre justice apparaissent en tout cas très vite. N’est-ce pas un peu de honte que je suis finalement saisi ?

En définitive, dans leur souffrance les victimes appellent une punition exemplaire des coupables et trouvent qu’elle tarde à venir ; la société cherche à prononcer un jugement serein par un simple besoin d’ordre et d’équilibre.Mais qui va dire réellement sa compassion aux victimes et va parler de relèvement aux coupables, à leur tour des meurtris en puissance ? (Relèvement ? J’emploie ce mot qui fait un peu paternaliste faute de mieux).

À toute faute cependant existe une issue. Une issue encore à la portée des hommes que nous sommes.Mais elle est difficile à trouver.Tant refusent cette voie. Les mots qui l’accompagnent sortent maladroitement de notre bouche, n’est-ce pas ?

“Va et ne pèche plus.”

Serait-ce cela ?

Selon les pharisiens, seul Dieu peut s’exprimer ainsi. Nous sommes de ceux qui pensent que Dieu a besoin des hommes.

Bernard Félix

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