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Homo biblicus : Méditation sur le Psaume 1

1 Oh ! le bonheur de cet homme

qui ne va pas au conseil des Méchants,

ni sur le chemin des Pêcheurs ne s’arrête

ni à la séance des Sarcastiques ne s’assied,

2 mais dans la Tora du Seigneur prend son plaisir

et sa Tora, il la murmure jour et nuit !

3 Il est comme un arbre planté près des ruisseaux

qui donne son fruit en son temps

et dont la feuille ne se flétrit pas.

Et tout ce qu’il fait, il le réussit.

4 Rien de tel pour les Méchants.

mais ils sont comme le fétu que pourchasse le vent

5 Aussi les Méchants ne tiendront pas au Jugement,

les Pêcheurs au rassemblement des Justes.

6 Car le Seigneur connaît le chemin des Justes

mais le chemin des Méchants se perd (Traduction personnelle).

On parle ici d’homo biblicus un peu comme les paléontologues parlent d’homosapiens : ce n’est qu’une image qui veut attirer l’attention sur une donnée centrale du Psaume 1. De même, les acteurs du texte sont cités avec une majuscule initiale pour que chacun réalise mieux que ces rôles, positifs (le Juste, les Justes) et négatifs (les Méchants, les Sarcastiques) restent toujours ouverts au lecteur qui utilise le texte comme un miroir. L’ARBRE ET LE FÉTU

Le Psaume 1 décrit l’existence humaine comme une démarche.Voici, pour commencer, le progrès d’un certain comportement qui est qualifié négativement : ne pas aller, ne pas s’arrêter, ne pas s’asseoir (v.1).D’un autre côté, le texte marque les étapes positives de l’épanouissement végétal : un arbre planté, puis arrosé, donnant enfin son fruit et gardant un feuillage verdoyant (v.3).

Ainsi, le psaume est construit sur une opposition forte.Les Méchants sont comme le fétu dispersé par le vent.La bale n’a pas de racine, pas de consistance, pas de fruit.En tout, elle s’oppose à l’arbre qui, lui, est stable, arrosé, vert, fructifère.Le fétu et l’arbre sont en contradiction comme l’instable et le stable, l’inconsistant et le consistant, le stérile et le fécond.La description double (négative au v. 1, puis positive au v. 2) du Juste permet d’inférer, par inversion, l’identité des Méchants.Les Méchants sont ceux qui vont, stationnent, s’assoient aux lieux qui signifient le refus de la Tora : un refus méprisant de la part des Sarcastiques.

La description de ce que fait le Juste (v. 1-2) et de ce qu’il est (v. 3) occupe quasiment toute l’espace du psaume (v. 4).Le texte exprime le néant des Méchants en ne disant pour ainsi dire rien de ce qu’ils font et de ce qu’ils sont : ne parler des méchants que par allusion discrète, c’est en quelque sorte les faire disparaître (rhétoriquement !), alors que, dans la réalité, leur présence est très insistante et lancinante pour celui qui a composé le psaume.

Ces Méchants sont évoqués au pluriel ; ils sont censés n’exister qu’en groupe, qu’en bande.Même s’il fait partie d’une communauté (“le rassemblement des Justes”, v. 5), le Juste ne se définit pas d’abord par son être en groupe (“il ne va pas à”, “ne s’assied pas à”, v. 1), mais par un rapport d’intimité personnelle avec la Tora.Sa consistance vient de là.

Comme la date probable du psaume est post-exilique, la Tora a déjà pris la forme du Livre, et cette Tora est déjà pour le psalmiste ce qu’elle restera pour le Judaïsme : le Pentateuque, noyau central de la bible juive. D’où la traduction un peu interprétative, mais juste proposée par A. Maillot et A.Lelièvre pour le v. 2 : “Mais qui aime le Livre du Seigneur et récite ce livre jour et nuit !” Le Juste du Psaume 1 est déjà un homo biblicus, il est lecteur de Bible. “Jour et nuit, il murmure la Tora”, réalisant ce type d’homme assez particulier que l’on trouve chez les Juifs et les Chrétiens : le “ruminant” de la Parole faite Livre.Pendant que les lèvres du Juste répètent dans un murmure les mots de la Tora, les Sarcastiques retroussent leur bouche dans leurs rictus collectifs et délétères.

En somme, le Psaume 1 est une méditation sur les options fondamentales de la vie.Des éléments élémentaires de la scène de l’existence sont là : terre, eau, vent (pour l’espace), jour, nuit, saisons (pour le temps), plantation, fruit, feuillage, bale (pour les manifestations de la vie).L’intérêt se porte sur le chemin, symbole d’option et de progrès dans une démarche.Un juif heureux, parce que accroché à la Tora, est comme placé au centre du monde, éclipsant son environnement mauvais.Ah ! si l’humanité entière n’était plus qu’un seul Juste heureux de vivre sous la Tora !

Petit lexique (pour regarder le texte de plus près !)

Faut-il rappeler que la “Tora”, la Loi, telle que le Pentateuque la présente, c’est d’abord le grand Récit de ce que Dieu a fait pour son peuple depuis la création du monde jusqu’à l’entrée en Palestine et que les commandements représentent la réponse que Dieu attend de son peuple ? La loi est ordre, commandement, mais aussi et d’abord révélation et enseignement.Direction et directive si l’on veut.

“Oh ! le bonheur de cet homme qui ...” : cet hébraïsme que j’ai gardé pour sa saveur est jugé incompréhensible par les plupart des traducteurs.Le “Oh” initial veut faire sentir la valeur exclamative de la phrase.La traduction courante est : “Heureux l’homme qui”.

Les “sarcastiques”, autrement les “rieurs” (v. 1), les “moqueurs”, bien connus par le livre des Proverbes (Proverbes 1,22, avec la note de la TOB ; 21,24 ; cf. 2 Pierre 3,3) sont caractérisés non par un humour tonifiant (ce qui serait une bonne chose !), mais par leur scepticisme goguenard et leur incrédulité.Au lieu de la “séance des Sarcastiques”, la traduction grecque parle de la “chaire des Pestiférés”, ce qui, aux yeux des anciens interprètes chrétiens, évoquera facilement l’enseignement de mauvaises doctrines.

Le Juste “murmure” la Tora : les anciens pratiquaient une lecture à voix basse mais plus ou moins audible (cf. Josué 1,8 ; Actes 8, 28). Ce léger mouvement des lèvres peut accompagner également la prière, ce qui valut à la future mère de Samuel d’être prise pour quelque ivrognesse marmonnant des mots incompréhensibles (1 Samuel 1, 13-14).

Le “fétu”, plus précisement la “bale” (du blé), devient dans la traduction grecque de la “poussière”, ce qui ne change pas grand chose pour le sens.

Les Impies “ne tiendront pas (ou : “ne se lèveront pas”) au Jugement” d’après l’hébreu.La traduction grecque envisage un jugement indéterminé (par ex. celui qui est rendu aux portes de la ville ou pour permettre l’accès au sanctuaire) : “ils ne tiendront pas lors d’un jugement” (le parallélisme appuierait la traduction grecque).La traduction latine entend : “ils ne ressusciteront pas lors du Jugement”, ce qui représente des croyances plus tardives (avec les débats sur la résurrection ou la non-résurrection des Méchants).

Un “honnête devoir d’écolier” ?

Le Psaume 1, a-t-on dit, est “un honnête devoir d’écolier” (P. Auvray), mais sa banalité le rend intéressant : un juif d’après l’Exil exprime ici les valeurs fondamentales de son existence.Parlant pour beaucoup d’autres, il exprime sans bavure à quoi le Juste s’accroche et ce qu’il a en horreur.C’est la parole d’un homme ordinaire, éloignée du raffinement, mais exprimant une conviction solide.

Le Psaume 1 est dangereux : il classe avec ingénuité le monde en deux camps bien déterminés. Or Paul et Luther ont rappelé avec force que les êtres grâciés que nous sommes, sont à la fois “pêcheurs et justes”.Mais il faut mettre au bénéfice du psaume le rappel vigoureux de la distinction des valeurs : si le bien et le mal se mélangent dans les cœurs (ce que le psaume ne dit pas), ils ne sont pas équivalents (ce que le psaume dit très fort). Leur antagonisme donne sens aux combats de l’existence.

Le Psaume 1 est beau de cette beauté élémentaire qu’ont les choses qui touchent avec justesse à l’essentiel : il est heureux l’homme qui trouve son plaisir et sa raison de vivre dans la Tora, dans la Parole faite Écriture.

La réception du psaume 1

Lorsque le livre des Psaumes s’est constitué, on peut penser que le Psaume 1 a été repris (ou composé) avec le Psaume 2 pour servir de “portique” à tout le psautier : la Tora au Psaume 1 et le Roi-Messie au Psaume 2 balisent l’entrée dans le livre des Louanges (titre hébraïque de nos Psaumes).

Souvent l’ancienne exégèse des chrétiens (“pères de l’Église”...) appliquait le Psaume 1 au Christ, le seul Juste au milieu d’un environnement pécheur et le Sauveur des hommes par l’arbre de la croix.Cette application christologique du psaume a sa valeur, mais il n’y a pas de raison pour qu’elle fasse perdre à notre texte sa pertinence juive ni son ouverture anthropologique.

On pourrait mettre en parallèle avec le Psaume 1 une peinture de Marc Chagall, intitulée Solitude (Musée de Tel-Aviv). Sur la partie gauche du tableau, on voit un rabbin, malheureux et comme désespéré (la peinture date de 1933), serrant contre lui le rouleau de la Tora, son seul trésor.Sur la partie droite du tableau est représentée une petite vache bien calme, promenant son museau sur un instrument de musique : elle annonce à sa manière la paix du monde prévue par les prophètes.Le rabbin de Chagall avec sa vache est un peu comme le Juste du Psaume 1 avec son arbre : malgré un environnement menaçant, rien ne peut les arracher au Livre qui les fait exister.

Michel Cambe

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